Voilà plusieurs générations qu'une trêve impose aux clans Iga et Kõga un calme tout relatif. Car bien que s'interdisant la moindre altercation, les clans rivaux depuis plus de 400 ans n'ont de cesse de peaufiner leur art, celui du Shinobi, des guerriers de l'ombre... Malgré ce climat pour le moins tendu, un amour impossible a vu le jour. Une liaison secrète unit donc aujourd'hui Oboro, héritière du clan Iga, et Gennosuke, fils de Danjo Kõga. Gennosuke, éternel optimiste, pense qu'ensemble, ils peuvent infléchir leur destin, braver les interdits et, pourquoi pas, instaurer une paix durable. Mais les ardeurs de celui-ci sont bien vite refroidies lorsque le Shogun annonce une suspension partielle de la trêve : Un affrontement aura bien lieu et les vainqueurs auront l'honneur de travailler pour le gouvernement. Les cinq meilleurs ninjas de chaque clan sont alors sélectionnés pour faire leurs preuves. Parmi eux, les deux jeunes tourtereaux qui se trouvent, contre leur gré, entraînés dans une guerre sans grand espoir de survie…
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, SHINOBI n'est en rien l'adaptation du jeu vidéo phare de Sega. Shinobi est avant tout le terme originel désignant un ninja, guerrier-espion-assassin du Japon dans sa période médiévale. Les ninjas, contrairement aux samouraïs, n'étaient pas soumis au bushidô et à ses sept vertus mais plutôt au ninpõ, une doctrine ne prônant nullement la bravoure mais la nécessité d'arriver à ses fins, quelles que soient les méthodes employées. Sur ce postulat a priori très simple se développaient différentes techniques telles que la furtivité, la ruse, le mensonge et bien évidement le meurtre. L'aspect «mystérieux» du ninja ainsi que ses techniques d'approche et de combat firent bien évidement le bonheur des cinéastes de tous poils. C'est ainsi que le ninja apparut aussi bien chez Sam Peckinpah pour TUEUR D'ELITE que chez l'incurable Godfrey Ho pour une flopée d'oeuvrettes sérieusement Z. Les ninjas devinrent très vite bis dans les années 80 et chaque héros de série télé ou acteur coutumier des rôles de cogneurs se devait d'affronter son shinobi. Chuck Norris et Michael Dudikoff eurent ainsi de multiples occasions de casser du ninja et Christophe Lambert lui-même s'y frotta en 1995 pour les besoin de LA PROIE. Depuis, le guerrier de l'ombre n'est guère à la fête et ce n'est qu'avec AZUMI et ELEKTRA qu'il redorera quelque peu son blason et quittera le pyjama noir dans lequel il s'était vu tristement fagoté…
Retour aux origines donc avec ce SHINOBI, adaptation fidèle du manga Basilisk de Masaki Segawa et Futaro Yamada. L'œuvre papier en cinq volumes fût déclinée en 2005 par le studio Gonzo en une série animée de 24 épisodes avant d'être confiée aux bons soins du réalisateur Shimoyama Ten pour une retranscription «live» à destination des salles obscures. Quel que soit le support, la trame générale reste la même et nous propose une vague retranscription du «Roméo et Juliette» de William Shakespeare au royaume des ninjas. Aucune raison d'y voir un sacrilège car si l'auteur britannique ne s'est toujours pas retourné dans sa tombe suite aux sorties de ROMEO DOIT MOURIR, TROMEO & JULIET ou encore UNDERWORLD, aucune raison qu'il fasse exception pour SHINOBI. Quoiqu'il en soit, l'histoire impérissable reste globalement intacte : Deux clans s'opposent avec force et c'est au beau milieu de cette guerre que l'amour décide de sévir contre toute logique… En plus de cette trame rongée jusqu'à l'os, une réalité historique intéressante vient s'ajouter à cet exotique cocktail qu'est SHINOBI. En effet, les clans Iga et Kõga (tous deux constitués de ronins et d'émigrés Chinois ou Coréens) furent effectivement les deux plus grands clans ninja du Japon et rivalisèrent des années durant. Sur cette lancée, le film reprend par ailleurs des lieux existants, tous brillamment mis en images et nommés à l'écran.
Un contexte réel n'est cependant pas synonyme de cinéma réaliste. Car dans son traitement, SHINOBI entre de plain-pied dans le fantastique et nous propose une galerie de personnages réellement surhumains. Chaque ninja se voit ainsi attribuer, en plus d'une esthétique pour le moins surprenante, une panoplie d'armes et d'attaques toutes plus surréalistes les unes que les autres. Bien qu'inspirées de techniques classiques, elles prennent là une dimension toute autre, à la fois démesurée et graphiquement très aboutie. L'art du déguisement devient dès lors une capacité à remodeler la structure de son visage, l'auto-médication se transforme en immortalité, les kusarigamas (serpettes fixées à des chaînes) semblent s'étendre à l'infini, la furtivité laisse place à une rapidité imperceptible par l'oeil et le "regard qui tue" trouve ici une signification magnifiquement concrète. Ces extravagances ne sont bien entendu pas sans rappeler le travail de Yoshiaki Kawajiri sur son NINJA SCROLL foisonnant d'idées farfelues. Certains personnages comme l'homme-animal ou l'empoisonneuse semblent du reste tout droit sortis de ce film d'animation des années 90 puis décliné une dizaine d'années plus tard sous la forme d'une série animée de 25 épisodes... SHINOBI prend dès lors des allures de fantasme pour tout amateur de ninjas hauts en couleurs, réussissant sans mal là où ELEKTRA s'était pris les pieds dans le tapis. En effet, si le film de Rob Bowman n'avait su nous captiver que lors de quelques scènes, celui de Shimoyama Ten ne faillit pas et nous propose un spectacle d'une qualité artistique indéniable. Combats nerveux et spectaculaires, effets spéciaux inventifs, scénario intéressant et complexe, contexte historique et géographique réaliste, tout y est ! Bien sûr, il n'est pas interdit de tiquer devant quelques effets numériques douteux (l'aigle de l'introduction) ou de bailler lors de la première demi-heure, esthétiquement parfaite mais particulièrement verbeuse. Cependant, SHINOBI prend au final des allures de blockbuster intelligent et stylé, réalisé avec soin et amour par un homme qui n'avait alors que quatre films bien peu flatteurs à son actif (BLOOD HEAT, ST JOHN'S WORT…). Une véritable performance à laquelle collabore largement un casting particulièrement impliqué.
La superbe actrice Yukie Nakama (la Sadako de RING 0 et la Naoko des différentes déclinaisons de TRICK) nous offre ainsi un rôle tout en finesse, à la fois dur et résigné mais aussi et paradoxalement plein d'espoir, en attente d'une lueur que seul son aimant pourra lui apporter. Moins subtil mais tout aussi intéressant, le personnage de Gennosuke prend une dimension réellement désespérée sous les traits de Odagiri Jô, déjà excellent en 2004 dans le terrifiant BLOOD AND BONES. Le jeune acteur nous livre un personnage en total déphasage avec son statut de ninja, dont la sensibilité contraste avec la puissance de ses pouvoirs et dont la brutalité s'oppose à son évidente fragilité émotionnelle… Gennosuke est un guerrier malgré lui, un homme parachuté dans un monde qui ne lui correspond aucunement et qu'il croit naïvement pouvoir faire évoluer. Tous deux forment à l'écran un couple spectateur (ils n'interviennent que lors du troisième tiers du métrage) d'une violence qui les attriste profondément. De cela née une réflexion vis-à-vis d'un Japon alors en pleine mutation, désireux de se libérer des contraintes imposées par les traditions, les codes et les devoirs…
Bien qu'imparfait et très inégal sur le plan du rythme, SHINOBI est donc un film qui, à l'image de ses fourbes combattants, possède plusieurs facettes. Ceci contribue aisément à faire du métrage de Shimoyama Ten un film hors normes, appréciable tant dans le fond que dans la forme.
Concernant justement l'esthétique superbe dans laquelle baigne le film de la première à la dernière minute, reconnaissons que l'édition DVD chinoise lui rend pleinement justice. Le format d'origine est bien entendu respecté avec une image 16/9ème au ratio 2.35. Le transfert est exempt de défaut, les couleurs sont chaudes, le contraste précis et la compression ne se fait absolument pas sentir. Cette qualité visuelle se voit par ailleurs couplée avec une expérience sonore hors du commun.
La version originale japonaise (sous-titrée en anglais) est en effet déclinée en deux formats. Le premier, Dolby Digital 5.1 EX ne décevra pas et délivrera un son cristallin particulièrement bien réparti. Etonnamment claire durant les phases de dialogues ou de méditation, cette piste prendra une dimension réellement monstrueuse lors des scènes d'action, sans pour autant perdre en précision. La piste DTS quant à elle se révèle tout simplement colossale. D'une pureté sans faille lorsqu'il s'agit de restituer le bruit d'une cascade d'eau, elle devient vite dangereuse pour vos voisins cardiaques lorsqu'un ninja se décide à user de ses pouvoirs… Une réussite donc en terme d'image et de son pour ce DVD édité par ERA.
La version chroniquée ici ne dispose en outre que de deux petits documentaires n'excédant pas les neuf minutes chacun. Le premier nous propose d'en apprendre un peu plus sur les armes du film. Nous sont donc présentés les croquis préparatoires, les différents essais, la concrétisation soigneusement réalisée en métal et l'usage qui en est fait dans le métrage. Notons à ce sujet que le documentaire déflore la plupart des combats clef. Il est donc recommandé au spectateur de ne pas jeter un œil à ce bonus sans avoir vu le film au préalable… Le second documentaire nous invite à découvrir comment ont été construits les deux villages ninjas, dans le respect de l'architecture et des matériaux d'alors. Un véritable travail d'artisan auquel le film rend bien entendu justice.
Bien qu'intéressants, ces documentaires sont un peu courts et le DVDphile risque fort de rester sur sa faim. L'édition double DVD pourrait bien entendu combler les plus difficiles mais il est important de signaler que seuls les sous-titres chinois sont proposés sur les bonus… La barrière linguistique fait donc des siennes et bloquera probablement la plupart des acheteurs occidentaux.
Reste que nous avons là une édition de qualité pour un film étonnant. Tour à tour nerveux, sec, rapide puis contemplatif et posé, SHINOBI est une œuvre intéressante et aboutie. Une réussite visuelle en plus d'être un film d'action aux accents vidéoludiques, le mariage concluant d'une esthétique à la DOLLS avec la folie d'un NINJA SCROLL. Un film chaudement recommandé donc pour tout ceux qui apprécient la beauté des images et les guerriers bondissants.