Autant la lâcher tout de suite : NOT OF THE EARTH, inédit en France, est un petit classique mésestimé !
Paul Birch joue le rôle d'un alien de la planète Davana dont les habitants sont en passe de mourir. Sur Terre, il est à la recherche d'un sang qui sauverait les siens. Sous la forme d'un humain et avec l'aide inconsciente d'une infirmière (Beverly Garland), il commence sa collecte et procède aux différents tests avant invasion.
Le très véloce Roger Corman enquille tournage sur tournage dans les années 50. Tout y passe : Western (CINQ FUSILS A L'OUEST), Science Fiction (WAR OF THE SATELLITES), polars (l'excellent MITRAILLETTE KELLY !), films de monstres (l'ahurissant VIKING WOMEN)... des métrages enchaînés à toute vitesse, pas cher et avec des monstres créés par Paul Blaisdell parmi les plus ridicules jamais élaborés. Il n'y a qu'à voir la créature-concombre de IT CONQUERED THE WORLD pour s'en rendre compte. Précisons également qu'en grand amoureux du tiroir caisse, Roger Corman produisit deux remakes de ce NOT OF THIS EARTH : l'un avec Traci Lords en 1988 réalisé par Jim Wynorski, et l'autre avec Michael York en 1995, beaucoup plus intéressant, réalisé par Terence H. Winkless. Il existe également une suite produite par New Concorde en 1997, nommée STAR PORTAL ou encore connu sous le titre de NOT OF THIS EARTH II : FINAL CONTACT, qui reprend l'argument de base en y ajoutant un paquet de nudité féminine. Ce type est infatigable.
Pour ce NOT OF THIS EARTH de 1957, changement de braquet. Il s'agissait de combiner un budget ridicule, une attaque extraterrestre tout en choisissant un angle original. Roger Corman et son scénariste Charles B. Griffiths choisiront une allégorie vampirique que le BLOOD OF DRACULA d'Herbert Strock reprendra à son compte peu après. Et c'est tout naturellement dans ces années troubles que le parallèle avec la paranoïa de l'invasion communiste apparaîtra aux yeux des spectateurs alertes. Corman utilise par ailleurs un ton oscillant entre le fantastique, les scènes chocs et la comédie décalée. Comme l'apparition de Dick Miller en représentant pour aspirateurs, ou encore le personnage de repris de justice joué avec décontraction par Jonathan Haze (héros de LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS).
Le look d'apparence simpliste de l'agent alien renvoie à la fois au manque d'argent du film, mais également de l'efficacité de la mise en image. Utiliser un homme de la vie quotidienne afin de mieux transcrire l'horreur de son action. Car malgré une affiche originale et alléchante, nous n'aurons droit qu'à un homme affublé de lunettes noires, de lentilles de contacts blanchâtres, de quelques accessoires bricolés à la va-vite et un improbable petit monstre volant. Si l'on pousse un peu plus loin, et pour les cormaniens les plus endurcis, on notera quelques marques de fabrique typiques du maître : un générique inventif et macabre, la révélation du monstre en fin de métrage, une durée réduite à sa plus simple expression et sa manière d'aller droit au cœur du sujet. Mais également que les héros à la duplicité évidente ont recours au subterfuge des lunettes de soleil afin de mieux cacher leur condition. C'est le cas ici, comme dans LA TOMBE DE LIGEIA ou encore dans L'HORRIBLE CAS DU DOCTEUR X, entre autres.
En fait de paranoïa communiste, on trouve une seringue – l'éventualité d'une guérison, tout comme celle de la transmission du mal. Non pas que le filiation soit évidente, mais la narration du film participe au mouvement. Un alien ressemblant à un homme qui ouvre la possibilité d'une invasion. Toutes les interprétations deviennent plausibles, et de ce fait, la peur du communisme qui s'immisce dans la vie rêvée de l'américain moyen.
Arrêtons-nous quelques instants sur la délicieuse Beverly Garland. Aujourd'hui hélas décédée, elle fut parmi les meilleures héroïnes fortes des films de genre des années 50. A fortiori chez Corman où elle incarnera des femmes à caractère trempé dans SWAMP WOMEN, le Western GUNSLINGER, NAKED PARADISE avec encore Dick Miller... sa présence dans IT CONQUERED THE WORLD marqua plus les esprits lors du tournage où elle donna un coup de pied à la créature construite par Paul Blaisdell, du fait de sa piètre capacité à incarner l'horreur de la situation. Inquiet, Roger Corman intima alors à Blaisdell de la rendre le monstre plus effrayant – sans vraiment y arriver. Elle réussit ici à rendre son personnage plutôt attachant et sait éviter le piège de la femme-potiche-hurleuse qui attendait la grande majorité des 1e rôles féminins dans les films de genre. A noter que sa carrière se dirigea vers un nombre incalculable de séries TV : MANNIX, CANNON, L'HOMME QUI VALAIT TROIS MILLIARDS, DROLE DE DAMES, 7 A LA MAISON, FLAMINGO ROAD... elle les a toutes faites pendant 30 ans. Et de rôles dans des films plus prestigieux, comme dans LE PANTIN BRISE de Charles Vidor avec Frank Sinatra, PRETTY POISON avec Anthony Perkins, 747 EN PERIL de Jack Smight, et même le cultissime (et gentiment nul) ROLLER BOOGIE de Mark Lester !
Pour la petite histoire, Roger Corman et Paul Birch eurent quelques mots à la fin du tournage, si bien que l'acteur principal finit par claquer la porte. Corman dut le remplacer par une silhouette le temps de quelques prises. Paul Birch était pourtant déjà dans quelques produits Corman : CINQ FUSILS A L'OUEST, THE DAY THE WORLD ENDED, THE BEAST WITH A MILLION EYES. NOT OF THIS EARTH marqua ainsi la fin de leur collaboration. Les plus attentifs remarqueront Charles Griffith, ainsi que le réalisateur de l'inénarrable TEENAGERS FROM OUTER SPACE, Tom Graeff, dans un cameo
Malgré ses restrictions budgétaires et son sujet rabâché, NOT OF THIS EARTH s'avère surprenant à plus d'un égard. Tout d'abord sa justesse à éviter de faire fauché, Roger Corman n'y arrivera pas toujours. L'intelligence du script de Griffith/Hanna et sa dextérité technique font mouche. Une approche très professionnelle dans sa mise en scène de l'action complète le tableau. Corman offre une poursuite finale en voiture qui n'a pas à rougir de sa robustesse et de son sens du suspens. En résumé, un parfait représentant de la série B de l'âge d'or des années 50 : directe, parfois incisive, inventive et dotée d'une fin assez bien vue. Qui plus est en parfaite adéquation avec la peur paranoïaque générée le long du film. NOT OF THIS EARTH est ingénieux, doté d'un rythme solide : bref, un mini-classique de la science-fiction, véritable manuel à l'usage des réalisateurs ayant peu d'argent mais beaucoup d'idées (des bonnes).
Pour la première fois en France, le film sort en DVD via Artus Films dans le coffret LES MONSTRES VIENNENT DE L'ESPACE. Il se trouve sur le même disque que THE HIDEOUS SUN DEMON. Pour rappel, le second disque du coffret réunit THE COSMIC MAN et KRONOS de Kurt Neumann. Comme pour les autres coffrets Artus Films, un livret de 12 pages rappelle succinctement quelques films de science-fiction qui ont marqué les années 50. le tout accompagné de cartes postales reproduisant les affiches des films présents dans le coffret.
Pour la copie, on trouve le film en Noir et blanc d'origine, au format 1.33:1 et pour une durée exacte de 64 minutes et 24 secondes. Il s'agit par ailleurs d'une relative bonne surprise. Non pas du nirvana du noir et blanc à petit budget sur format DVD mais là où THE HIDEOUS SUN DEMON s'avérait juste médiocre, nous avons droit ici à une définition correcte sans pour autant s'attendre à compter les cheveux sur le caillou de Paul Birch. Il y a bien quelques scories ça et là : des griffures évidentes comme pour la scène d'ouverture et qui transparaissent lors de scènes en pleine lumière. Peut-être également des blancs trop lumineux, ce qui vire à un sentiment de surpexposition, visible par exemple dans la scène du cimetière à la toute fin. Probablement du au matériau d'origine, qui n'a pas eu la chance du traitement des films noir et blanc de majors comme Columbia (voir le travail sur LES SOUCOUPES VOLANTES ATTAQUENTS, entre autres) ou encore Fox (voir la belle copie de ALLIGATOR PEOPLE en DVD sortie aux USA, film par ailleurs avec Beverly Garland). Ici, les contours des personnages sont nets, on remarque un niveau de détail intéressant sur certains objets en arrière-plan, et on voit le soin apporté aux éclairages en scènes d'intérieur. Ceci couplé à une compression honorable, en tous cas un meilleur travail que sur THE HIDEOUS SUN DEMON. Et même si le grain d'époque se fait parfois un peu trop sentir.
Une piste sonore en anglais, mono codée sur deux canaux, est disponible avec des sous-titres français amovibles. Rien de renversant, mais rien d'indigne non plus. Une piste mono magnétique d'origine, avec le souffle attendu, mais une certaine clarté décelable dans les dialogues. La partition musicale de Ronald Stein n'obtient pas forcément le meilleur auditoire, mais ça reste quand même largement acceptable.
Et comme nous l'avions indiqué pour THE HIDEOUS SUN DEMON : hormis le livret et les cartes postales, on pourra découvrir en bonus les quatre films annonce originaux des films composant le coffret, ainsi que sur cette galette, un diaporama d'une minute sur les affiches et lobby cards de NOT OF THIS EARTH, puis de THE HIDEOUS SUN DEMON.