Bubby (Nicolas Hope) a 35 ans. Il vit enfermé dans un taudis. Sa propre mère le séquestre en lui faisant croire que l'air extérieur est empoisonné. Cette dernière le maintient à un état infantile, le terrorise en lui parlant de Dieu, le bat et abuse de lui sexuellement. Lorsque le père de Bubby revient de manière impromptu dans ce cercle familial malsain, l'univers et la place de l'homme enfant est bousculé. Il tue ses parents et s'aventure dans le monde extérieur.
Quel étrange film que BAD BOY BUBBY. D'origine australienne, le film rafle aux Australian Film Institute Awards de 94 (l'équivalent de notre cérémonie des Césars) les récompenses les plus prestigieuses (meilleur réalisateur, scénario, montage et acteur). Invité en festivals, le film cumule encore les prix, dont le prix spécial du jury lors de la Mostra de Venise en 93. Que de récompenses haut de gamme pour un métrage outrancièrement cru, destabilisant et ouvertement malade. Sorti confidentiellement en France en 1995, le film s'était vu attribuer le «Prix très spécial» par les journalistes Jean-Claude Romer et Gérard Lenne. Un prix qui rattache très justement BAD BOY BUBBY à la famille des films inclassables, aussi fascinants que dérangeants. Peu diffusé après sa carrière en salle (sa distribution vidéo se fera sur le tard), le métrage gagnera avec les années un statut de film culte.
BAD BOY BUBBY est le quatrième long-métrage du réalisateur Rolf de Heer, qui deviendra plus tard un habitué du Festival de Cannes avec des films comme LA CHAMBRE TRANQUILLE en 96 ou encore DANCE ME TO MY SONG en 98. Passionné par le monde des enfants (son premier film, SUR LES AILES DU TIGRE, est un conte), par la musique (il fait jouer Miles Davis dans DINGO, son troisième film), Rolf de Heer est aussi un formaliste pointu et un expérimentateur fou. Pour BAD BOY BUBBY, le réalisateur engage pas moins de 32 directeurs de la photographie pour que chaque décor du film ait son propre cachet. Afin que le spectateur soit extrêmement proche du personnage principal et perçoive l'environnement de son point de vue, Rolf de Heer va même jusqu'à effectuer la majeure partie des prises du son du film via deux microphones cachés dans les oreilles du comédien.
Au cœur de ces partis pris techniques très étonnants, BAD BOY BUBBY fonctionne comme une fable picaresque, comme une sorte de Candide version dégénéré. Tout d'abord enfermé pendant 35 ans dans une même pièce, Bubby est un homme resté à l'état d'enfant. Il ne maîtrise pas le langage, subit les maltraitances de sa mère tout en étant terrorisé par les dogmes religieux imposés par cette dernière. Dépendant autant d'un point de vue oedipien que d'un point de vue de victime face à son bourreau, Bubby accepte tout de cette horrible mère et reporte sa frustration sur des chats qu'il martyrise pour défouler sa propre souffrance. Son évasion est une éternelle référence à l'allégorie de la caverne où Bubby va découvrir le monde avec son âme d'enfant sans être préparé à ses aberrations.
Victime de la violence et du regard de l'autre, l'aventure de Bubby à l'extérieur est l'histoire d'un long apprentissage de la civilisation dans toute son absurdité. La narration s'organise en autant de scénettes suivant le hasard des déambulations du personnage : la découverte presque onirique d'une chorale de l'armée du salut, un viol dans une prison, l'intégration dans un centre pour handicapés et surtout la rencontre avec un groupe de rock. Car si Bubby verbalise peu ou mal, la musique va devenir son champs d'expression privilégié. Face au micro, notre héros parvient enfin à se lâcher et raconter ses sentiments dans des chants punks grisant d'énergie. Une libération par la musique qui vient toiser l'échec de la libération par la foi chrétienne, la religion étant la cible privilégiée de ce film qui ne cesse de railler son «incompétence» et son régime de terreur.
Bien entendu, il va sans dire qu'un tel film repose quasi totalement sur les épaules de son interprète principal Nicolas Hope. Repéré dans un court-métrage par Rolf de Heer, Hope livre une performance d'autant plus incroyable qu'il n'était pas professionnel à l'époque. Tour à tour fragile et terrifiant, le comédien tient le film de manière admirable et permet de ce fait de valider les expérimentations de la mise en scène que nous n'aurions sûrement pas tolérées avec un personnage plus classique. Si la photographie est souvent somptueuse, elle s'attarde cependant à décrire des images rugueuses et peu confortables. Le rapport au corps est d'ailleurs très déstabilisant, Rolf de Heer filmant tout le long du film la nudité de corps peu gracieux. Cette vision particulièrement crue de l'être humain fera sans aucun doute décrocher beaucoup de spectateurs. Car aussi étonnant soit-il, BAD BOY BUBBY n'est pas un film «agréable» à regarder. C'est un océan de noirceur assez dépressive, au rythme lent, où surnagent quelques pépites d'instants magnifiques. Parmi celles-ci, citons la séquence où un scientifique apporte à Bubby la preuve de la non-existence de Dieu via un monologue décliné le long d'un travelling détaillant une usine. Une magnifique séquence parmi celles qui nous hanterons longtemps après la vision du film.
Si le film est déjà disponible en DVD y compris en France, BAD BOY BUBBY est aussi disponible, à présent, en Bluray via l'éditeur américain Blue Underground. L'image, au format, est de qualité satisfaisante malgré un grain un peu prononcé. On n'en attendait pas mieux étant donné la confidentialité du titre. Au niveau des pistes sonores, nous avons le choix entre un mixage DTS HD Master Audio ou TrueHD pour des rendus, avouons-le, très similaires. Comble de l'ironie, ces pistes audios à gros débit nous reproduisent la prise de son très «spéciale» du film qui est tout sauf high-tech. Un carton au début du film nous informe du parti pris de Rolf de Heer d'avoir enregistré le son via les deux micros collés aux oreilles du comédien. Pour les non anglophones, des sous-titres français sont disponibles sur le film.
Niveau bonus, l'édition se fend de suppléments très intéressants. Au lieu de parier sur un commentaire audio délayé, le disque nous propose un excellent entretien d'une vingtaine de minutes avec Rolf de Heer. Sans temps mort, le cinéaste nous livre une somme d'anecdotes formidables sur le film. On y apprend que le cinéaste mis dix ans à écrire le script et qu'il y injecta énormément de moments de vie réels dont il fut le témoin (comme cet handicapé en fauteuil roulant volant le sac à main d'une passante). Il nous parle aussi longuement de ses choix artistiques pour le moins surprenants et nous révèle qu'il voulait initialement aller encore plus loin. Il souhaitait que la première partie du film dans le taudis soit au format «carré» 1.33 pour passer au format Scope une fois Bubby dehors. Mais le résultat à l'écran, trop extrême et insupportable à regarder, le fera changer d'avis. Le film est donc intégralement au format 2.35.
Une nouvelle interview nous attend, avec Nicolas Hope cette fois. Beaucoup moins analytique que Rolf de Heer, le témoignage de l'acteur se focalise plus sur le ressenti d'un tournage où il donna beaucoup de lui-même. Le comédien révèle que nombre de séquences, conçues comme du documentaire, lui laissait un champs d'improvisation assez important. Enfin, Nicolas Hope termine sur une anecdote flippante d'une rencontre avec une famille australienne «s'amusant» à vivre enfermée les uns avec les autres. Dernier bonus de choix, la présence de CONFESSOR CARRESSOR de Timothy Nicholls avec Nicolas Hope, court-métrage qui avait convaincu Rolf de Heer du talent du comédien. CONFESSOR CARRESSOR adopte une forme documentaire pour nous dresser le portrait d'un serial killer joué par Nicolas Hope. Si la cinématographie du film laisse à désirer et que le scénario fait dans le classique, la performance de l'acteur est indiscutablement hallucinante. Le comédien mange l'écran et provoque cette étrange fascination que Rolf de Heer parviendra à développer puissance 10 dans BAD BOY BUBBY.