La maison de production officielle de l'ex RDA (Allemagne de l'Est pour les lecteurs les plus jeunes qui n'auraient pas connu la chute du mur de Berlin !) s'appelait DEFA. Elle eut son heure de gloire en alignant des produits bien évidemment pro-communistes jusqu'au début des années 80, allant jusqu'à développer un format 70mm et même produire quatre films de science-fiction. L'ETOILE DU SILENCE, SIGNAL : UNE AVENTURE DANS L'ESPACE et EOLOMEA (tourné tous deux en DEFA-70) puis ce IM STAUB DER STERNE, traduisible par «Dans la poussière des étoiles». Sorti en DVD aux USA chez First Run Features dans une version médiocre, il fit ensuite son apparition en Allemagne hélas sans sous-titre. Et c'est finalement l'éditeur italien NoShame qui nous propose l'édition la plus intéressante sous le titre LA POLVERE DELLE GALASSIE dans son coffret «STELLE ROSSE» dédié à la science-fiction est-allemande.
Le vaisseau Cynro 19/4 parvient sur la planète Tem au bout de six ans de voyage afin de répondre à un appel à l'aide. Sur place, l'équipage manque de s'écraser et découvre que les Temiens n'ont nul besoin d'aide, bien au contraire. La capitaine Akala (Jana Brejchovà) et son équipage se rendent malgré tout à une fête d'adieu avant de repartir. Pendant ce temps, son navigateur Suko (Alfred Struwe) découvre des mines souterraines avec un autre peuple, les Turi, obligé de travailler comme esclaves.
Co-production entre la Roumanie et la RDA, IM STAUB DER STERNE conclut la tétralogie de films dits «utopistes» de la DEFA. Et plonge dans un monde de science-fiction 70's très coloré, tendance psychotropo-psychédélique. Bien en phase avec son époque, le film se pare de décors, musiques et costumes totalement extravagants, le tout pour tenter l'élaboration d'un monde "autre". Déjà, lorsque le générique précise que le film contient des chorégraphies, ça laisse perplexe. A la vue des choses en question quelques quarante ans après, on reste partagé entre l'éclat de rire et se dire qu'il faut replacer l'ensemble dans son contexte. Tout hurle 1975 sur l'écran : maquillages outranciers, manière de filmer, cadrages. Sauf qu'on se croirait revenu cinq ans en arrière face aux clips de Raquel Welch singeant «Aquarius» et «Let the sun shine in» !
On se trouve également face à la Palme 1975 des costumes les plus fun. Des créations qui marient aussi bien les coiffures et les t-shirts en maille large de la série UFO, l'influence de Rudi Geinreich (les costumes de COSMOS 1999) et du manifeste queer sous-tendu de LA TERRE DES PHARAONS : on y découvre des gardes musculeux vêtus de pagnes en cuir ras les fesses ! Sans compter l'équipage du Cynro qui dissimulait des tenues leather-disco-dollies rougeasses moulantes que le costumier du catastrophique DISCO de Fabien Onteniente a honteusement pillé ! On ne compte pas non plus les nymphettes quasi-nues, les torses révélés de la gent masculine lors de la fête orgiaque et de danseuses savamment déshabillées... et une séquence hallucinante à 33 mn 30 où Regine Heintze entame nue (en contre-jour) une danse pop sans raison apparente. Psychotrope, on vous dit.
Il s'agit aussi d'une époque et d'un film propices à toutes les paraboles. Comment ne pas saisir le message d'un peuple ayant colonisé une planète et réduisant ses habitants originels à l'esclavage pour l'asservissement de ses ressources. Une décadence occidentale aux relents de chrétienté : les serpents tentateurs à forte connotation érotique s'entourent lascivement autour des corps offerts aux excès les plus excitants (pour l'époque, s'entend). L'impérialisme américain et la Guerre du Vietnam ne sont pas très loin.
Egalement, l'équipage est mené par une majorité de femmes, autre marque de fabrique des films de science-fiction est-allemands. Complétement l'inverse des films anglo-saxons où la femme est réduite au rôle de la scientifique hurleuse. Qui plus est, la distribution a recours à un ensemble d'acteurs parmi les plus en vue de chaque pays de l'ex-bloc de l'est : yougoslave, tchèque, allemand, roumain... Il faudrait avoir les yeux embués pour ne pas voir le rêve communiste qui libère les oppressés. Et même si le sujet semble plus épouser le songe de paix et d'union de tous, il s'agit du combat pour la communauté, du sens du sacrifice pour le peuple qui sont mis en avant par leurs auteurs. Voir en ce sens le faux happy-end qui n'est pas sans rappeler celui d'EOLOMEA où la victoire de l'idéologie prime sur le bonheur personnel.
Plusieurs éléments de mise en scène viennent étayer ce sentiment. D'abord le grand moment de l'hypnose. En split-screen, les membres de l'équipage du Cynro sont hypnotisés au milieu de la fête à grands coups de lasers sur le front. Cerveaux lavés et blocage du mot «aide» dans leur subconscient. Méchants capitalistes décadents ! Puis le «chef» (qui n'aura pas d'autre nom) des Temians, tortureur dans l'âme, revêt les couleurs de l'impérialisme via sa chevelure : une scène révèle qu'il se fait peindre les cheveux à coups de bombe de peinture ! Au diapason de ses habits, il apparaîtra en bleu, blanc et rouge. Et sous cette civilisation avancée faite de strass où l'on rit, on se gave, on se bisouille, on danse à poil, paillettes et liberté apparente... se larve une société qui oppresse les travailleurs de l'ombre et les réduit au silence à grands coups de fouets. Sans compter les discussions politico-cosmiques entre Akala et «le Chef», vêtu d'une cape blanche mystico-draculéenne, à propos de la fin proche de la civilisation Temienne.
Gottfried Kolditz n'en est pas à son coup d'essai science-fictionnel, en 1970, il avait déjà réalisé SIGNAL : UNE AVENTURE DANS L'ESPACE, en 70mm et 6 pistes magnétiques stéréophoniques, réponse est-allemande au 2001 ODYSSEE DE L'ESPACE. Le film est resté inédit en France, sauf à la télévision et lors d'un festival nantais en 2006. Optant ici pour un format panoramique quelque peu décevant au regard du sujet, son intrigue vire également vers une science-fiction presque plus situationniste que son histoire précédente de pluie de météorites s'abattant sur un vaisseau explorateur. Exit la technologie, par exemple, le métrage n'a relativement que peu d'effets spéciaux, qui plus est inférieurs à ceux d'EOLOMEA.
On sent surtout le goût pour la mise en avant des paysages et des décors. Ainsi le choix de montagnes quasi lunaires et de volcans de boue en Roumanie, selon le directeur photo interviewé dans un des bonus, où les premières scènes furent tournées. A noter également une gigantesque mine de sel, endroit où le héros trouvera le peuple opprimé en train de piocher, creuser et subir des explosions. A côté de cela, des intérieurs très pop, complexifiés avec des jeux de miroirs et de couleurs qui rendent plutôt bien l'atmosphère fun et quasi déliquescente de l'univers Temien.
C'est en fait ce qui sauve le métrage. Ce côté très primesautier, sautillant et ouvertement érotisant. Malgré la lourdeur du message propagandiste, Gottfried Kolditz s'en sort à travers une fantaisie qui part dans tous les sens. Qu'il s'agisse de cascades audacieuses lors des affrontements, des scènes de foule, de la fête disco (déjà dépassée avant même d'avoir ouvert le bal !), l'exagération tend vers l'amusement général. Comme pour mieux faire passer la pilule, il multiplie les détails incongrus, comme les boissons de bienvenue sucrées et épicées sous forme de spray, le délire du Chef sur sa console musicale multicolore qui accélère le mouvement des danseuses, les têtes coupées, la servante qui n'arrête pas de se prendre des claques, les chorégraphies très «Symphonie du temps présent» néo-béjartienne qui se prennent affreusement au sérieux... Tout cela créé un décalage bienvenu qui tranche avec le sujet. Y compris les interprétations de chacun, surtout Ekkehard Schall qui se laisse complètement aller en méchant d'opérette se croyant dans un péplum de seconde zone. Sa première scène avec Akala vire au délire de despote hystérique, entre ricanements grossiers, effets stroboscopiques et jeux de miroir. Gottfried Kolditz s'amuse en étirant le scénario grâce à des scènes totalement gratuites.
La copie proposée dans le coffret STELLE ROSSE est au format 1.78:1, agrémenté d'un transfert 16/9ème et d'une durée exacte de 94 minutes et 37 secondes. La jaquette indique une piste allemande mono : surprise, il s'agit en fait d'une piste stéréo. Pas d'une tenue extraordinaire ni aux effets remarquables, mais laissant des dialogues audibles et clairs. La musique disco-jerk explose au bon moment et ne sature pas. Le choix de sous-titres anglais ou italiens amovibles est un vrai plus. Ceci comparé au DVD Zone 1 de chez First Run Features qui n'offrait pas de transfert 16/9 et une piste audio en mono.
Pour le visuel, le master fournit par la DEFA n'est pas exempt de défauts. Des plans flous, une définition parfois hasardeuse dans les scènes extérieures, des griffures et autres poussières... Le transfert est «acceptable», et on ne dénote pas trop de souci de compression. L'indication de l'année 1999 au bout du générique indiquerait-elle l'année du télécinéma ? En tous cas, il serait temps d'offrir autre chose à l'oeil du spectateur. Il est vrai aussi que la qualité des tirages est-allemands laissait souvent à désirer. Qu'il s'agisse des couleurs, de la leur fixité ou de la définition même de l'image. Ici le procédé Orwo qui donne sa mesure dans les scènes en décor intérieurs, mais qui semble assez fade dans les prises de vues extérieures. L'antre du chef (à partir de la 48ème minute) offre ainsi des couleurs vives et des détails précis sur les gros plans.
La section des suppléments permet de visionner une interview avec le directeur de la photographie Peter Süring qui partage ses souvenirs de tournage. Très précis, il offre des détails saisissants sur les conditions de tournage, la collaboration difficile entre les équipes roumaines et est-allemandes ainsi que l'élaboration des scènes. Notamment sur la gratuité des séquences dénudées, plutôt osées à l'époque. Il est impératif de voir ce supplément après avoir vu le film, révélant quelques moments clés au long de ses 16 minutes face à la caméra. Complétant ce bonus très intéressant, un film annonce d'époque et divers extraits et films annonce du catalogue NoShame. Le coffret offre également un précieux livret (en italien) sur les acteurs techniciens et autres techniques d'effets spéciaux sur les trois films présentés, à savoir EOLOMEA et L'ETOILE DU SILENCE.