Le corps d'un jeune homme est retrouvé sous la glace dans une rivière. Les gérants de l'université locale où il était étudiant craignent qu'un scandale ne vienne entacher la bonne réputation de l'établissement. Ils insistent alors auprès de la police pour que l'affaire soit classée et que la thèse du suicide d'un élève dépressif soit retenue. Mais l'officier Abel Grey ne l'entend pas de cette oreille surtout quand une amie proche du défunt lui révèle certains faits qui vont le conduire à une vérité dont les ramifications vont bouleverser sa propre vie.
Pour son troisième long métrage au cinéma, Nick Willing s'est vu proposé d'adapter le roman éponyme d'Alice Hoffman par l'auteur elle-même. L'écrivain avait beaucoup aimé son PHOTOGRAPHING FAIRIES datant de 1997 et son intuition s'est révélée on ne peut plus juste. Le réalisateur a apporté une grande sensibilité à cette histoire fermement ancrée dans la réalité, mais dotée d'une ambiance à la lisière du fantastique. Ceci est justifié en premier par les visions d'un petit garçon qui hantent Abel tout le long de l'histoire. A-t-il un rapport avec le défunt ou avec le policier ? Ensuite, il y a aussi ces étranges apparitions inexpliquées sur des photos. Et en dernier lieu, l'action se déroule en plein hiver dans un paysage enneigé d'une beauté époustouflante, mise en valeur par un réalisateur aux doigts de fée, lui-même épaulé par un directeur photo avec un flair imparable de la poésie de l'image.
L'histoire est portée avec justesse par un casting dont les visages ne sont pas spécialement connus. L'officier Abel Grey est interprété par Edward Burns. Ce New Yorkais d'origine Irlandaise a débuté sa carrière dans le cinéma indépendant en écrivant, réalisant et interprétant LES FRERES McMULLEN qui avait fait beaucoup de bruit à Sundance et à Deauville en 1995. Malheureusement, il n'a pas su rester à la hauteur des promesses entrevues dans son film et la suite s'est révélée moins marquante. Bien que sa première passion soit l'écriture et la réalisation, il a également joué dans une vingtaine de films (dont IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN) mais ne s'est jamais imposé de façon indélébile. Pourtant, ici, il démontre une grande capacité au naturel – le seul reproche que l'on pourrait lui faire serait une certaine retenue dans l'expression de sentiments profonds.
Depuis le suicide de son grand-frère quand il était encore petit, Abel et son père entretiennent des rapports difficiles. Ce souvenir pénible va remonter à la surface de son esprit dès la découverte du corps dans la rivière. Ce douloureux souvenir restera entremêlé à l'investigation. Abel refuse de se plier à l'autorité qui tente de classer l'affaire ce qui aura pour résultat de brouiller ses relations avec son co-équipier soumis au règlement jusqu'à la frustration mais surtout, de remuer des choses que certains préféreraient voir cachées pour toujours.
Le développement de l'histoire est calqué sur le fil rouge du film : celui des apparences trompeuses. Tous les points de vue y ont leur place, tant et si bien que l'on a parfois l'impression qu'Abel pourchasse des fantômes afin d'intégrer ses découvertes à sa propre vision des choses. On a tous notre vérité personnelle, on est tous convaincus par les faits qui correspondent à nos propres croyances, aussi fausses soient-elles. Mais parfois, on est obligé de se plier à la vraie vérité, celle qui nous met face à nous-mêmes et qui détient le pouvoir de changer une vie.
La mort du jeune homme, Gus Pierce, est de ces vérités-là ! Elle va chambouler l'existence de tous ceux qu'elle touche, de près ou de loin. L'un des professeurs du défunt, Betsy, vulnérable dans sa relation insatisfaisante avec un fiancé qui a déjà prévu leurs emplacements côté à côté au cimetière, va s'approcher d'un Abel dont la vie est alourdie par une trop longue solitude. L'amie de Gus, Carlin, qui détient la clé du mystère sans le savoir, va plonger au fond de sa culpabilité avant de renaître tant bien que mal. Et enfin, Abel va devoir affronter ce que son inconscient lui refuse depuis tant d'années et qui va enfin le libérer tel le printemps délivrant la nature de sa prison de glace.
Nous aurons bien sûr droit aux fausses pistes qui vont cependant se révéler être de plus grande importance qu'il n'y paraît, comme les rituels étranges d'un club secret au sein de l'université. Le leader de ce groupe intitulé L'Ordre de l'Elu, c'est Harry, accessoirement petit ami de Carlin, voyant en Gus un ennemi à détruire. Sa jalousie se verra mise à rude épreuve lors d'un tour de magie qui, au lieu d'assurer la place de Gus parmi le groupe comme prévu, sera le catalyseur du drame. Le bizutage fait partie de la vie sociale de toutes les écoles, sous une forme souvent plus cruelle qu'amusante, et a déjà causé la mort de nombreuses personnes. Bien souvent, les autorités ferment les yeux sur ces pratiques douteuses, préférant responsabiliser le défunt, quitte à salir son image auprès de ses proches. Malgré les abus de pouvoir ici-présents, Abel ne baisse pas les bras et bien qu'il aurait souhaité un autre dénouement, la réponse sera satisfaisante pour l'entourage.
Le film est présenté dans un transfert 16/9 à partir du format 2.35 d'origine. Comme déjà évoqué, l'image est de toute beauté et ne souffre d'aucun problème de compression. Le directeur de la photo a su admirablement exploiter la neige et ses couleurs allant du gris vers le bleu, composant des images souvent froides en grand contraste avec l'humanité dévoilée.
Au niveau du son, les deux pistes présentes, l'une en version originale sous-titrée et l'autre en doublée en français, sont en Dolby Digital 5.1. Le rendu agréable donne une profondeur auditive réelle au métrage bien que ce film, plutôt contemplatif et au nombreux passages silencieux, n'en ait pas nécessairement besoin. Très belle, la bande originale composée par Simon Boswell est mélancolique à souhait, soulignant le propos à merveille.
Du côté des suppléments, nous trouvons d'abord des entretiens avec les acteurs principaux, le réalisateur et l'auteur du livre. Chaque segment dure un peu plus ou un peu moins de 2 minutes ce qui est trop court pour vraiment entrer dans les détails, d'autant plus que chaque participant dit à peu près la même chose. Les montages sont très mal faits et on a vite compris qu'il s'agit en réalité de morceaux d'interviews destinés à être monté ensuite a l'intérieur d'émissions de télé.
Alors que l'on s'attend à voir une sorte de Making Of, la douzaine de minutes nommée "Scènes de tournage" sont, à l'image des interviews, du matériel brut. La moitié de la durée est allouée au tournage d'une seule scène ce qui devient rapidement répétitif pour ne pas dire ennuyeux. Pour le reste, on regarde l'équipe travailler en images quasi silencieuses, sur lesquelles un commentaire aurait au moins ajouté un brin d'intérêt.
Les bandes-annonces sont au nombre de trois (THE RIVER KING, DEATH ROW et LA SERVANTE ET LE SAMOURAÏ). Elles sont en version originale sous-titrée et d'une durée quasiment identique (1mn40). Et on repart avec la sensation de n'avoir rien appris de plus après le visionnage des suppléments qui ressemble à un assemblage maladroit plus qu'autre chose.
THE RIVER KING fait partie de ses métrages qui se suffisent à eux-mêmes, devant lesquels on se tait, où tout commentaire serait superflu. C'est un film qui fait réfléchir, tant sur les actes d'autrui que les nôtres. C'est également une balade poétique dans un paysage dont la présentation le rendrait presque imaginaire. Et c'est surtout la rencontre entre un écrivain et un réalisateur dotés de la même compréhension des méandres de l'esprit humain. Une réussite tout en douceur qui gagne en profondeur à chaque nouveau visionnage.