Le cinéma d'Abel Ferrara a cela d'étonnant que, quand bien même sa très forte personnalité donne envie de le classer dans le clan plutôt «Auteur», son parcours recoupe très fréquemment les genres commerciaux les plus classiques : thriller (NEW YORK, 2 HEURES DU MATIN), film de gangster (THE KING OF NEW YORK), horreur (DRILLER KILLER, THE ADDICTION) ou encore science-fiction (BODY SNATCHERS)… Science-fiction à laquelle se rattache le long métrage NEW ROSE HOTEL, adaptation d'une nouvelle de William Gibson, grand Pape de la littérature dite «Cyberpunk». Ce long métrage met en vedette Christopher Walken, collaborateur assez régulier de Ferrara (THE KING OF NEW YORK, THE ADDICTION), ainsi que Willem Dafoe. Tous deux sont crédités en tant que co-producteurs du film. Nous trouvons aussi l'actrice Asia Argento. L'année 1998, avec la sortie de NEW ROSE HOTEL et de LE FANTOME DE L'OPERA, vont marquer son apparition massive dans les magazines à la mode, même si les deux films en question n'intéressent guère un vaste public…
Dans un futur proche… Fox, un homme d'affaires travaillant en freelance, met au point un stratagème pour que Hiroshi, un généticien surdoué, quitte la compagnie hollandaise Maas et se mettent au service d'une puissante firme japonaise nommée Hosaka. Avec l'aide de X, Fox recrute Sandii, une prostituée qu'ils paient pour séduire Hiroshi et l'encourager à quitter Maas. Leur plan fonctionne à merveille…
Au coeur des années 90, le mouvement Cyberpunk, lancé dans la littérature de science-fiction par William Gibson, provoque un réel engouement. Ses thèmes et son univers se voient déclinés officieusement dans des films comme STRANGE DAYS ou LE COBAYE par exemple. Une seule grosse adaptation directe de l'oeuvre de William Gibson sort sur les écrans : JONNY MNEMONIC, avec Keanu Reeves. Le même acteur qui sera la vedette de la trilogie MATRIX, sans doute l'oeuvre la plus connue du grand public à avoir abordé un univers proche de celui de Gibson.
De cet univers cyberpunk, Ferrara ne retient pas les éléments les plus technologiques. Il n'y a pas de voyages dans la réalité virtuelle ou dans les réseaux informatiques, par exemple. NEW ROSE HOTEL s'intéresse en fait à un autre postulat classique de l'anticipation Cyberpunk : les grandes compagnies multinationales sont devenues si puissantes qu'elles ont fini par détenir plus de pouvoir que les états eux-mêmes. Elles en sont venues à faire régner partout la puissance de leur argent. Les enjeux de pouvoir et l'impunité que connaissent les multinationales deviennent alors tels qu'elles n'hésitent pas à recourir à des moyens violents pour protéger leurs intérêts. Dès lors se déroulent de redoutables guerres secrètes entre ces firmes, des guerres sales où la fin justifie les moyens, où les méthodes utilisées évoquent celles, radicales, des services secrets…
NEW ROSE HOTEL est donc avant tout comme un triller d'espionnage, s'inscrivant dans une société futuriste et corrompue. Toutefois, un thriller futuriste réalisé par Abel Ferrara ne ressemble en rien à un produit hollywoodien classique. Et surtout pas ce NEW ROSE HOTEL, dont la mise en scène très spontanée frise souvent l'improvisation. L'action tourne avant tout autour des personnages, des acteurs, qui assurent la plus grande part du spectacle. Plus que par la technologie, Ferrara est fasciné par le jeu de dupes qui s'esquisse entre les personnages, ainsi que par l'univers nocturne et marginal qu'ils côtoient. Univers qui recoupe par bien des aspects celui d'autres de ses films, tels que DRILLER KILLER, THE KING OF NEW YORK et autres BAD LIEUTENANT…
Toutefois, NEW ROSE HOTEL adopte une structure narrative assez déconcertante. L'intrigue se déroule classiquement et se termine durant la première heure de métrage. Puis, nous revoyons défiler le récit durant la dernière demi-heure du film. Une idée louable dans son principe, puisque nous percevons les évènements d'une manière tout à fait nouvelle. Une idée intéressante… Mais qu'il paraît excessif d'étaler sur trente minutes ! Le procédé tourne alors au bricolage, au remplissage. Ce qui accentue l'aspect «cheap» de NEW ROSE HOTEL. Car, il faut bien le dire, ce film semble avoir été tourné avec un budget dérisoire, entre une chambre d'hôtel, une piscine et une boite de nuit. Un parti pris qui apporte néanmoins une dimension intimiste inattendue pour un tel film de science-fiction.
Fauché et bien joué, mal fichu et très élégamment mis en scène… NEW ROSE HOTEL est un curieux film. Raté par bien des aspects, mais en même temps terriblement sincère et attachant. Dans un monde où le pouvoir, l'argent et la technologie semblent l'avoir emporté sur les aspirations humaines, la passion va pourtant naître là où personne ne l'attendra. Une forme de fable de l'arroseur arrosé, portée par le charisme de ses trois acteurs principaux et l'indéniable tendresse du regard que Ferrara porte sur eux.
Jusqu'à maintenant, l'option la plus intéressante pour se procurer NEW ROSE HOTEL était le disque américain publié chez Studio Home. Toutefois, ce DVD souffrait de plusieurs soucis. D'abord il ne proposait aucune option francophone. Ensuite, son télécinéma 1.85 ne proposait pas d'option 16/9…
One Plus One a finalement sorti NEW ROSE HOTEL dans une nouvelle édition française. Celle-ci propose une copie au format d'origine 1.85, cette fois-ci dans un télécinéma 16/9. Le résultat est très beau. Pour un film apparemment tourné avec quelques bouts de ficelles, on est frappé par la gestion de la luminosité et de la définition. Seule quelques scènes sombres du début du métrage laissent passer un peu de flou, mais sans doute cela incombe-t-il à l'image d'origine. Globalement très bien !
En bande-son, nous ne trouvons que la version originale, dans son mixage stéréo d'origine. Un résultat très propre, qui n'appelle pas de commentaire particulier. Le film ne joue pas spécialement sur une bande-son explosive ! Un sous-titrage français amovible est disponible. Aucun doublage français n'est proposé, mais sans doute n'y en-a-t-il pas eu d'enregistrer au moment de la discrète sortie de NEW ROSE HOTEL dans les salles françaises…
Si la copie du film s'avère irréprochable, l'interactivité est quant à elle discrète. Nous trouvons quelques bio-filmographies dédiées à Abel Ferrara, Asia Argento, Christopher Walken et Willem Dafoe. Un peu de lecture sympathique, complétée par la bande-annonce du film, ainsi que par quelques trailer d'autres titres du catalogue One Plus One. Le disque américain a le mérite de proposer quelques petits suppléments en plus, en particulier un commentaire audio du scénariste Christ Zois.
Bref, One Plus One nous offre une édition tout à fait décente de NEW ROSE HOTEL. Car si l'interactivité est pour ainsi dire absente, le film est présenté dans une copie d'une qualité irréprochable.