Jeanne (Sophie Marceau), journaliste littéraire, se voit refuser avec force le manuscrit de son premier roman par son éditeur. Un choc pour la femme qui essayait justement avec ce livre de démêler l'énigme de ses mémoires d'enfance, elle qui n'a pas de souvenirs d'avant ses huit ans. De retour chez elle, son quotidien commence alors à se dérégler : les meubles changent de place, son mari et ses enfants lui deviennent peu à peu étrangers. Puis ce sont des segments d'un visage inconnu qui se mettent à contaminer son faciès.
Présenté au festival de Cannes de 2009, NE TE RETOURNE PAS a essuyé une volée de bois vert d'une rare violence. Le film ne s'est pas fait descendre, il s'est fait littéralement lyncher par la plupart des journalistes présents (peut-être les mêmes journalistes qui traitaient Charlotte Gainsbourg de «salope» durant sa – formidable - performance dans ANTICHRIST de Lars von Trier). Handicapé par sa présentation cannoise particulièrement malsaine, NE TE RETOURNE PAS fera un flop. Un triste sort pour un film élégant, courageux et qui a l'ambition de faire avancer le cinéma fantastique français hors des sentiers battus. Il était temps, à l'heure où le cinéma de genre «à la française» accumule les productions médiocres n'ayant pour unique initiative que de singer maladroitement les succès américains du moment.
NE TE RETOURNE PAS est le second long-métrage de Marina de Van en tant que réalisatrice. Diplômée de la FEMIS, on la découvre tout d'abord en tant qu'actrice dans SITCOM de son comparse François Ozon (elle y tient le rôle marquant de la sœur sado-maso). Sa collaboration avec Ozon se poursuivra au niveau de l'écriture, puisqu'elle participe au scénario de SOUS LE SABLE ou encore 8 FEMMES. Tournant en parallèle des courts-métrages, Marina de Van passe au long avec le traumatisant DANS MA PEAU en 2002, l'histoire d'une femme redécouvrant son corps par l'automutilation. En mélangeant le cinéma d'auteur et le cinéma d'horreur, Marina de Van donne la sensation de s'inscrire dans le sillon de cinéastes comme David Cronenberg. Malgré de nouveaux courts-métrages (dont LA PROMENADE, sélectionné au César du meilleur court-métrage en 2008), il faudra patienter sept ans pour que la réalisatrice nous propose son deuxième long-métrage. Un long dont la production a malheureusement connu quelques déboires.
A l'origine, il était prévu que le rôle de Jeanne (qui passe d'un corps à un autre) soit interprété par Emmanuelle Devos et Béatrice Dalle. Ce sera finalement Sophie Marceau et Monica Bellucci qui incarneront la double femme, plaçant NE TE RETOURNE PAS sur des rails plus glamours mais aussi plus commerciaux. Derrière sa façade de fantastique du quotidien, le film prévoit en réalité une masse d'effets spéciaux extrêmement complexes. Car, quand Sophie Marceau se transforme en Monica Bellucci, ce sont des «blocs» du visage de l'une qui viennent déformer le visage de l'autre. Une grande partie du film voit donc l'héroïne arborer un faciès bizarre et tordu, à la fois beau et monstrueux. L'entourage de Jeanne n'est pas en reste car son mari bénéficie du même type de transformation, son visage se «fondant» en celui d'un inconnu. Ces trucages, réalisés à l'aide de prothèses virtuelles, devaient être pris en charge par un studio d'effets spéciaux qui ne rendra finalement jamais le travail. C'est la société Mikros Images qui reprendra le bébé et devra accoucher des plans en un temps record. Si le rendu des effets est la plupart du temps exceptionnel, le spectateur étant incapable de différencier la peau des comédiens des prothèses virtuelles qui couvrent une partie de leur visage, cette bousculade dans le planning empêchera Marina de Van d'aller aussi loin qu'elle l'aurait voulu dans la recherche de la monstruosité des transformations. Là où les effets auraient dû nous mettre mal à l'aise, nous sommes finalement en face de trucages sobres, discrets, à la limite de l'invisible.
Outre cette fascination pour le corps «monstre», corps qui semble nous dire qu'il ne nous appartient pas (déjà le sujet de DANS MA PEAU), NE TE RETOURNE PAS mise sur une histoire ancrée dans une normalité qui va se trouver peu à peu bousculée par un fantastique qui s'immisce dans la narration tel un serpent vénéneux. Ce genre de concept, partant qui plus est d'un pitch simple, nous fera toujours penser à un épisode de LA QUATRIEME DIMENSION. Outre la sensation angoissante de voir son quotidien devenir étranger (son appartement, ses proches, son propre corps), Jeanne devra découvrir un secret enfoui au fond de son enfance. Un secret inaccessible car perdu au milieu de souvenirs qui ne lui appartiennent plus, cette dernière étant amnésique suite à un accident de voiture. NE TE RETOURNE PAS est donc également une enquête introspective menée par une femme sous deux incarnations, enquête qui révèlera in fine le lien étrange qui relie ces deux étrangères.
Au niveau de la mise en scène, Marina de Van ne déçoit pas en proposant une mise en image inspirée et réfléchie. On cite souvent Cronenberg lorsque l'on parle de son cinéma, on pourrait aussi ajouter pour cette histoire l'écrivain Philip K. Dick. La première partie du film, qui suit la perte de repères de Sophie Marceau, est sans aucun doute la plus réussie. Nous plongeons la tête la première dans cette ambiance anxiogène où le moindre détail familier nous échappe pour mieux nous acculer dans la folie. Sophie Marceau, actrice aux choix de carrière pas toujours très heureux, est ici absolument incroyable. Après un deuxième acte littéralement porté sur le grotesque (au sens noble) via les transformations, NE TE RETOURNE PAS nous offre une dernière partie moins passionnante. Ce n'est pas la faute du rôle principal attribué à Monica Bellucci, elle aussi excellente malgré un jeu plus retenu. Il s'agit plus du scénario qui, expiant le mystère et l'angoisse, va commencer à rationaliser les évènements. Le dénouement du film, même s'il est parfaitement construit, n'est pas franchement original. Un regret qui, cumulé à des dialogues parfois poussifs et trop démonstratifs, nuit à l'accomplissement de NE TE RETOURNE PAS. Le film n'en est pas moins une excellente surprise dans notre paysage français si balisé. Un cinéma intelligent et élégant qui prouve, si besoin en était, que Marina de Van est une auteure et réalisatrice à suivre (vraiment) de très prés.
NE TE RETOURNE PAS est disponible dans un DVD d'excellente facture, en espérant que cette édition donnera une deuxième chance au film. L'image, au format, est d'une qualité optimale. Les pistes sonores proposent des mixages en stéréo, Dolby Digital ou DTS. Cette dernière piste étant à conseiller pour mieux profiter des montées musicales lors des crises d'angoisses de l'héroïne. La section bonus nous offre l'essentiel avec un making of de près d'une demi-heure. Donnant la parole aux comédiennes, aux artistes des effets spéciaux et bien entendu à Marina de Van, le documentaire brosse tout le spectre du film en se permettant d'être approfondi tout en étant concis. Un excellent making of, qui devient même fascinant quand il donne à montrer la fabrication des plans d'effets spéciaux assez hallucinants. Après ce visionnage de qualité, on fait du coup la fine bouche sur l'interview croisée de Sophie Marceau et Monica Bellucci par le journaliste Laurent Weil. Tourné lors de la présentation du film à Cannes, nous sommes ici dans le sujet télé classique où l'appel du glamour et de la complaisance prévaut sur le moindre argument lié au film ou au travail des comédiennes. On se consolera avec un dernier bonus, peut-être le plus important : une galerie de dessins et de collages par Marina de Van qui ont servi de recherche pour les transformations. On y découvre des images fortes et très déstabilisantes, qui auraient donné un résultat à l'écran aussi étonnant qu'inédit. Ces essais, repoussant les limites du grotesque, nous donne à imaginer ce qu'aurait été le film si le travail sur les effets spéciaux n'avait pas été contrarié. En admettant bien entendu l'hypothèse que le cinéma français aurait accepté que l'on malmène à ce point le visage de deux de ses plus belles stars.
