Le scénario de MIRACLE SUR LA 34EME RUE naît dans l'esprit de Valentine Davies, alors officier, en 1944, en réaction à la cohue commerçante qu'il constate dans les grands magasins lors des fêtes de Noël. La course au cadeau, la publicité et les méthodes commerciales les plus agressives lui semblent prendre le pas sur la Magie inhérente à cette période de l'année, période qui, pour lui, doit être avant tout la fête des enfants. Cette histoire de son invention, il la soumet à son ami George Seaton, scénariste et réalisateur auprès du studio 20th Century Fox. Seaton s'enthousiasme pour elle et la propose à son tour au tout puissant Darryl F. Zanuck, directeur de la Major. Convaincu, Zanuck donne le feu vert à George Seaton et Valentine Davies pour la création du long métrage.
Les deux hommes finalisent alors la mise en forme du scénario de MIRACLE SUR LA 34EME RUE. Une fois réunie une brochette de comédiens adéquats, le tournage peut commencer en hiver 1946. L'équipe se rend à New York pour filmer sur des sites authentiques, comme le magasin Macy's ou la 34ème rue du titre ! Ensuite, la production s'installe en Californie pour une fin de tournage plus classique, dans les studios de Hollywood.
Pour ce métrage, la Fox fait appel à des acteurs maisons, avec par exemple le jeune premier John Payne, habitué des comédies musicales. A ses côtés, nous trouvons l'actrice irlandaise Maureen O'Hara, Star incontournable de l'âge d'or de Hollywood. Révélée par le film anglais LA TAVERNE DE LA JAMAIQUE d'Alfred Hitchcock, elle rencontra à cette occasion Charles Laughton, vedette des deux côtés de l'Atlantique, qui lui propose de travailler à Hollywood. Elle accepte, et le tandem d'artistes se voit réuni dans QUASIMODO la même année. Mais, avec le déclenchement de la seconde guerre mondiale, la politique migratoire des Etats Unis se raidit soudainement. Maureen O'Hara n'est plus autorisée à sortir du territoire jusqu'à 1945 ! Ce séjour prolongé lance définitivement sa carrière jalonnée de chef-d'œuvres, en particulier auprès du réalisateur John Ford.
Indispensable dans tout bon film de Noël, l'enfant de service est ici incarné par une petite comédienne d'à peine huit ans, appelée à connaître une carrière pour le moins stellaire : Natalie Wood, qui fait alors ses toutes premières armes sur le grand écran ! Dans le rôle de Kris Kringle, alias le Père Noël, nous retrouvons Edmund Gwenn, acteur britannique plutôt spécialisé dans les seconds rôles, que ce soit dans des longs métrages anglais (CORRESPONDANT 17 d'Alfred Hitchcock) ou américains (LE MORT QUI MARCHE de Michael Curtiz, dans lequel il ramenait à la vie un défunt joué par Boris Karloff).
Doris Walker, responsable de la communication au grand magasin new yorkais Macy's, craint que la grande parade annuelle organisée lors des fêtes du Thanksgiving ne tourne au désastre : le figurant recruté pour jouer le Père Noël est en effet un ivrogne plongé dans un état d'ébriété très avancé ! Doris engage à la va-vite un passant ayant exactement le physique de l'emploi. Ce brave vieillard accepte «pour faire plaisir aux enfants» : sa prestation est si convaincante que le magasin l'invite pour tenir le rôle du Père Noël officiel de Macy's durant toutes les fêtes de fin d'année. Doris comprend rapidement que ce personnage prend son rôle trop à coeur. Et pour cause : le vieil homme prétend être le vrai Père Noël ! Il emploie des méthodes de marketing très peu conventionnelles... comme renvoyer certains clients vers un magasin concurrent, mieux à même de répondre à leur besoin !
Pour bien comprendre de quoi parle MIRACLE SUR LA 34EME RUE, une petite leçon de géographie new-yorkaise s'impose. A l'angle de Broadway et de la 34ème rue se trouve le grand magasin nommé Macy's, lui-même situé à proximité d'un autre commerce du même style - et concurrent - nommé Gimbel's. Chaque année, à l'occasion de la fête du Thanksgiving (elle a lieu quelques semaines avant Noël), Macy's organise une grande parade publicitaire à l'attention des enfants. Si l'on voulait comparer cela à des institutions plus proches de nous, nous évoquerions les Galeries Lafayette du boulevard Haussmann à Paris, situées juste à côté d'un Printemps, et attirant chaque année les petits chalands au moyen de ses célèbres vitrines animées !
MIRACLE SUR LA 34EME RUE a été tourné avec l'accord des deux grands magasins de Broadway, lesquels ont permis l'utilisation de leurs noms et de leurs locaux pour le tournage. Mais en se réservant le droit de revenir sur leur décision si le produit terminé ne leur convient pas ! Ainsi, les scènes se déroulant durant la parade Macy's de Thanksgiving ont réellement pu être tournées durant cet évènement !
Pourtant, MIRACLE SUR LA 34EME RUE est loin d'être une ode aux grands magasins dans le style de Macy's. Au contraire même, puisqu'il critique l'exploitation mercantile des fêtes de fin d'année telle qu'on la rencontre dans ces grandes enseignes. Communication publicitaire manipulatrice, course au profit et cohue des week-ends n'ont que peu de rapport avec le vrai Esprit de Noël. Tout du moins, c'est ce que pense ce vieillard barbu qui se fait appeler Kris Kringle et qui se voit recruté par Macy's, presque par accident, pour incarner le personnage qu'il prétend être en réalité, à savoir le Père Noël !
A priori, et dans une époque aussi censée que la nôtre ou que l'Amérique du Nord des années 40, un vieux monsieur se prenant pour le Père Noël est immédiatement qualifié de plus ou moins gentil illuminé. On l'écoutera et on le traitera avec plus ou moins de bienveillance, selon qu'on le considère dangereux pour les autres ou inoffensif ! En ce sens, MIRACLE SUR LA 34EME RUE joue constamment l'ambiguïté. Si ce Père Noël ne manifeste jamais réellement d'aptitude surnaturelle, bien des coïncidences étranges peuvent laisser à penser qu'il est peut-être trop convaincant pour n'être qu'un simple fou ! Il faut dire que l'acteur Edmund Gwenn incarne un bon Papa Noël pour le moins très convaincant, rond et chaleureux, affichant en permanence une personnalité pleine de jovialité et de bienveillante malice...
Dès lors, pour le spectateur et pour les personnages du film, l'enjeu du métrage consiste à littéralement «croire au Père Noël» ! Doris Walker est une sceptique par excellence. Mère de famille divorcée, elle a été abandonnée par son mari en qui elle a trop «cru». Travaillant dans la «communication commerciale», elle ne s'y connaît que trop bien en mensonge institutionnalisé. Elle pense qu'il faut sans cesse remettre en question ce qui n'est pas raisonnable et crédible. Ce scepticisme, compréhensible de sa part, elle le transmet à sa fille Susan, à laquelle elle apprend qu'il n'y a pas de Père Noël ou de Prince Charmant qui l'attendent dans son avenir de fillette et de femme.
Face à elles, nous trouvons Fred, leur voisin, un avocat célibataire, épris de Doris. Il est le premier à croire Mr. Kringle. Il l'accueille même dans son appartement afin de lui offrir un logis... et surtout pour que ce personnage plein de fantaisie l'aide à convertir Doris et Susan à une approche plus optimiste de l'existence.
«Croire au Père Noël» va aussi devenir l'enjeu d'un conflit entre Kris Kringle et monsieur Sawyer, psychiatre inspectant la santé mentale des employés de Macy 's. Un conflit qui se règle devant la justice, un juge se voyant obligé de trancher sur la réalité de l'existence du Père Noël !
Car «croire au Père Noël», c'est croire en ce qui n'est «pas prouvé», c'est à dire s'ouvrir aux rêves, être capable d'inventer ce qui n'existe pas, ce qui n'existera peut-être jamais… ou ce qui existera peut-être un jour ! C'est pouvoir se projeter dans l'avenir, s'ouvrir au jeu, à la créativité et à l'inventivité.
Partant en guerre contre les abus d'une modernité rationnelle à l'excès, le Kris Kringle de MIRACLE SUR LA 34EME RUE s'attaque, à sa manière débonnaire et souriante, à tous les ennemis de l'Esprit de Noël : la publicité et les manipulations commerciales ; la pédopsychiatrie poussée dans ses retranchements les plus morbides ; les excès d'une éducation desséchée... Bref, à tout ce qui pourrait vider les périodes de Noël de leur raison d'être, à savoir dégager un temps consacré à l'émerveillement et à l'amusement de tous les enfants !
Il faut bien le reconnaître, MIRACLE SUR LA 34EME RUE fonctionne remarquablement bien. Réalisateur sans génie, George Seaton se contente certes d'illustrer cette fable à la manière d'une comédie hollywoodienne humaniste très classique, dans une acceptation très «Capraesque» du terme. Mais l'astucieuse simplicité de cette fable, ainsi que l'écriture habile de ses dialogues et de ses situations, en font une solide réussite, servie par une galerie homogène de comédiens excellents jusque dans les seconds rôles. En effet, si nous nous souvenons immanquablement de Maureen O'Hara en maman anxieuse ou de Natalie Wood en petite fille sérieuse jusqu'au cocasse, nous gardons aussi en mémoire Gene Lockhart, hilarant magistrat dépassé par un procès hors du commun ; ou Porter Hall, psychiatre aigri et perclus de tics ! La prestation la plus emblématique du métrage reste évidemment celle d'Edmund Gwenn, adorable Père Noël, tout en intelligence, en drôlerie et en conviction. Il reste définitivement LE Père Noël de l'âge d'or hollywoodien. Il n'a donc pas volé l'Oscar que lui a valu cette prestation !
Lors de sa production, MIRACLE SUR LA 34EME RUE est considéré comme une production familiale à petit budget. Il se voit curieusement distribué en plein été, pour profiter du public d'enfants alors en vacances. MIRACLE SUR LA 34EME RUE sort simultanément sous forme d'un livre (un petit roman que signe Valentine Davies) et d'un long métrage.
Ce film rencontre un grand succès et devient, sur le long terme, un des très grands classiques du cinéma de Noël américain, juste derrière LA VIE EST BELLE ! Suivant la logique hollywoodienne, il sera décliné sous diverses formes, dont trois téléfilms. Surtout, en 1994, une nouvelle version pour le cinéma de MIRACLE SUR LA 34EME RUE est réalisée par Les Mayfield et interprétée par Richard Attenborough. Ces succédanés n'ont jamais détrôné la version originale du MIRACLE SUR LA 34EME RUE. Au gré des reprises, des diffusions télévisées, des éditions vidéos et DVD, elle a toujours renouvelé son audience : en effet, les vrais classiques sont immortels !
Parmi les Majors, la 20th Century Fox est, avec Warner, le studio qui prend le plus soin de son catalogue de titres classiques, proposant souvent des éditions DVD soignées, dans des collections de prestige, telles que «Fox Studio Classics» ou «Fox Film Noir». Avec l'Edition Spéciale de MIRACLE SUR LA 34EME RUE sortie en 2006 aux Etats-Unis, à nouveau, la Fox ne nous déçoit pas, comme nous allons le voir…
MIRACLE SUR LA 34EME RUE est sorti dans un premier temps en 2000, dans une édition Zone 1 dépourvue de tous bonus à l'exception d'une bande-annonce. Puis la même édition a été publiée dans d'autres pays, notamment en France. Fin 2006, le studio révise le tir en proposant une nouvelle édition de prestige, en Zone 1. C'est cette édition américaine que nous allons chroniquer ici.
Elle se présente sous la forme d'un boîtier réunissant deux disques. Le premier d'entre eux contient le film MIRACLE SUR LA 34EME RUE… en version colorisée, ce film ayant en effet initialement été tourné en noir et blanc ! S'il faut reconnaître que de réels progrès ont été observés dans cette technique très discutée, la vision d'un métrage ainsi modifié reste une expérience étrange et artificielle. Sur ce disque nous disposons de plusieurs pistes sonores. Nous avons ainsi une piste anglaise d'origine en mono, d'une qualité tout à fait correcte, ainsi que des doublages mono en français et en espagnol. Par ailleurs, le spectateur dispose d'un sous-titrage pour malentendants en langue anglaise et d'un sous-titrage espagnol. Malheureusement, aucun sous-titre français à signaler...
Qui plus est, ce DVD de MIRACLE SUR LA 34EME RUE propose un récent remix en Dolby Digital 5.1 de la piste sonore anglaise. Le film ayant été exploité uniquement en mono en son temps, l'effort est a priori artistiquement incongru. Malgré des efforts sensibles pour rendre ce mixage aussi homogène que possible, il est difficile de ne pas noter des effets de spatialisation bizarres, un gonflage de la musique et d'autres ajouts de bruitage manquant de naturel. Le mixage mono d'origine reste donc à privilégier.
Le seul bonus inclus sur ce premier disque est un commentaire audio du film par Maureen O'Hara en personne ! Il s'agit d'un montage d'extraits d'une interview récente, dans laquelle la comédienne nous entretient de ses souvenirs liés au film, du fonctionnement très particulier d'un grand Studio de production comme la Fox dans les années 40, ou encore de sa fierté d'avoir participé a MIRACLE SUR LA 34EME RUE. Un commentaire audio intéressant, mais dont la densité tend à se diluer sensiblement à la moitié du métrage, comme les interventions de notre Star – octogénaire, quand même – tendent à se raréfier.
Le second disque propose quant à lui MIRACLE SUR LA 34EME RUE dans sa version d'origine, c'est-à-dire dans son noir et blanc initial que nous vous invitons bien sûr à favoriser pour votre visionnage ! Il propose la même copie que le premier disque, le barbouillage chromatique en moins. Il s'agit d'un télécinéma net et agréable, aux contrastes doux et au piqué naturel. Certains arrières plans trahissent une certaine simplification numérique. Les défauts d'usure, sans être envahissants, sont perceptibles, en particulier vers la fin, l'image se voyant parcourue par moment d'insistantes rayures. Au vu de l'ancienneté du métrage, et pour des bobines qui ont sans doute été très sollicitées au cours des ans, le résultat global est tout de même très honnête. Cette copie noir et blanc est accompagnée des mêmes pistes sonores et du même commentaire audio que le disque contenant la version colorisée.
Ce second disque contient en plus une série de suppléments assez complète. Nous commençons par une featurette télévisuelle «AMC Backstory», durant une vingtaine de minutes. Il constitue un solide petit documentaire sur MIRACLE SUR LA 34EME RUE, sa création et sa popularité, le tout se voyant émaillé d'interviews récentes d'historiens du cinéma ou d'acteurs du film (dont, à nouveau, Maureen O'Hara).
Par la suite, nous accédons à deux minutes d'actualité d'époque, dédiées à la remise des Oscars de 1948, au cours de laquelle Edmund Gwenn vient recueillir sa statuette bien méritée ! Puis, nous pouvons visualiser la bande-annonce de MIRACLE SUR LA 34EME RUE, assez hors du commun. Nous n'y voyons en effet aucune image du métrage : nous suivons, durant environ cinq minutes, un producteur tyrannique et exigeant qui cherche des idées pour promouvoir le film, en arpentant les studios de tournage de la Fox. Il croise Anne Baxter qui lui recommande vivement de voir le métrage ; ou encore Rex Harrison qui, entre deux scènes de L'AVENTURE DE MADAME MUIR – autre film fantastique avec la petite Natalie Wood ! – professe à son tour tout le bien qu'il pense de MIRACLE SUR LA 34EME RUE.
Le supplément suivant est pour le moins substantiel : il s'agit du premier remake de MIRACLE SUR LA 34EME RUE, à savoir la version tournée pour la télévision en 1955 par Robert Stevenson, futur réalisateur de MARY POPPINS et de UN AMOUR DE COCCINELLE ! Cette version ne dure que 45 minutes et est interprétée par des comédiens différents. Certains stock shot du film de 1947 (notamment la parade de Macy's) sont faciles à repérer. Présenté en 1.33 noir et blanc, avec une piste sonore anglaise mono d'origine, cette version a l'intérêt d'être par endroit plus proche du roman publié par Valentine Davies en 1947 que le film de George Seaton. Nous y trouvons par exemple une scène au cours de laquelle Kris Kringle ridiculise en public le psychiatre de Macy's, au cours d'une conférence anti-père Noël tenue par ce sinistre individu. Une scène présente dans le roman, donc, mais qui n'apparaît pas dans le métrage de 1947.
Une featurette nommée «Macy's Thanksgiving Day Parade» complète encore cette interactivité. Tourné en 2006 (et en 16/9 !), ce supplément revient sur les festivités de Noël organisées par ce grand magasin ainsi que sur le tournage de MIRACLE SUR LA 34EME RUE dans ses locaux. D'une durée de quinze minutes, il contient des documents rares et certainement intéressants. Enfin, une courte galerie d'affiches conclut cette interactivité pour le moins fournie et satisfaisante.
Bref, cette édition américaine «Collector» s'avère tout à fait à la hauteur de cette production remarquable au très fort parfum de Noël. La version colorisée et le remix 5.1 censés «moderniser» le métrage ne seront pas du goût de tous – ils ne sont en tous cas pas du nôtre. Mais la présence sur cette édition des éléments d'origine (piste mono et copie noir et blanc) permet heureusement à tous les spectateurs de s'y retrouver ! Un seul regret ? Que cette édition ne soit pas disponible en Europe, où il faut nous contenter de l'ancien DVD, nettement plus spartiate…