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Critique du film
QUARTIER LOINTAIN 2010

 

A l'origine, QUARTIER LOINTAIN est un manga de Jiro Taniguchi, primé à Angoulême en 2003, et sûrement son œuvre la plus connue du grand public. Auteur mélancolique en diable, et si ses travaux les plus récents déçoivent par leur facilité scénaristique, il signait avec Quartier Lointain (et Le Journal de Mon Père) une de ses histoires les plus fortes, les plus belles, de celles qui hantent l'esprit bien après leur lecture. Typiquement japonaise, la bande-dessinée devient aujourd'hui un film de Sam Garbarski, réalisateur belge-allemand, avec Pascal Greggory et Jonathan Zaccaï, situé dans les Alpes Françaises. Oui, ça surprend.

L'histoire, elle, reste dans le fond la même : Thomas Zorn, auteur de bande dessinée en perte de vitesse, arrive sur une cinquantaine fatiguée. Après une dédicace, il se trompe de train et se retrouve dans le village de son enfance. Il va se recueillir sur la tombe de sa mère, où il est pris d'un vertige et lorsqu'il revient à lui, il réalise qu'il a fait un bond de quarante ans en arrière. Il va donc revivre l'année de ses quatorze ans avec l'espoir de, peut-être, empêcher le mystérieux départ de son père, événement qui a détruit sa famille, et sa vie.

Contrairement à d'autres histoires de voyage dans le temps, QUARTIER LOINTAIN ne cherche jamais à expliquer son postulat fantastique. En effet, à un aucun moment, le personnage principal ne cherchera à comprendre comment une telle chose est possible, trop submergé qu'il est par l'émotion de retrouver des personnes disparues ou perdues de vue depuis très longtemps. Et cette absence de justification donne beaucoup de charme au film, cette idée que peut-être tout n'est qu'un rêve. Ce qui nous vaut d'ailleurs quelques bonnes séquences où Thomas, n'y croyant pas lui-même, aborde les gens et les événements avec un détachement et une incrédulité très à propos. Il faut, à ce sujet, féliciter le comédien incarnant le jeune Thomas, Léo Legrand, transfuge des ENFANTS DE TIMPELBACH, qui, s'il n'est pas parfait tout du long, incarne néanmoins à merveille son personnage et fait preuve par moments d'une maturité de jeu étonnante pour un comédien de son âge, donnée indispensable pour jouer un homme de cinquante ans dans le corps d'un adolescent. Le reste du casting oscille entre le bon et le «limite» : Pascal Greggory est très à l'aise dans son rôle d'homme fatigué et écorché, Jonathan Zaccaï est, une fois de plus, parfait dans le rôle de ce père torturé, distant, impressionnant pour un enfant mais en même temps très émouvant lorsqu'il s'ouvre à son fils. Saluons l'excellente initiative du réalisateur dans le choix de ses acteurs principaux, puisqu'il nous fait croire sans peine à une filiation évidente entre Zaccaï et Greggory. Alexandra Maria Lara joue très bien le rôle de la mère dévouée, aimante, touchante, qui sait que son mariage bat de l'aile depuis longtemps mais qui affronte la fatalité. Une interprétation toute en retenue, en émotion et qui, sans en avoir l'air, apporte une touche d'authenticité supplémentaire à l'histoire. Là où le bat blesse, et comme on pouvait s'y attendre, c'est dans le choix des enfants incarnant l'entourage direct de Thomas. Heureusement ils ne sont pas trop mis en avant, mais si sa jeune sœur passe encore, son premier amour laisse, lui, un désagréable parfum d'artifice. La jeune comédienne ne semble pas à l'aise dans son rôle, son phrasé est loin d'être parfait (alourdi par quelques dialogues ne fonctionnant pas ailleurs que sur papier) et on n'y croit guère. Dommage, à l'image des amis de Thomas, un peu trop dans le cliché pour vraiment convaincre. Mais encore une fois, ce n'est pas très grave, le cœur du film ne se trouve pas là.

L'adaptation n'a pas dû être une sinécure, et les scénaristes s'en sont globalement bien sortis. S'ils sacrifient évidemment des pans entiers de l'histoire originale (l'intrigue secondaire concernant le meilleur ami de Thomas par exemple, ou encore l'alcoolisme latent du héros), ils en conservent les éléments principaux et arrivent à un tout homogène. On sent une vraie déférence des auteurs vis-à-vis du matériau de base sans pour autant en être restés prisonniers. Le réalisateur (après un IRINA PALM autrement plus sombre) tient bien son sujet et sa mise en scène ne se fait jamais au détriment de ce qui se passe dans l'histoire. Pas de plans extravagants, pas d'effets choc illustrant le voyage dans le temps, on est dans l'intime, le personnel, l'émotion. Si le film commence mal (la première séquence est à ce point horripilante qu'on en vient à croire que la simple présence de Sophie Duez parlant, mal, au téléphone y est pour quelque chose), il démarre vraiment lorsque Thomas revient à ses quatorze ans et embarque le spectateur pendant une bonne heure et demie avant de retomber malheureusement dans une ultime séquence très en-deçà du reste du film et carrément indigne de son pendant imprimé. Scène cruciale dans le manga qui arrache des larmes même aux plus retors, elle souffre ici d'une construction et d'une mise en scène maladroites qui lui font perdre tout son impact.

Et en parlant de choses qui fâchent, il faut bien signaler LE point noir du script : le changement de situation du personnage principal. Simple employé de bureau dans le manga, les scénaristes en ont fait un auteur de bande-dessinées en panne d'inspiration. Et c'est vraiment dommage car ce que le film gagne en croquis charmants distillés tout du long, il le perd en signification. On passe de quelqu'un dont le départ du père en a fait un adulte frustré, qui n'a pas la vie qu'il mérite et qui a renié ses rêves de jeunesse, à un type qui finalement a poursuivi dans sa voie mais qui se retrouve aujourd'hui dans une impasse. Ce n'est pas forcément moins intéressant attention, mais le sens de l'histoire n'est plus, du coup, le même. Mais bon, c'est un choix de scénario et l'adaptation étant la plupart du temps affaire d'interprétation, on ne va pas chipoter pour si peu, d'autant que le film reste, en l'état, agréable à regarder, prenant et trotte de longues heures dans la tête après la fin de la projection.

A noter enfin que la bande-originale a été confiée au groupe AIR qui signe ici une composition mélancolique en diable bien que trop proche par moments de son travail sur VIRGIN SUICIDES. Au-delà d'une filiation évidente, ce rapprochement nuit par moments à l'ambiance du film et fait que l'on s'attarde davantage sur la musique que l'on jurerait avoir déjà entendu, que sur les événements, très forts, qui nous sont exposés.

Au final, que penser de ce QUARTIER LOINTAIN ? Un petit film fantastique français qui ne se la joue pas américain en pompant SAW (au choix, mettez ici le titre d'un film de genre yankee ayant eu du succès), qui bataille pour livrer un traitement non spectaculaire de l'intrigue, basé essentiellement sur le ressenti et l'humanité de ses personnages, ça n'arrive pas tous les jours et cela mérite d'être encouragé. Et comme de bien entendu, il bénéficie d'une exploitation à ce point misérable qu'elle en vient à nous faire douter des capacités de jugement de nos amis distributeurs : trois petites salles à Paris et une place loin d'être garantie en deuxième semaine. Dommage pour un film intéressant, loin d'être parfait certes, mais rafraîchissant dans le paysage fantastique français, à ce point gavé de meutes et de hordes, qu'il n'en finit plus de crever la gueule ouverte.

Rédacteur : Christophe Foltzer
45 ans
10 critiques Film & Vidéo
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