Trois longues années auront été nécessaires pour que le cinéaste, scénariste et producteur danois, Pal Sletaune, décide d'entamer la réalisation de son troisième métrage. Bénéficiant d'une petite notoriété suite aux comédies noires BUDBRINGEREN (JUNK MAIL,1997) et AMATORENE (YOU REALLY GOT ME, 2001), l'homme s'essaie au huis clos psychologique avec NABOER (NEXT DOOR, 2005). Cette incursion au sein d'un genre requérant des comédiens charismatiques conduit Kistoffer Joner, Cecilie A. Moesli et Julia Schacht, plutôt habitués aux prestations télévisuelles, à exploiter toute l'étendue de leur talent. Si la présence au générique du célèbre compositeur Simon Boswell confère à l'oeuvre un surcroît de légitimité, celle-ci repose d'abord sur l'engouement qui accompagne en ce moment la découverte de maints films scandinaves dans l'hexagone.
Ébranlé par le départ de sa fiancée (Anna Bache-Wiig), Johan (Kistoffer Joner) éprouve une attirance perverse pour deux étranges voisines (Cecilie A. Moesli et Julia Schacht) dont la rencontre marque le début d'une aventure autant troublante qu'angoissante.
NEXT DOOR s'intéresse donc aux relations de voisinage entretenues par notre héros avec de fort curieuses jeunes femmes. À ce titre, le cinéaste emprunte au genre fantastique une thématique dont l'indéniable potentiel a notamment inspiré Roman Polanski dans ROSEMARY'S BABY et LE LOCATAIRE. Établissant une proximité qui très souvent confronte les êtres au caractère artificiel de liens sociaux exempts d'humanité, l'immeuble assoit la solitude des locataires et par élargissement surenchérit l'ampleur de leurs psychoses. A priori hostile, ce type d'environnement alimentera quelque climax malsain comme celui posé par Michael Winner dans sa célèbre SENTINELLE DES MAUDITS. L'oeuvre de Pal Sletaune ne déroge point à la règle afin de développer une atmosphère particulière, propice à l'exacerbation d'une paranoïa évidemment proportionnelle à la fragilité psychologique du personnage. Une peinture jaune moutarde singularise un long couloir dont l'éclairage aléatoire ajoute à l'esthétique glauque d'une bâtisse mal entretenue, apparemment peu habitée et dénuée de convivialité. Conformes au dit décor, les voisines tiennent des propos énigmatiques et réussissent à attirer leur proie chez elles. Naturellement troublé par les vamps, Johan s'offusque pourtant de leur curiosité, celle qui les pousse à écouter attentivement les bruits, paroles ou cris provenant de son appartement. La finesse du mur mitoyen facilite une effrayante intrusion dans la sphère privée, viol d'une intimité que la pseudo victime se doit alors de préserver. Dépossédé de lui-même, l'homme se dévoile à travers deux observatrices lesquelles équivaudront à une sorte de miroir de la psyché. Ainsi la métaphore spatiale prend-elle en charge la mise en scène de l'inquiétante étrangeté en vue de nous dépeindre l'intense et insondable noirceur du désir sexuel. Le va-et-vient entre les appartements souligne l'opposition autant réelle que symbolique des deux endroits. Hauts-lieux du quotidien, de la réalité, de la raison, les chambre, cuisine, salon du protagoniste bénéficient d'un agencement et d'une décoration extrêmement sobres, voire épurés. Consciencieusement rangées, ces pièces illustrent une indéniable prédilection pour les couleurs claires. L'habitat des femmes, en revanche, renferme une multitude de meubles, objets, déchets dont la claustrophobie consécutive se trouve accentuée par les teintes sombres prédominantes ici. Allégorie de l'inconscient, cette antre affiche la configuration labyrinthique qui du mythe grecque aux souterrains gothiques, permet à de nombreux artistes d'apparenter certains de leurs décors aux circonvolutions de l'esprit. La déambulation du mâle au sein de cette toile d'araignée acquière une signification pareillement explicitée par des scènes révélatrices.
L'entreprise de séduction effectuée par une des donzelles, avachie jambes écartées sur un canapé, conduit notre héros à assouvir quelques désirs inavoués via un coït sanguinolent. Propos obscurs, oeillades et moues aguicheuses ; cette version un peu sordide de la mythique femme fatale sous-tend la découverte, traditionnelle dans notre genre, d'un trauma. Dès lors, la bipolarité spatiale paraît s'atténuer suivant une fusion subtile des cadres référentiels. L'assiette entrevue dans la cuisine de Johan réapparaît dans celle des diablesses tandis qu'une photographie représentant l'une d'elles orne les murs du voisin. L'inconscient déborde sur son équivalent platonicien pour conférer au monde représenté une dimension fantastique. Cette dilatation de l'espace-temps consacre une immersion dans la folie laquelle reste parfois caricaturale.
En effet, la lecture psychanalytique des événements détermine excessivement la mise en scène au risque d'atténuer l'ambiguité et en cela l'indispensable suspense du scénario. À l'origine des épisodes apparemment irrationnels, la focalisation interne ne laisse jamais au spectateur la possibilité d'interpréter l'histoire sous l'angle surnaturel. Parallèlement et en dépit d'une prestation satisfaisante, le personnage central s'avère moins crédible que ses prédécesseurs (Carole dans RÉPULSION ; Trelkovsky dans LE LOCATAIRE) puisque la maladie mentale n'est pas un thème mais le ressort d'une métaphore. Ce parti pris demeure regrettable au regard d'une photographie, d'une mise en scène et d'une musique sachant traduire les émotions naturellement violentes du héros. Malgré ses qualités, NEXT DOOR accuse donc de grosses lacunes narratives, faiblesses inexcusables lorsqu'elles s'attachent à un huis clos.
Si l'on excepte six bandes-annonces en version originale sous-titrée, l'édition de NEXT DOOR estampillée StudioCanal, n'offre aucun bonus et se caractérise par un encodage tout juste correct. En 16/9ème, Scope 2.35, l'image présente une définition satisfaisante malgré des artefacts de compression et des contrastes insuffisamment appuyés. En Dolby Digital 5.1 et stéréo Dolby Surround, le son proposé en version originale sous-titrée souffre apparemment d'un doublage, d'autant désagréable que particulièrement visible, certainement issu d'une post-synchronisation des acteurs. Contrairement à son équivalente stéréo Dolby Surround, la piste 5.1 est bien spatialisée. Moins puissante, plus étouffée, la version française décevra, quant à elle, les amateurs.