L'idée de fusionner plusieurs univers graphiques au sein d'un même métrage ne date pas d'hier. En son temps, METAL HURLANT prolongeait en animation et sur grand écran le melting-pot dessiné du magazine éponyme. Ce type d'expérience, dans le domaine de l'animation, présente toutefois plus souvent l'aspect d'une compilation que d'un véritable film à sketchs. C'est ainsi le cas de LOULOU ET AUTRES LOUPS pour lequel cinq courts-métrages avaient été produits sur le thème du loup avant d'être distribués ensemble dans les salles de cinéma. Ce sont les mêmes producteurs qui vont se lancer ensuite dans un métrage à la construction plus traditionnelle. Tout du moins en apparence puisque PEUR(S) DU NOIR a bien du mal à s'extirper de sa condition de compilation de courts-métrages. Si toutes les histoires sont liées par un concept commun, il n'y a pas de véritable fil rouge menant d'une histoire à une autre comme on peut le concevoir dans un film à sketches. Il a été décidé toutefois de chambouler ici ou là, de façon à vrai dire assez timide et pas forcément très cohérente, le déroulement des histoires. Ainsi, le segment de Blutch est découpé en plusieurs parties qui seront disséminées autour des autres histoires. Le second liant est composé de plusieurs passages fabriqués par Pierre Di Sciullo. Ces intermèdes ressemblent plus à des images géométriques sur lesquelles se greffe un monologue déclamé par Nicole Garcia. Les quatre autres segments sont narrés d'un seul tenant à l'exception de l'histoire de Marie Caillou interrompue en son milieu avant de se poursuivre. Toutes les histoires sont donc contées indépendamment sans qu'il n'y ait de point d'entrée ou de sortie menant vers les autres récits. Seules deux idées vont donc relier le tout. La première est l'utilisation du noir et blanc pour mettre en images les histoires même si, finalement, des entorses sont faites dans la plupart des récits. Enfin, toutes les histoires de PEUR(S) DU NOIR seront donc reliées par le thème commun de la «peur».
L'histoire qui se plie totalement à l'idée de départ est fort justement située en fin de métrage. Ce dernier segment conçu et réalisé par Richard McGuire suit un quidam qui trouve refuge dans une maison abandonnée alors qu'il semble perdu dans une tempête de neige. La maison est bien évidemment assez étrange mais c'est surtout le traitement graphique particulier de l'histoire qui séduit. Le personnage évolue presque constamment dans des environnements monochromes (étendue enneigée ou obscurité de la maison). Du coup, le personnage animé n'est montré que par bribes et il est très rare de le voir dans son intégralité. Le pari est plutôt osé de vouloir faire exister un personnage sans le dessiner directement en dehors des ombres et reflets. Pourtant, ce segment s'avère bougrement réussi et même en plongeant l'action dans une obscurité totale, il parvient à rendre tangible son décor ainsi que son protagoniste. Bizarrement, les dernières images de cette histoire ne sont pas sans rappeler la chute de l'épisode de John Landis dans le film LA QUATRIEME DIMENSION. Ce segment de PEUR(S) DU NOIR est une véritable perle d'animation qui s'avère, au passage, le récit le plus probant dans sa volonté d'associer la «peur» et le «noir» parmi toutes les histoires de cette anthologie.
Deux autres courts retiennent assez bien l'attention, ce sont les passages de Charles Burns et Marie Caillou. Le premier, usant de teintes monochromes, raconte la mésaventure d'un jeune homme dont la fascination pour les insectes le mènera à rencontrer «fortuitement» une sorte de mante religieuse. Dans un registre assez différent, Marie Caillou s'est associée à Romain Slocombe pour narrer une histoire dans un contexte japonais, l'occasion de mettre à l'écran un éventail de monstres nippons comme on peut en rencontrer, par exemple, dans GREAT YOKAI WAR ou bien la fameuse trilogie des YOKAI MONSTERS. Hélas, l'histoire de Charles Burns, bien qu'inquiétante, aura bien du mal à provoquer ou même évoquer la peur. Celle de Marie Caillou, avec son approche enfantine qui bascule dans l'horreur grotesque chère aux Japonais, ne semble pas non plus exploiter le concept de «peur» tel qu'on peut se l'imaginer. Pour ces histoires, l'un des titres originaux du film, MEME PAS PEUR, aurait ainsi pu être conservé sans mal.
Les parents pauvres, si l'on peut dire, de PEUR(S) DU NOIR sont le segment de Lorenzo Mattotti et celui de Blutch. En ce qui concerne ce dernier, c'est surtout l'absence d'une véritable histoire qui lui fait perdre de son intensité. Disséminé en plusieurs endroits dans le film, on suit le parcours d'un vilain bonhomme qui insuffle la peur auprès de ceux qu'il rencontre avec ses méchants chiens avant d'être pris à son propre jeu. Les images et l'animation sont pourtant de grande qualité. L'histoire mise en image par Lorenzo Mattotti prend le parti d'une sorte de chronique nostalgique à propos d'un monstre se cachant dans les marais d'une petite bourgade. Si son personnage principal éprouve éventuellement de la peur, tout comme l'ensemble de la population, cela ne se ressent jamais vraiment à l'écran.
Comme tous les films à sketches ou les compilations de courts-métrages, PEUR(S) DU NOIR propose un menu forcément inégal. Certains des univers graphiques ou des histoires séduiront les uns ou rebuteront les autres mais l'ensemble s'avère plutôt «sympa». Cela constitue néanmoins une belle façon de faire sortir l'animation d'une ornière assez formatée tout comme ce fut le cas du RENAISSANCE, également en noir et blanc, de Christian Volckman.
Le passage en vidéo de PEUR(S) DU NOIR n'est pas des plus simples. En effet, le support DVD peut devenir tatillon dès qu'on essaie de lui demander d'afficher des aplats monochromes. C'est typiquement le repaire des défauts de compression. Le défi a été relevé avec succès mais il faudra compter avec des défauts inattendus qui ne sont pas le fruit de l'encodage du disque en lui-même. En effet, les lecteurs de DVD bas de gamme ou encore les écrans plats qui font de l'upscaling HD risquent de paniquer lors de certains passages. Toutefois, ce souci n'est pas lié au disque de PEUR(S) DU NOIR mais plutôt aux failles du support DVD et du numérique, dès lors qu'on lui demande une précision chirurgicale.
Trois pistes sonores sont proposées, toutes en version française, sans aucun sous-titrage. Les malentendants restent toujours, aujourd'hui, bien mal servis par l'édition française vidéo. Le choix est donc donné entre des mixages stéréo, Dolby Digital 5.1 et DTS. Ce dernier remportera l'adhésion avec une retranscription sonore de grande qualité suivie par un Dolby Digital 5.1 souvent aussi spectaculaire dans les effets qu'il délivre.
Pour commenter PEUR(S) DU NOIR, on ne trouve aucun des auteurs mais le producteur Christophe Jankovic et le directeur artistique Etienne Robal. Du coup, on évoque bien peu les récits pour se focaliser sur les techniques graphiques. Pas super passionnant, on trouvera dans le commentaire audio quelques bribes d'infos quand les autres suppléments se limiteront à des images brutes sans véritables explications. Gênant car le DVD ne contient pas de véritable making-of qui aurait permis de remettre dans son contexte l'aventure de PEUR(S) DU NOIR. A la place, il faudra se reporter sur «Du croquis au film» indiqué de façon peu claire comme un diaporama. En réalité, il s'agit d'une succession de documents classés par auteur, l'occasion de découvrir des planches de story-boards, croquis de préparation ou encore tests d'animation. On y trouve ainsi des dessins de séquences abandonnées ou encore une démonstration sur l'étalonnage du film. Cela ne se limite donc pas à des images fixes puisque l'on peut y découvrir certains des auteurs au travail ou encore l'enregistrement des voix de certains des acteurs. Le tout est présenté sans aucune explication en dehors d'un petit intitulé placé en bas à droite de l'image. Il aurait sûrement été intéressant d'expliciter un peu plus les techniques d'animation plutôt que de proposer tout cela de manière très brut de décoffrage. Surtout qu'il n'y a aucune musique pour accompagner les images, laissant l'utilisateur dans le silence avant d'atteindre quelques passages sonorisés (d'ailleurs sans sous-titrage, tout n'étant pas en français). Ennuyeux, car ce film aurait pu être une belle opportunité d'exprimer auprès d'un public non connaisseur toutes les techniques d'animation et donc le véritable travail derrière de tels segments animés. Une scène animée inédite est aussi présentée en supplément, mais il s'agit d'un intermède non utilisé réalisé par Pierre Di Sciullo.
S'ensuit une visite guidée de neuf minutes d'une exposition consacrée au film dans le cadre du Festival de la bande dessinée d'Angoulême en 2006. Avant que le film ne soit réellement mis sur pellicule, cette exposition présentait des croquis et autres éléments qui allaient devenir PEUR(S) DU NOIR. Evidemment, on reste un peu sur sa faim avec ces deux seuls suppléments dédiés à la création du film. On pourra toutefois consulter de courtes biographies de chacun des auteurs et autres intervenants, ou encore les deux bandes-annonces du film. D'autres bandes-annonces, de titres n'ayant rien à voir avec l'animation, sont aussi disponibles sur un menu dédié aux DVD du même éditeur. Enfin, un concours a été organisé sur le même thème et ouvert à tout le monde. On trouve donc sur le DVD les gagnants de ce concours que ce soit en vidéo ou en dessins. Les dessins sont présentés dans un petit format sans possibilité de les agrandir en plein écran ce qui est fort dommage pour les apprécier sans compter une bande dessinée dont on ne peut donc pas déchiffrer correctement le texte.
