Raymond Vates, père divorcé d'une petite fille, vient d'être promu Détective. Une situation professionnelle qu'il peine à concilier avec sa vie privée. En effet, le soir venu, Raymond redevient Ramon, un hispano-américain homosexuel cumulant les aventures sans lendemain… Pour sa première mission, Ray va être confronté à un tueur en série sadique et adepte du bondage. Séduit par le criminel, le jeune détective va peu à peu voir son quotidien bouleversé, lui imposant de sérieuses remises en question. L'homme parviendra t'il à mener de front cette traque ambiguë et les heurts engendrés par l'homophobie de ses collègues ?
John Huckert nous livre HARD en 1998, un film qu'il a lui-même co-écrit, produit, réalisé et monté pour la somme ridiculement étriquée de 100.000 dollars ! Dans ces conditions, il enfilera même la casquette de compositeur et devra bien évidement user de tout son système D. Les acteurs, incroyablement motivés et impliqués ne seront par ailleurs pas rémunérés et le tournage du film s'effectuera dans la quasi-clandestinité. Au final, l'œuvre qui nous sera livrée se révèlera totalement hors norme, abordant avec autant de succès le genre du «thriller» que le milieu bien plus délicat de l'homosexualité…
HARD nous propose donc de pénétrer dans le milieu des forces de l'ordre, univers dans lequel perspicacité et virilité semblent malheureusement incompatibles avec homosexualité. Du moins en apparence car l'inspecteur Vates, tant qu'il préserve ce secret qui lui pèse, est un bon élément… Le film nous invite donc à aborder ce thème sous un angle qui, s'il n'est pas nouveau, se révèle pour le moins pertinent. Pertinent car la situation ici proposée provoque une véritable dualité du héros : D'un côté un flic sur lequel peuvent compter ses coéquipiers, dans un milieu où la confiance semble fondamentale, et de l'autre, un homme qui ne peut savourer pleinement ce qu'il est réellement… Ray, incarné ici par l'acteur Noel Palomaria, nous est en effet présenté comme un personnage qui a tenté d'être un bon mari, voire un bon père (sans doute pour des raisons sociales) mais qui s'est heurté bien vite à la réalité de son être. Dégagé de ses responsabilités familiales, l'homme n'en est pas pour autant libéré et demeure prisonnier de lui-même et de l'image qu'il souhaite donner. Refusant donc les relations stables, masquant son identité et sa profession, notre homme avance dans la vie sans en profiter réellement. C'est alors qu'il va croiser le chemin de Jack, un tueur, lui aussi homosexuel, qui a fait fi de toutes les barrières sociales l'encombrant…
Jack, interprété un Malcolm Moorman étonnant de justesse, nous est présenté comme un homme aux préoccupations diamétralement opposées à celles de Ray. Lui est libéré. Sans doute même trop puisqu'il se livre à toutes formes de débordements (pédophilie, bondage mortel, mutilation etc.). L'homme n'en est pas pour autant plus heureux car en réalité, son personnage souffre lui aussi de son instabilité sentimentale. Jack tentera donc de se créer un «cocon» en s'attachant à Andy, un homme marié et père d'un enfant. Parallèlement à ses activités de tueur, Jack mettra alors en actions ses incroyables talents de manipulateur pour détruire la famille «normale» au sein de laquelle il s'est glissé. Il pensera même percevoir en Andy un complice potentiel, à l'image de ce que pouvait être Otis pour Henry dans HENRY, PORTRAIT D'UN SERIAL KILLER… Malheureusement, il n'en sera rien et Jack autant que Ray devront poursuivre leur chemin de croix.
Ces routes vont bien entendu se croiser pour donner lieu à une unique nuit d'amour. Jack, confiant et direct, offre ses services à Ray, le flic, lors d'une scène assez mémorable. Déstabilisé, le jeune détective a tout d'abord une réaction violente de reniement de lui mais bien vite, Ray, l'homme, reprend le dessus et succombe aux avances de celui qu'il ne sait pas encore être le tueur… Se crée alors un lien dominant (Jack) / dominé (Ray) qui ne se démentira à aucun moment du métrage. Jack restera le manipulateur, celui qui décide et qui mènera la danse jusqu'à son audacieux dénouement…
La nuit d'amour entre les deux hommes nous est montrée «brut», sans artifice. N'allez cependant pas croire qu'elle en est violente, crue ou même choquante. Il n'en est rien et c'est bien là l'une des grandes forces du film de John Huckert : dévoiler sans tabou à un public de toutes préférences sexuelles les ébats ludiques et tendres d'un couple gay. La scène fait preuve d'une justesse rare, d'une évidente complicité et se révèle tout simplement belle. Autre scène marquante du même acabit, celle nous dévoilant Ray en compagnie de l'un de ses amants d'une nuit. L'homme en question s'avère être en réalité un policier en vacances (Mitchell Grobeson, véritable policier homosexuel ayant lui-même connu de graves difficultés dans son métier…). Il se veut rassurant et tend une main secourable que notre héros, en proie au doute et clairement pris de court, va bien évidement refuser (confrontation Ray flic / Ray homme ingérable). Pas d'ébat lors de cette séquence mais là encore, une vraie tendresse et un baiser de compassion sur le dos tourné de Ray réellement émouvant…
Mais ne nous y trompons pas cependant. Si HARD est effectivement un film gay d'une étonnante authenticité mis en forme avec un tact évident, il n'en est pas moins avant tout un thriller implacable et malsain. Jack, très conscient du mal-être qui ronge Ray, décide non pas d'en jouer, mais de l'exploiter pour le bien des deux. Ainsi, le jeune flic sera-t-il obligé au cours de son enquête de rendre «publique» cette facette de lui qu'il cherchait tant à voiler. En cela, Jack contraint Ray à franchir un cap et à passer outre, par la force, les barrières qui le limitaient en tant qu'individu.
Le serial killer, si odieux soit-il, aspire lui aussi à une paix intérieure. Sans nous dévoiler clairement les véritables raisons de ses agissements (contrairement à CRUISING qui en perdait toute crédibilité), le malade laisse cependant échapper durant le film quelques très subtils indices. Ainsi, lors d'une discussion téléphonique avec Ray, il menace de mort un jeune homme déjà fort bien amoché. Jack parle de l'adolescent puis, lors d'une ultime réplique, se met étrangement à utiliser la première personne du singulier pour déclarer «Je suis un gosse, vas-tu m'aider ?». De cette simple phrase (ainsi que d'autres) peut bien évidement être déduit un passif que l'on imagine traumatisant, poussant notre malade à commettre des actes atroces (peut être une reproduction des sévices subits) en attendant qu'une âme daigne enfin s'intéresser à lui… Le dénouement n'apportera en réalité pas de solution aux maux des deux hommes et aucun ne pourra profiter de la libération salvatrice tant espérée... Mais avant ce final clairement hors norme, le film nous gratifiera de quelques séquences chocs plutôt bien vues. Les scènes de soumission auxquelles se livre Jack rivalisent ainsi de détails cruels. Sa manière de toucher le fils de Andy, de parler à ses victimes et de les violenter sont autant d'éléments qui font de Jack un personnage réellement détestable et ce malgré sa touchante instabilité et son physique «normal», voire potentiellement agréable. Le film se montre donc assez marquant sans pour autant verser dans le gore grand-guignolesque. Seule la découverte tardive de l'antre de Jack peut effectivement prétendre à un tel virage, pas forcement bienvenu du reste…
HARD est donc un film bougrement bien dosé, privilégiant tout autant son sujet social que son terrifiant aspect policier. L'ensemble est bien mené et le manque de moyens n'est en rien une gène, bien au contraire. Les quelques maquillages sont de qualité et les décors, particulièrement bien choisis, profitent d'un éclairage minimaliste agréable. Les extérieurs sont ainsi filmés en lumière naturelle alors que les intérieurs (tels que les bars) privilégient judicieusement le «factice» à dominante rouge ou bleue. Certaines scènes intimistes, usant du procédé clair/obscur, sont du reste particulièrement bien vues. L'aspect «brut» du métrage aurait donc plutôt tendance à jouer en sa faveur et à ajouter un certain réalisme à l'ensemble. Reste que HARD n'est bien entendu pas exempt de défauts. Parmi ceux-ci, nous pourrons citer le personnage de Ellis, l'équipier de Ray. Possédant une longue carrière de 17 ans derrière lui et un aspect bourru particulièrement prononcé, l'homme semble étrangement distant vis-à-vis des révélations et inévitables problèmes causés par les préférences sexuelles de Ray… Un stoïcisme bien peu crédible, d'autant qu'il va clairement à l'encontre de ce qu'a pu subir Mitchell Grobeson (acteur et conseillé sur le film) au sein de la police de Los Angeles. Nous noterons par ailleurs quelques faiblesses dans le jeu d'acteur de personnages toutefois très secondaires. Ceci s'explique bien entendu par le fait que nous n'avons pas à faire ici à de véritables acteurs mais force est de constater que cela nuit de manière évidente à de (rares) courtes scènes…
HARD nous arrive en DVD Zone 2 via le jeune éditeur Le Chat Qui Fume. Une initiative plutôt heureuse puisque le film n'était jusqu'à présent jamais sorti sur le sol français. Autre bonne nouvelle, le film nous est proposé dans sa version intégrale non-censurée. Contrairement à ce que scande l'argument publicitaire présent sur la jaquette, il ne s'agit toutefois pas d'une première puisqu'un disque américain (chroniqué ici même) proposait depuis quelques temps déjà ce montage… La grande première vient en revanche de la présence de sous-titres français (blancs ou jaunes, au choix !) accompagnant la piste sonore proposée en version originale stéréo. Ces sous-titres, disponibles sur le film comme sur l'intégralité des bonus, permettent donc de rendre enfin le métrage accessible au plus grand nombre… Concernant l'œuvre, elle nous est proposée dans un transfert 16/9 au ratio 1.85 d'origine. L'image est de qualité, les contrastes sont puissants, les teintes chaudes et les noirs profonds. La compression ne se fait aucunement sentir et seuls quelques plans semblent dévoiler des couleurs légèrement baveuses. L'introduction, en français, du film par Francis Barbier nous révèle les nombreux démêlés qu'a dû subir le film avec les laboratoires de développement (trois différents), justifiant par là même quelques différences de grain qui, si elles sont effectivement notables, ne s'avèrent en rien pénalisantes. Un transfert de qualité donc qui se trouve couplé avec un contenu éditorial très satisfaisant.
En effet, le disque reprend à son compte la quasi-totalité des nombreux bonus de l'édition zone 1. «Quasi-totalité» seulement car nous constaterons avec regret l'étrange absence des commentaires audio de John Huckert et Noel Palomaria. Ceux-ci se voient remplacés sur le disque zone 2 par un autre commentaire, en français cette fois-ci, de Stéphane Bouyer et Francis Barbier. S'il semble évident que cette intervention est amateur et décontractée dans la forme, il n'en est rien, en revanche, du fond qui fourmille réellement d'anecdotes (plus ou moins) pertinentes. En réalité, ce bonus s'avère reprendre et compléter les différentes interviews proposées par ailleurs. Au nombre de quatre, ces rencontres filmées entre la presse, John Huckert, Mitchell Grobeson et Noel Palomaria n'apporteront donc pas grand-chose en sus, d'autant que certaines questions des journalistes sont clairement inaudibles ! John Huckert évoquera cependant assez rapidement les difficultés critiques rencontrées, de la part de la presse mais aussi du milieu homosexuel… Le bonus suivant nous propose de partager un peu plus de cinq minutes en compagnie de l'excellent Malcolm Moorman auditionnant bien entendu pour le rôle de Jack. Les deux séquences répétées reprennent ainsi des instants «clé» du métrage avec tout d'abord l'introduction, particulièrement savoureuse en terme de dialogues, puis le premier contact avec Raymond Vates. Viennent ensuite s'ajouter les scènes coupées, rallongées ou alternatives qui sont au nombre de seize pour un total impressionnant de 45 minutes. Objectivement, aucune de ces scènes n'avait réellement sa place dans le métrage. Certaines, bien qu'amusantes (la livraison d'une pizza sur le lieu du crime) auraient de toute évidence nuit au film et atténué sa principale qualité : Le réalisme. D'autres se perdent dans d'interminables dialogues qui, s'ils ne sont pas dénués d'intérêt, auraient sans aucun doute brisé le rythme tout en imposant un message d'une lourdeur assez dommageable… Dernier bonus enfin avec les quatre bandes-annonces de l'éditeur proposées bien entendu en version originale sous-titrée français.
HARD nous arrive donc en France dans une édition d'une qualité indiscutable. Bien qu'il ne souffre pas réellement de la comparaison avec d'autres thrillers, plus travaillés, tels que LE SILENCE DES AGNEAUX ou SE7EN (au sujet duquel la jaquette ose une comparaison), le film de John Huckert nous propose une alternative gay, intelligente et particulièrement bien vue. Oubliez donc le bancal CRUISING et son héros s'intégrant dans le milieu gay aussi simplement qu'un Keanu Reeves dans celui des surfeurs (POINT BREAK) pour vous plonger dans la réalité dure et sans artifice de ce HARD.