TotalScope ! L'un des formats magiques qui pullulaient pendant les glorieuses années du cinéma populaire : les années 60. Le générique de début arbore fièrement le logo qui rempli toute la largeur de l'écran promettant au spectateur un spectacle géantissime (même si en fait, le film fut tourne en Super TotalScope). Ca tombe bien, puisque l'on parle de GOLIATH CONTRE LES GEANTS. Une odeur de muscles, de pagnes, d'héroïnes en détresse, de traître félon, de décors en carton pâte et de batailles homériques s'abat sur nous dès la galette enfournée dans le lecteur DVD.
Force est de reconnaître la médiocrité du produit présenté. Il existe des péplums italiens réussis (HERCULE A LA CONQUETE DE l'ATLANTIDE et sa parabole sur la réunification de l'Italie, par exemple, ou encore HERCULE CONTRE LES VAMPIRES…). Et il y a la cohorte de produits qui ont déferlé sur les écrans mondiaux, tous faits plus ou moins hâtivement, sans s'embarrasser d'une quelconque cohérence. C'est un peu le cas ici avec son attachement au genre, ses monstres caoutchouteux, la plastique impressionnante de Brad Harris et les approximations narratives. Malgré son nom biblique, GOLIATH CONTRE LES GEANTS demeure une imitation des Hercule, Maciste et autres Ursus alors très en vogue.
Ainsi Goliath (Brad Harris) revient sur sa terre natale après cinq années de guerre. Mais le roi usurpateur Burkan (Fernando Rey, roulant des yeux comme pas deux) prend peur de ce retour et ne l'entend pas de cette oreille. Il se décide à tout faire pour demeurer aux commandes du pays qu'il gouverne d'une main de fer. Il envoie pour cela (entre autres) une femme, Elea (Gloria Milland), qui devra trouver le bon moment pour occire notre héros. Mais elle tombe en amour, la sotte ! Vous me direz, et les Géants dans tout cela ? Il faudra attendre la fin du film pour cela !
Coproduction italo-espagnole oblige, nous retrouvons donc quelques habitués du cinéma populaire des années 60. Ainsi le musculeux Brad Harris, qui évoluera du peplum (jusqu'au HERCULE de Luigi Cozzi) au western teuton (LES AIGLES NOIRS DE SANTE FE) en passant par l'adaptation d'un Pulp allemand (la série des KOMMISSAR X) via le fumetti italien (TROIS FANTASTIQUES SUPERMEN et sa deuxième séquelle) au Giallo (LA CASA DELLA PAURA)… Egalement un cascadeur (sur tous les KOMMISSAR X), scénariste de LADY DRACULA en 1978 et producteur de plusieurs de ses films dans les années 70 dont WANTED SABATA… Un homme complet. Vient ensuite Fernando Sancho, infatigable figure du Western paella spaghetti. La liste de ses apparitions serait trop longue, retenons LE RETOUR DE RINGO, ARIZONA COLT, SARTANA, HOLD UP A SUN VALLEY… jusqu'à LA VIE AMOUREUSE DE L'HOMME INVISIBLE. Quelle carrière !
Côté séduction, l'éphémère starlette Gloria Milland, ayant fait sa carrière sur cette décennie, apporte son charme usé à la princesse Elea. Sans saveur véritable, hormis une paire de seins ressemblant à des pare-chocs avant de Cadillac –un avantage dans les années 60 !-, elle joue d'ailleurs incroyablement mal. Elle crie, gesticule, pleure, se pâme de manière très mécanique. Ce qui provoque une envie irrépressible de bondir dans le film et de la gifler à tout va. Enfin, Barbara Carroll, qui tenait ici sa seconde expérience minijupée après LES DERNIERS JOURS DE POMPEI. Rien de bien folichon, donc. Aucune prestance à la Fay Spain, aucune virginité adorable à la Mylène Demongeot… on reste sur sa faim !
Nous avons les acteurs et le décor est planté. Voyons l'histoire. C'est comme si les scénaristes avaient installé toutes les règles du péplum (bataille, danse avec voilettes par des vierges plus ou moins nubiles, trahison, etc.) avec un florilège d'aventures. On a droit ainsi à un naufrage, à un monstre marin, des batailles, des hommes des cavernes, des monstres terriens, des amazones, des cavalcades, de l'amour, des maquettes, une salle de torture et un singe géant ( !)… Et advienne que pourra. Cela se ressent beaucoup, tant des scènes semblent gratuites et sont raccrochées les unes aux autres sans souci de véritable sens, juste histoire d'ajouter des péripéties. Une certaine facilité scénaristique désespérément naïve (la scène de la bague) alliée à une incapacité à donner une quelconque épaisseur et aux personnages et à l'action. La quête de Goliath apparaît disjointe, emboîtant les aventures sans réelle logique scénaristique. Ou alors des ellipses brutales, comme si des scènes manquaient à l'appel ! On peut se dire, à l'extrême, que cela fait aussi partie du charme second degré du péplum all'italiana. Il n'empêche qu'ici, les scories sont tellement nombreuses qu'elles nuisent à la vision du film, qui d'ailleurs n'est pas d'un rythme vraiment échevelé. Ensuite, des personnages disparaissent brutalement du film. Les liens tissés entre Goliath et ses copains ne servent à rien, puisqu'ils finissent tous par mourir au début du film, histoire de se concentrer sur la romance naissante entre Elea et Goliath. Pour l'un d'entre eux, c'est inattendu et cruel : l'enfant ne tient pas vingt minutes et finit dans les griffes du monstre marin. Autre exemple, des héros en plein déconfiture devant des montagnes infranchissables... Le plan d'après, cérémonie de liesse du peuple. Une ellipse totale du cœur, semble chanter l'héroïne blonde !
La mise en scène n'arrange pas vraiment l'embrouillamini qui se déroule sous nos yeux. On peut remarquer une belle utilisation des décors naturels, magnifiés par le format anamorphique qui sait les mettre en valeur. Mais c'est surtout Brad Harris qui tente de sauver les meubles et qui s'applique au film de manière énergique. Mais malheureusement, malgré les aventures, le récit s'essouffle dès la première demi-heure. Tentant de diversifier l'action à tout prix, la mise en scène se heurte à un manque d'inspiration patent. Entre le fait de naviguer dans des stocks shots provenant d'autres films (une cavalcade de militaires sortis d'on ne sait où, la maquette du générique de début qu'on ne reverra plus, le monstre final animé en stop motion et vu l'espace de deux secondes, etc.), des maquillages des géants d'un grotesque sûr et des situations éculées, on sent que chacun a du faire face à un pari relativement difficile à relever. Celui de faire «riche» avec un budget que l'on sent étriqué. Là où le film s'en sort le mieux reste le domaine des effets spéciaux. Les monstres, quoique relativement peu mobiles, ont des apparitions impressionnantes, le tout fait à l'économie mais avec ingéniosité. Un mélange de maquettes de bateau, d'animal vivant filmé en gros plan, de surimpressions et de monstre mécanique. Des plans rapides, des cadrages précis, une action directe et le montage fait le reste. Le savoir-faire des artisans italiens prend alors tout son sens. L'attaque du bateau par le premier monstre dure ainsi près de trois minutes. Et pas un seul plan ne fut tourné en mer ou sur un vrai bateau. Une réussite.
Aujourd'hui, difficile à dire ce qui revient à Guido Malatesta (inénarrable auteur de ZORRO CONTRE MACISTE et des CHAUDES NUITS DE POPPEE) ou à Gianfranco Parolini. Le côté ingénieux des effets serait et les scènes d'action seraient plutôt l'apanage du directeur artistique et les scènes d'exposition au réalisateur crédité au générique. Mais aux vues de la médiocrité du produit fini, on peut se dire que tout cela n'a pas vraiment d'importance, sauf aux yeux des plus grands puristes. On notera enfin au générique quelques noms qui deviendront célèbres dans d'autres domaines. Ainsi Sergio Sollima a-t-il collaboré au scénario. Jorge Grau, futur réalisateur du MASSACRE DES MORTS VIVANTS, s'est-il occupé de diriger la seconde équipe. Et l'assistant réalisateur n'est autre que Romolo Girolami, alias Romolo Guerrieri (L'ADORABLE CORPS DE DEBORAH, FINAL EXECUTOR).
L'édition DVD édité par RHV en Italie propose une copie honorable et qui a l'avantage de se conformer au format original. On y trouve donc le respect du 2.35:1, agrémenté d'un transfert 16/9. Rien de renversant, à vrai dire. Des couleurs parfois pâles, des contrastes peu amènes (criant dans les scènes nocturnes) et des scènes de cirque romain qui manquent cruellement de lumière. Une définition qui ne laisse transparaître en rien une quelconque beauté du télécinéma. Mais aucune poussière ni griffure à déplorer.
Ensuite, deux pistes sonores en mono sur deux canaux sont présentes : italienne et anglaise. Le film ayant été tourné à la fois en italien, anglais et espagnol selon les acteurs et actrices présents, libre à chacun de choisir la langue de doublage qui lui convient. Il faudra cependant, pour un mixage sonore plus précis et de meilleure qualité, se diriger vers la piste italienne. En effet, le doublage anglais a volontairement écarté certains effets sonores de fond (à partir de la seizième minute pour le voyage en bateau : la mer, les bruits dans les voiles, les discussions de fond des figurants sont absents de la piste anglaise). Ceci afin de se concentrer sur le dialogue des acteurs et des bruitages de l'action de front. Ce phénomène ne reprenant pas le mixage sonore original est un fait récurrent dans les doublages anglais des films des années 60. Par exemple, on remarque la même chose sur la piste anglaise de DAS INDISCHE TUCH.
Section Bonus, nous avons droit au film annonce original italien au format (non sous-titré) qui vante «l'harmonie des couleurs» du film ! Mais le plus intéressant demeure l'entretien avec le directeur artistique du film, Gianfranco Parolini. Plus connu sous son pseudo de Frank Kramer et auteur de monuments de série B comme YETI LE GEANT D'UN AUTRE MONDE ou encore la série des KOMMISSAR X, SARTANA, SABATA et l'excellent TROIS FANTASTIQUES SUPERMEN. L'avantage pour les non italianophiles reste le sous-titrage en anglais. Et Gianfranco Parolini s'avère un excellent client. Sous une rafale de phrases et de bons mots, il retrace sa carrière tout en s'attardant sur l'épisode de ce GOLIATH CONTRE LES GEANTS. On y apprend en fait qu'il a tourné nombre de scènes du film et, grâce à sa technique initiale du montage, a su faire baisser le coût du budget déjà bien bas. Et de faire tourner Brad Harris qui avait une jambe dans le plâtre suite à une cascade dangereuse que Guido Malatesta avait réclamé – chose qu'on ne décèle jamais !-. Plusieurs techniques de plans de coupe ont eu raison des velléités de grandeur du réalisateur initial. Ainsi le coût des décors et des effets spéciaux a ainsi été revu à la baisse. Un témoignage précieux, chaleureux et très drôle sur un cinéma aujourd'hui en passe (enfin) de bénéficier d'une reconnaissance cinéphile. Pour celles et ceux qui ne parlent pas italien, la dernière minute de l'entretien n'est pas sous-titrée !
Pour être complet, il faut noter que la jaquette verso présente plusieurs erreurs. Il est indiqué deux pistes sonores mono sur un canal, un format 1.85:1 et un codage régional «0», une durée de 100mn... Il faut comprendre : Dolby mono 2.0 pour les versions italiennes et anglaises, un format 2.35:1, un DVD région «2» et une durée de 91 minutes et 43 secondes. Enfin, on trouvera à l'intérieur un dépliant de quatre pages en italien, comprenant la fiche technique complète du film, la filmographie consacrée au héros Goliath, présent par six fois entre 1959 et 1964, ainsi qu'un précis sur la technique utilisée au process de remastérisation.
Donc, si on résume : monstres sympas, héros cool, rebondissements à gogo, héroïnes ridicules, film longuet qui se perd en court de route, scénario à trous-trous… et des géants des cavernes provoquant plus l'hilarité générale que la peur. Un exemple parmi tant d'autres d'une conception artisanale du cinéma via des productions «herculéennes» tournées à la chaîne dans les années 60. On a vu pire mais aussi largement mieux !