Header Critique : MELIES LE CINEMAGICIEN : LA MAGIE MELIES

Critique du film et du DVD Zone 2
MELIES : LE CINEMAGICIEN 1997

LA MAGIE MELIES 

Fantastique”, le septième art peut se targuer de l'être d'emblée tant dans son dispositif même que dans l'illusion de vie produite sur chaque spectateur. Explicitement magiques, les innombrables lanternes qui apparurent vers 1660 préfigurèrent la multiplication et le succès d'un certain nombre d'appareils chargés de rendre l'image “vivante”. De fait, le Thaumatrope (1625, Fitton et Paris) utilisera ingénieusement la persistance rétinienne pour fondre deux dessins respectivement inscrits sur le recto et le verso d'un disque de carton que l'on fera tout simplement tourner. Le Zootrope (1834, Horner), le Praxinoscope (1877, Reynaud) et le Théâtre optique (1888, Reynaud) jalonnent ensuite les prodigieux progrès effectués par la science dans ce domaine. Pellicule de 35 millimètres à deux rangées de quatre perforations par image (Thomas Edison, vers 1885), Kinétoscope (Edison, 1894) et puis surtout le Cinématographe Lumière (1895), la fin du siècle accouche d'un nouvel art qui, outre son naturel statut de media, relève d'abord du pur spectacle, objet d'une fascination entre autres représentée par l'oeuvre de Georges Méliès. Le DVD estampillé Arte Vidéo nous donne ainsi la possibilité d'entendre au mieux l'incontestable enthousiasme qui accompagne, pour ne pas dire salue, l'entrée en trombe du numérique sur nos écrans.

Né en 1861, Méliès se passionne très jeune pour le dessin, l'aquarelle, le théâtre et la magie. Quelques années plus tard, le jeune garçon achète la salle Robert-Houdin afin d'offrir à son public des sketchs magiques (mélange d'illusions scénarisées), ombres animées et numéros de prestidigitation. Suite aux fameuses séances du Grand Café, notre homme demande aux frères Lumière de partager leur découverte mais il se heurte à un refus catégorique. Sans se laisser décourager, Méliès acquière un théâtographe (Robert W. Paul) qu'il réussit à transformer en caméra. En 1896, la “Partie de cartes” amorce une aventure artistique qui marquera durablement le devenir de la culture mondiale. Contrairement à d'autres, les productions Star Film exploitent au maximum le potentiel des avancées technologiques en s'attachant à préférer la performance technique au scénario proprement dit. Conscient du phénomène, l'initiateur de LA MAGIE MELIES, Jacques Mény, insiste sur la polyvalence d'un personnage simultanément réalisateur, scénariste, interprète, décorateur, costumier et créateur d'effets spéciaux. Deux heures de reportage suffisent à peine pour mesurer toute l'étendue d'un savoir-faire lequel devrait pourtant sauter aux yeux des plus sceptiques.

En effet, la dite rétrospective assoit son argumentation sur une étude précise de faits bien établis au détriment d'une nostalgie certes évidente mais trop accommodante dans ce contexte. L'ancienneté des documents émeut sans susciter d'elle-seule notre intérêt. Une brève mais appréciable présentation des éléments qui consacrèrent l'émergence du septième art — représentation des pantomimes de Reynaud au théâtre Grévin, extraits des “Chats boxeurs” (Edison, 1894), d'“Annie Oackley” (Edison, 1894), de “L'Arroseur arrosé” (Frères Lumière, 1895) notamment — s'ajoute à un panorama des conditions de production contemporaines, façon de souligner au préalable l'enjeu ludique des projections dites primitives. Soumis au bon vouloir et à l'avarice des forains, Méliès et ses comparses doivent répondre aux attentes d'une population naturellement sensible au caractère spectaculaire des séquences. Impressionner, en mettre “plein la vue”, voilà une priorité que les générations futures n'oublieront pas ou bien si peu... À ce titre, l'appartenance des plus célèbres métrages au genre fantastique s'explique aisément. La mise en scène du Fabuleux implique l'exécution de trucages qui, inhérents au cinéma, étaient évidemment perçus comme inédits en 1900. L'inventivité, l'habileté et la débrouillardise se posent comme les premiers facteurs de réussite. LA MAGIE MELIES s'attarde sur deux innovations particulières. Le “truc par substitution” ou “arrêt de caméra” permet de remplacer un être ou un objet par un autre. Alors qu'il visionnait une série d'images filmées place de l'Opéra, le cinéaste constate qu'un omnibus a disparu pour laisser place à un étrange corbillard. L'artiste saisit rapidement la cause du problème. La pellicule s'était bêtement bloquée quelques instants (le temps d'imprimer les premiers mouvements de l'omnibus) pour se redéclencher lors du passage de l'engin noir. Couper, intervertir les comédiens ou les matières inanimées, réactiver la caméra et effectuer de minutieux collages, le réalisateur soumet le cadre référentiel aux facultés quasi divines de l'appareil. De même, la surimpression (fondée sur un rembobinage de la pellicule) facilitera le surgissement de spectres et d'incroyables démultiplications. Ces prouesses techniques restent parfaitement traduites via un documentaire usant de maintes schémas et documents d'époque pour éclaircir son propos. Un parti pris équivalent commande les vingt minutes que Jacques Mény dédie au studio de Montreuil-sous-bois. En 1897, le géniteur du VOYAGE DANS LA LUNE décide d'aménager un grand hangar en salle de travail et dotera cette dernière d'une structure de plus en plus perfectionnée. Le site s'inspire des machineries théâtrales, emprunts judicieusement mis en valeur ici. La création de décors peints en gris, de costumes souvent extravagants, d'accessoires et de maquettes reflète la multiplicité des compétences de l'homme. Sans occulter un indéniable talent de comédien, Georges Méliès méritait bien que l'on consacre au moins deux heures à l'une des plus impressionnantes et émouvantes carrières du cinéma.

LA MAGIE MELIES remplit heureusement cette fonction. Outre la richesse d'un patrimoine dont le bonus démontre l'étendue, l'intervention de spécialistes tels Paolo Cherchi Usai, Jacques Malthète ou Laurent Mannoni éclairent tout en dynamisant ce passionnant retour aux sources. Si Laurent Mannoni nous met au fait des circonstances économiques qui influèrent sur l'oeuvre et Paolo Cherchi Usai de préférer en évoquer les thèmes, Madeleine Malthète-Méliès découvre l'humanité et donc les rêves, désirs, espoirs de son grand-père. Déjà intéressant, le DVD s'avère incontournable de par les courts-métrages groupés dans “Une Séance Méliès”. Après une courte introduction, cette deuxième partie nous plonge directement au sein de quinze mondes merveilleux. Ces derniers figurent le bien-fondé d'une réputation laquelle accorde au cinéaste un rôle prépondérant dans l'émergence des tout premiers effets spéciaux. Proprement géniaux, les trucs font presque office de problématique puisque chargés de matérialiser le soubassement extraordinaire des univers présentement filmés. Démultiplications de têtes (“Un homme de têtes”, 1898; “Le mélomane”, 1903: “L'homme-orchestre”, 1900), dilatation d'un visage (“L'homme à la tête de caoutchouc”, 1901), disparitions d'objets et personnages (“Les cartes vivantes”, 1904; “Le locataire diabolique”, 1909) ou métamorphoses ( “Voyage dans la lune”, 1902; “Barbe bleue”, 1901) prévalent sur des histoires dont les motifs fantastiques s'érigent comme de paradoxales mises en abyme. Partant de ce principe, le spectateur moderne appréhendera ces productions en inversant son ordre de valeur habituel. La confection du truc gouverne un contenu qui, en dépit de ses assises référentielles, demeure un simple comparant métaphorique. Aussi l'adaptation de quelque conte de fées (“Barbe bleue”, par exemple) illustre-t-elle la perception quasi surnaturelle que la transformation d'une clef sous-tend chez le public d'alors. En ce sens, les courts métrages célèbrent d'abord leur existence même sans forcément s'ouvrir à un quelconque débat philosophique. Le cinéma observe avec stupéfaction sa propre naissance, balbutiements nécessitant un minimum de formes.

Dessinés par notre artiste, les décors rivalisent d'inventivité et de beauté. Parallèlement, certains costumes (savants du “Voyage dans la lune” ou personnages de “Barbe bleue”) expriment un véritable soucis du détail. Paysages lunaires, urbains ou maritimes, les sites fixés par une caméra toujours statique accueillent des êtres fantasques bien décidés à entretenir par leur joyeux tohu-bohu cette étincelle de vie que les Lumière, Edison ou bien Méliès ont allumée. Prométhée des temps modernes, nos précurseurs reconnaissaient peut-être le caractère hautement blasphématoire de l'invention. Créateur de vie, le septième art octroie à la science une fonction équivalente à celle du Tout Puissant et de ce fait assume pleinement ses origines sataniques. Le diablotin trouve donc une place de choix ici. Directement issu de l'imagerie populaire (popularisée par Virgile puis vulgarisée par le récit apocryphe), des gravures de Caillot et des nombreuses diableries dont fut friand le siècle de Baudelaire, l'enfer amuse plus qu'il n'effraye des spectateurs a priori conquis par les prodiges réalisés à l'occasion. Cet optimisme indéfectible admet quelque bémol au vu d'images fort ambiguës telle celle montrant à voir l'astre lunaire énucléé par un obus . Le réalisateur relativise la mystification de l'industrie chère à Jules Verne en suggérant ses potentielles conséquences catastrophiques. La violence de l'image (énucléation) et du symbole (assimilation d'une “arme” à une longue vue) laisse perplexe. Une crainte similaire traverse la métaphore cinématographique qui pointe régulièrement du doigt l'étroite affinité entretenue par cette nouvelle forme de mise en scène avec la science. D'abord positive comme tend à l'imager la réinterprétation d'une partition musicale en fil électrique (“Le Mélomane”, 1903), cette relecture du cinéma conduit Méliès à convoquer un intertexte extrêmement large, piochant allègrement au sein du patrimoine littéraire (Jules Verne et Wells), musical (“L'Homme orchestre” ; “Le Thaumaturge chinois”), théâtrale et picturale (“Le Roi du maquillage”). En premier lieu bénéficiaire du progrès, l'artiste doit néanmoins prendre ses distances avec des accointances lesquelles pourraient se transformer progressivement en relation de subordination. L'auteur du VOYAGE DANS LA LUNE expérimente malheureusement la chose aux alentours de 1910. Plagiées par Gaston Welle, piratées aux États-Unis et fortement concurrencées par des maisons en plein essor (Gaumont / Pathé), les oeuvres de la Star Film ne parviennent plus à s'imposer sur le marché. Malgré la création d'une succursale américaine et diverses tentatives pour s'adapter aux goûts du jour, notre homme orchestre n'accepte pas de se plier aux règles d'une industrialisation qui fait encore grincer des dents maintes artistes contemporains. Méliès, un précurseur du meilleur et une victime du pire à venir.

Très claire et dynamique, le premier documentaire comporte énormément d'images d'archives. Au regard de l'ancienneté de ces dernières, le DVD “Arte Vidéo” peut se vanter de présenter des qualités techniques fort honorables. Incontournables (“L'arrivée d'un train en gare”, Louis Lumière, 1895) mais également plus inédites (“Les Chats boxeurs”, Edison, 1894), ces séquences possèdent l'inévitable charme d'un suranné tout à fait regardable cependant. Les films réunis au sein d'une “Séance Méliès” accusent évidemment leur très grand âge (plus d'un siècle) mais bénéficient de transfert et encodage parfaits. En effet, la luminosité ainsi que le contraste et le piqué sont respectés. Le son Dolby Digital 2.0 (stéréo) de la galette (musique et voix off) ne pose aucun problème. Chapitrés et doté de la fonction “lapin blanc” pour le premier, ces deux documentaires devraient trouver une place de choix dans vos dvdthèques.

Rédacteur : Cécile Migeon
47 ans
33 critiques Film & Vidéo
1 critiques Livres
On aime
Un documentaire tout à la fois pédagogique et passionnant
De nombreuses images d’archives
Des métrages proprement magiques
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L'édition vidéo
LA MAGIE MELIES DVD Zone 2 (France)
Editeur
Arte
Support
2 DVD
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
2h11
Image
1.33 (4/3)
Audio
Francais Dolby Digital Stéréo
English Dolby Digital Stéréo
Sous-titrage
  • Anglais
  • Supplements
    • “La Magie Méliès” (131mn)
    • “Une Séance Méliès” (59mn50)
    • Bandes-annonces collection “Cinéma Muet” (14mn19)
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