Comme d'autres, Jeanne et Paul ont beaucoup perdu lors du tsunami de 2005. Leur jeune fils Joshua n'est ainsi jamais réapparu et si Paul semble s'être résigné, son épouse refuse en revanche d'accepter la dure réalité. Aussi, lorsqu'elle croit voir son enfant au détour d'une vidéo, son sang ne fait qu'un tour et elle décide d'entraîner son mari au-delà des frontières Birmanes. Incapable de raisonner Jeanne et désireux de redonner vie à leur couple, Paul accepte de s'engager dans cette absurde excursion. Pour cela, ils devront faire appel à de bien peu recommandables individus qui les mèneront au coeur d'une jungle hostile et étrange...
Après un CALVAIRE maîtrisé en 2004, le réalisateur Belge Fabrice Du Welz récidive dans son exploration du désespoir et d'une insurmontable solitude engendrée par la perte d'un être cher. Pour VINYAN, l'homme évitera cette fois-ci de verser dans l'horreur pure et abordera son sujet de manière plus tangible, plus «réelle» et donc davantage viscérale. Pour cela, Du Welz fait appel à des images connues de tous, celles d'un événement qui a terrifié le monde entier par sa puissance, sa soudaineté et son caractère aussi imprévisible qu'inéluctable. Cette vision collective, c'est celle du tsunami de fin 2004, lequel emporta avec lui plus de 230.000 hommes, femmes et enfants de toutes nationalités. Cependant et alors que le cinéma actuel se plait à tout montrer, le réalisateur prend le parti intelligent d'éviter les séquences voyeuristes et bien peu respectueuses dont nous ont abreuvés les journaux télévisés. L'homme suggérera donc le chaos, la violence et la mort via un générique d'introduction d'une incroyable efficacité. Durant plus de trois minutes se mêleront ainsi une eau bouillonnante et omniprésente, d'imperceptibles formes, des cheveux, des hurlements étouffés puis du sang. D'une force redoutable, cette imagerie dérangeante suffit à impliquer le spectateur, à le mettre dans une situation de réel inconfort et à le rendre pleinement réceptif au profond désarroi du couple de protagonistes.
Générique passé, ces deux âmes en peine nous serons donc brièvement mais efficacement présentées. Emmanuelle Béart est alors une belle femme à la silhouette aussi sensuelle que maternelle. Une femme que l'on imagine aussi profondément triste, sentiment aisément renforcé par le regard bleu et froid de l'actrice. Malheureusement, Emmanuelle Béart est aussi un choix risqué pour un tel film. Souvent limitée dans son jeu, notre MANON DES SOURCES nationale n'a guère évolué au fil de sa carrière et nous ressert encore et toujours, malgré les années, le même visage figé et dénué d'émotion. Coup de chance pour VINYAN, ce «jeu» colle globalement avec le mutisme de son personnage. Il sera cependant frustrant de constater que si la folie et l'enfermement spirituel de Jeanne vont crescendo, la prestation de Béart, elle, ne suit guère. La performance de l'acteur Rufus Sewell, véritablement habité par son rôle, sera pour sa part d'un tout autre tonneau. Tout d'abord compatissant, l'acteur offrira par la suite à son personnage une impressionnante palette d'émotions, allant de la colère à la perte de repères, pour finir par une fascinante et émouvante incompréhension. Sewell porte indiscutablement VINYAN sur ses épaules, maintenant sur la durée un équilibre émotionnel vital à l'entreprise, l'empêchant avec talent de sombrer dans la pure prouesse formelle.
Car s'il est une chose qui emportera sans mal l'adhésion à la vision de VINYAN, ce sont bien ses indiscutables et incroyables qualités esthétiques. Faisant preuve d'une minutie que l'on imagine maladive, Fabrice Du Welz et son directeur de la photographie Benoît Debie semblent ainsi avoir chéri chaque plan, chaque image, chaque mouvement de caméra avec la même application, la même tendresse... VINYAN offre ainsi une vision réaliste et paradoxalement peu commune de la jungle thaïlandaise, dévoilant tout ce qu'elle peut avoir d'envoûtante, de mystérieuse et d'inquiétante. L'onirisme qui se dégage alors du film sera tel qu'il ne sera pas sans évoquer celui d'un AGUIRRE, LA COLERE DE DIEU. Mais si Benoît Debie parvient à capter la moiteur et la chaleur des lieux avec un indiscutable talent, n'oublions pas pour autant les responsables de l'ambiance sonore qui restitueront pour leur part tout ce que la faune locale peut avoir d'étonnante. Nous noterons ainsi et par exemple la présence insistante et ô combien entêtante de curieux chants d'insectes, tels que ceux des Aola bindusara ou des différents Pomponia...
Difficile face à un tel travail de ne pas se sentir transporté voire dépaysé par cette Thaïlande version VINYAN. Malheureusement, cette force véritable s'avère être aussi une faiblesse lorsqu'en de rares instants, la poésie des images prendra le pas sur le réalisme et prêtera même à sourire. Ce sera le cas par exemple de cette magnifique séquence nous dévoilant une Emmanuelle Béart nue, endormie et momentanément soulagée de ses maux. Malgré la sensibilité et la teneur symbolique d'une telle image, comment ne pas s'étonner de voir cette occidentale aux courbes provocantes dormir dans le plus simple appareil et ce dans un village de pirates situé au coeur d'une jungle peuplée de bestioles pour le moins hargneuses !
Si ces quelques dérapages n'affectent que peu l'immersion dans la quête de nos personnages principaux, ils tendent en revanche à plomber un final que nous qualifierons sans peine de déception. Celui-ci se compose en réalité de deux séquences là encore soignées mais malheureusement inadaptées car trop extrêmes et décalées en regard de la juste tempérance émotionnelle du métrage... La première de ces scènes relève en effet d'un grand-guignolesque qui n'aurait pas fait tâche au sein d'une bisserie transalpine alors que la seconde, particulièrement osée il est vrai, est rendue inefficace par une direction d'acteur défaillante... L'épilogue de CALVAIRE s'avérait frustrant mais le manque de sobriété et de maîtrise de celui de VINYAN se montre carrément pénalisant. Le constat est d'autant plus regrettable que Fabrice Du Welz nous entraînait alors peu à peu et «naturellement» dans un univers irréel peuplé de «vinyans», à mi-chemin entre celui, fantasmagorique, de «Peter Pan» et celui, tristement crédible, de SA MAJESTE LES MOUCHES…
Peut-être était-ce là tout simplement trop pour le jeune réalisateur qui, de surcroît, n'a fait que cumuler les difficultés (tournage en Thaïlande et en langue anglaise) sur un tournage d'une ambition hors-normes. Si l'audace de l'entreprise est à saluer, espérons qu'«ambition» ne finira pas par rimer avec «prétention» et que Du Welz saura, pour ses prochaines oeuvres, marier émotion et esthétique jusqu'au bout et avec la même application. En attendant, sachons profiter de ce VINYAN qui, bien qu'imparfait et quelque peu frustrant, s'avère suffisamment riche et différent pour retenir l'attention.
L'éditeur Wild Side nous propose de recréer la jungle thaïlandaise à domicile via l'édition DVD que nous chroniquons ici. Fidèle à son habitude, l'éditeur fait plutôt bien les choses, à commencer par des menus d'une beauté indiscutable. Le film sera quant à lui proposé au ratio d'origine 2.35 via un encodage 16/9ème qui nous apparaît comme maîtrisé. Reste que pour en arriver à de telles conclusions, il convient d'en dire un peu plus sur la nature de l'image telle qu'elle fût pensée par Benoît Debie et Fabrice du Welz. A savoir que le réalisateur souhaitait un tournage en Super 16 afin d'obtenir une image aussi «brute» que possible. Le 35mm sera finalement choisi mais la finalité demeurera intacte, à savoir récréer une image granuleuse aux couleurs saturées, voire baveuses. Nous sommes ici bien loin des photos promotionnelles mises en avant lors de la sortie en salle ! Déroutante, l'image de VINYAN l'est donc sans aucun doute. Reste que les compétences de l'éditeur ne sont ici pas en cause et qu'il convient donc de saluer une copie respectueuse, «propre» et dénuée de défauts de compression.
Sur le plan sonore, Wild Side privilégie fort logiquement la version originale qui, rappelons-le, est l'anglais. Là encore, on pourrait s'étonner de voir qu'une équipe majoritairement francophone (la production est de surcroît Franco-Belge aux deux tiers) ait opté pour un tournage en langue de Shakespeare. Ce choix s'avère cependant naturel à l'écoute du métrage, notamment lorsqu'interviennent les acteurs thaïlandais. Lors de ces séquences, nous retrouvons alors l'accent si particulier des Thaïs s'exprimant en anglais, lequel apporte un plus indiscutable en terme d'immersion. Ce «charme», nous en serons bien évidemment privé dans le doublage français qui nous semble donc à bannir. Ajoutons pour en finir avec cette piste qu'elle se montre particulièrement déséquilibrée et priorise grandement les dialogues au détriment de l'ambiance. La version originale en DTS 5.1 ne commet bien évidemment pas cette erreur et nous permettra de profiter pleinement de la richesse sonore déjà évoquée plus haut. Les spectateurs n'ayant pas le matériel nécessaire au décodage du DTS pourront se tourner vers la piste stéréo qui, à défaut d'être aussi dynamique que sa grande sœur, s'avère suffisamment claire pour une écoute agréable.
Abordons maintenant l'interactivité qui débute dès l'insertion du disque avec une flopée de bandes annonces de films sortis ou à sortir chez Wild Side. Nous aurons donc droit à LA FAMILLE SURICATE, TWO LOVERS, MARTYRS, SOUTHLAND TALES et HANSEL ET GRETEL. Le film annonce de VINYAN sera pour sa part accessible via les menus du disque, lesquels ne nous permettront pas de re-visionner les cinq bandes-annonces précitées.
Le premier véritable supplément lié à VINYAN se lancera sans notre consentement avant que ne débute le film. D'une durée de deux minutes (et non cinq comme annoncé sur la jaquette), celui-ci donne la parole à Fabrice Du Welz qui introduit alors son oeuvre. La démarche est ici malheureuse car le réalisateur semble partir du principe que si son film n'a pas fonctionné, c'est avant tout parce qu'il n'a pas été compris. Or VINYAN n'a rien d'un métrage complexe ou d'une œuvre à tiroirs. Pour ceux qui connaissent le film, cette introduction ressemblera donc quelque peu à une «explication pour les nuls» un peu malvenue. Pour ceux n'ayant pas encore goûté le métrage, ces deux minutes seront là encore saugrenues puisque dévoilant une part de l'intrigue, ou plutôt le virage qu'elle va prendre dans son troisième tiers…
Le making-of affiche pour sa part une durée relativement conséquente excédant les cinquante minutes. Bien que l'ennui s'invite par instant, ce document est une fenêtre intéressante sur un tournage réalisé dans des conditions difficiles et ce avec peu de moyens. Pas de congratulations mutuelles ici, pas plus que de sourires du reste. Le tournage fut une épreuve quotidienne et les images le prouvent. L'exigence du réalisateur, le perfectionnisme de l'acteur principal, la météo lunatique et l'incroyable efficacité des techniciens Thaïs... tout cela se mêle et se retrouve dans ce making-of que l'on ressent comme honnête car dévoilant des désaccords, des intervenants à bout de nerf et des images finalement assez peu flatteuses... Intéressant.
A cela s'ajoute un entretien croisé entre Fabrice Du Welz et son directeur de la photographie Benoît Debie. Durant plus de vingt minutes, les deux hommes n'auront de cesse de nous abreuver d'informations liées à l'identité visuelle du métrage. Pour cela, les deux hommes évoquent leur passif, leur rencontre et leurs aspirations communes. Leurs collaborations viennent rapidement sur le tapis et c'est naturellement que VINYAN sera décortiqué sur le pur plan graphique. Debie et Du Welz décrivent alors leurs souhaits, leurs choix puis les moyens mis en œuvre pour y parvenir. La collaboration avec les techniciens thaïlandais fait bien évidemment partie des thèmes abordés et sera même étayée de quelques sympathiques anecdotes. Pertinent de bout en bout, ce document se montre étonnamment dynamique et permet d'aborder VINYAN sous un autre angle, celui d'une production réalisée avec grand soin malgré des moyens relevant souvent du système D.
Terminons enfin le tour de cette belle édition en évoquant les trois galeries d'images qui nous sont ici proposées. La première nous dévoile une grande série de photographies de tournage réalisée par Tanaporn Arkmanon. Leur valeur relève davantage du documentaire que de l'artistique et ce par opposition avec la galerie suivante, dédiée au travaux de Marcel Hartmann. Si cette seconde succession d'images se montre moins fournie, elle propose en effet de bien jolis clichés au cadrage parfaitement maîtrisé. Dommage que Wildside ait décidé de sertir le tout d'un cadre feuillu plutôt douteux… La troisième galerie nous dévoilera pour sa part l'intégralité du fameux «cahier souvenir» que le personnage de Jeanne transporte et cache durant le métrage.