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Critique du film
COLD FISH 2010

 

Shamoto (Mitsuru Kukikoshi) est le gérant d'une petite boutique de poissons exotiques. Père introverti, il prend l'habitude de s'effacer devant les conflits réguliers éclatant entre sa fille adolescente et sa deuxième épouse. Alors que sa fille exprime son mal être en volant dans les magasins, Shamoto est accosté par l'extraverti M. Murata (Denden), le patron de la plus grande boutique de poissons de la ville. Murata va embaucher la fille de Shamoto et prendre ce dernier sous son aile. Un bienfaiteur tombé du ciel qui va peu à peu se muer en démon et détruire la vie de Shamoto.

Nous vous avions déjà parlé de Sion Sono, maverick insaisissable du cinéma indépendant japonais, et passionnant auteur de SUICIDE CLUB, NORIKO'S DINNER TABLE et du fulgurant STRANGE CIRCUS. Alors que LOVE EXPOSURE, sa fresque de quatre heures sur la frustration sexuelle, a fait le tour du monde en enthousiasmant des publics très disparates, Sion Sono est toujours aussi peu connu en France. Un vent qui pourrait tourner avec COLD FISH, un thriller très personnel, annoncé comme le deuxième volet après LOVE EXPOSURE d'une trilogie de la haine. Présenté en 2010 dans les prestigieux festivals de Venise, Toronto ou encore Pusan en Corée du Sud, COLD FISH reçoit le prix de la critique au festival asiatique de Deauville. Un début de consécration qui permettra (enfin) aux spectateurs français de découvrir le film prochainement sur un écran de cinéma.

COLD FISH est produit par Sushi Typhoon, la branche de la Nikkatsu spécialisée dans le gore, rendue célèbre par les huluberlus THE MACHINE GIRL et autre TOKYO GORE POLICE. Le film de Sion Sono est bien entendu très loin de cette vague comico-trash nippone. COLD FISH est une nouvelle fresque de deux heures et demi brassant les thèmes chers au cinéaste comme la déconstruction de la famille, la perversité de l'amour ou encore l'écrasement de l'individu sous un poids social qui finira par l'acculer dans les recoins les plus insoupçonnés de sa personnalité. Librement inspiré d'un fait divers (le vendeur d'un magasin de chiens qui assassinait ses concurrents), Sion Sono ouvre les vannes de la période très dépressive qu'il traverse alors et signe un joyaux brut extrêmement sombre.

COLD FISH est un film très dur. Pas tant finalement pour les débordements gores du métrage, qui ne nous épargnent pas le découpage des victimes de Murata en petits morceaux, que pour la violence psychologique qui s'en dégage. Japonais gentiment excessif et débonnaire, Murata va nous révéler progressivement son visage monstrueux en concassant tous ses proches sur son passage. Murata humilie Shamoto en prenant sa place à l'intérieur du cercle familial, en assumant financièrement sa fille mais aussi en obligeant sa femme à des faveurs. Réduit à l'état de larbin, Shamoto devient le complice des meurtres de Murata à cause de sa nature docile. COLD FISH raconte donc la lente et étourdissante descente aux enfer de Shamoto, parcours extrême et destructeur qui va voir le personnage exploser dans une dernière partie aussi tragique qu'hystérique.

Bien que COLD FISH soit un drame dans un monde d'hommes, Sion Sono n'oublie pas ses personnages féminins, lui qui excelle tant dans leur peinture. Le femme de Murata, tout d'abord figure secondaire présentée comme l'éternelle complice, prend peu à peu le pouvoir pour incarner in fine le clou du discours de l'auteur. Un personnage déchiré par la peur, transformé en harpie incontrôlée ne faisant plus la différence entre le sexe et la violence, entre la retenue de la femme japonaise et la boulimie d'une prédatrice réduite à l'état de bête sauvage. La dernière partie du film, orgie de bruit et de fureur, voit cette femme partir dans un fou rire après avoir été blessée au cou par un stylo, montrer une infinie tendresse à son agresseur, tenter de faire l'amour après une seconde blessure encore plus grave. Nous devons cette incroyable performance d'actrice à Asuka Kurosawa, l'héroïne de SNAKE OF JUNE de Shinya Tsukamoto, performance qui est pour beaucoup dans le choc produit par COLD FISH.

Pièce maîtresse d'une œuvre passionnante bien que parfois hirsute (Sion Sono a signé juste avant le drame extrêmement conventionnel BE SURE TO SHARE), COLD FISH est un film précieux et immanquable, sorte d'ultime fusion entre le film d'auteur et le film d'horreur moderne. Il faudra cependant pouvoir s'adapter au style très particulier de la mise en scène. A l'instar de NORIKO'S DINNER TABLE ou LOVE EXPOSURE, Sion Sono envisage d'abord son film comme de la littérature intensifiée par la performance de ses comédiens. Outre une construction narrative inhabituelle au cinéma, COLD FISH relaye la photographie et la notion de découpage à la partie congrue du métrage. Les scènes sont capturées la plupart du temps sur le vif, à la lumière ambiante, sans véritable souci de composition. Un style de tournage naturaliste, sans aucun doute économe, mais complètement à contre courant d'un cinéma contemporain qui mise avant tout sur l'image. Espérons que ce parti pris ne freine pas l'accueil du film en France et le début de la reconnaissance de Sion Sono dans notre pays. Le cinéaste a depuis achevé son dernier film, GUILTY OF ROMANCE, dernier volet de sa trilogie de la haine, présenté en première mondiale à la Quinzaine des Réalisateurs du festival de Cannes 2011.

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
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