GORGO est un film de monstre pas comme les autres. Il arrive tout d'abord à la fin d'un cycle qui fit les beaux jours de la décade 1950-1960. Le film fut produit au Royaume Uni et utilise, concernant le monstre, la technologie utilisée dans GODZILLA (à savoir un homme dans un costume) et non pas de l'animation image par image (stop-motion) plus généralement utilisée en occident. Sans compter également son histoire qui est une sorte de croisement multiple avec nombre de films de son genre.
Eugène Lourié initia ainsi le cycle de film de monstres des années 50, résonance lointaine de KING KONG, avec LE MONSTRE DES TEMPS PERDUS et son rhédosaure animé en stop-motion par Ray Harryhausen. Ce film inspira d'ailleurs GODZILLA d'Inoshiro Honda… qui se trouva lui aussi une influence en miroir pour GORGO. Eugène Lourié ne fut pas en reste, réalisant entre temps un autre film de monstre inhabituel, THE GIANT BEHEMOTH dont on trouve encore ici (notamment sur le final) quelques échos. Le quatrième film tourné par Lourié traitait, curieusement, d'une autre forme de gigantisme, humain celui-ci, dans THE COLOSSUS OF NEW YORK. Eugène Lourié était par ailleurs largement réputé pour son travail sur les décors, plus récemment sur KRAKATOA EAST OF JAVA de Bernard Kowalski ou encore sur TRAUMA de Dan Curtis.
GORGO est riche en séquences spectaculaires, culminant avec une destruction de Londres (et notamment du London Bridge) qui fit une partie de sa réputation. Ayant abandonné la technologie de la stop-motion, GORGO se retrouve donc dans la peau de GODZILLA, à savoir un acteur dans un costume de monstre qui écrase des maquettes. L'attaque du grand huit demeure d'ailleurs un clin d'oeil au MONSTRE DES TEMPS PERDUS qui se terminait déjà dans un parc d'attractions à Coney Island. La similitude entre les deux films n'échappera pas à celles et ceux qui connaissent bien ces films, GORGO étant un quasi-remake du premier.
Quelques belles apparitions (Gorgo débarquant sur l'Ile irlandaise, tout comme sa maman par la suite, la destruction de Londres, le final) tranchent quelque peu avec certains effets louables, certes, mais qui prêtent plutôt à sourire aujourd'hui. Les yeux rouges du monstre et ses oreilles qui frétillent donnent le ton d'un film de monstre plutôt familial, et donc pas du tout à même d'effrayer le spectateur. Le fait de donner un caractère quelque peu maternel aux monstres impose aussi une certaine tonalité au film. La petite histoire veut que la fille de Jean Renoir (avec qui Lourié travailla étroitement avec, entre autres, des décors pour LA GRANDE ILLUSION, LA BETE HUMAINE, LE FLEUVE) s'était montrée mécontente de la fin du MONSTRE DES TEMPS PERDUS. C'est visiblement ce qui motiva Eugène Lourié en empruntant une voie différente pour GORGO.
L'histoire demeure on ne peut plus courante : un monstre réveillé par une éruption volcanique sous-marine débarque chez les humains pour être attaqué puis capturé, KING KONG style. Il sera livré en guise d'attraction à Londres… jusqu'à ce que la mère du monstre ne vienne rechercher sa progéniture. On le comprend assez rapidement, les véritables héros du film, ce sont les monstres. De ce fait, les humains ne font que pâles figures. Hormis peut être le focus effectué sur le jeune fils de pêcheur irlandais qui semble, par certains regards, comprendre la situation et donner le petit plus d'humanité qui manque aux autres. Les intrigues connexes demeurent sans intérêt, tant le moteur principal du récit demeure la progression des monstres dans notre monde. Aucune présence féminine notable par ailleurs (c'est assez rare dans les films avec gigantisme animal à la clé), on osera simplement avancer que ce n'est peut être pas un hasard, le deuxième monstre étant à lui seul la présence féminine massive à l'écran.
Pour la petite histoire, le héros du film, Bill Travers, devint célèbre (avec sa femme, l'actrice Virginia McKenna) par la suite comme un ardent défenseurs du droit des animaux à travers sa fondation Born Free, tiré du film éponyme où il joua. GORGO ne pourrait il pas ainsi être vu comme l'un premier rôle de l'acteur dans un film militant dans pour le respect de la vie animale mettant en avant la suprématie de nature sur l'humain ?
Le film reste cependant agrémenté d'un nombre assez important de stock-shots provenant (visiblement) de films militaires officiels. Lancement de torpilles, avions de chasse, chars en déploiement… Tout est bon pour paraître plus crédible, plus «riche», aux yeux des spectateurs qui, aujourd'hui, ne sont plus du tout dupes quant à ce type de procédé. Il en va de même concernant certains plans d'effets speciaux où les couleurs des différentes images trahissent le procédé de transparence utilisé.
La copie de cette «Widescreen Destruction Edition» présente un côté sombre qui ne fait pas sa force. Une définition hasardeuse confère à un léger flou du contour des personnages. Un manque évident de contraste trahit la présence de grain pendant les scènes nocturnes (la première attaque de Gorgo à 16mn09) qui n'est pas du meilleur effet. A mettre sur la qualité du matériau d'origine ? Peut être puisque une copie du film projeté récemment à la Cinémathèque présentait des défauts similaires. En tout cas, il s'agit toutefois d'une amélioration sur la qualité du Laserdisc NTSC, encore bien plus sombre. On remarque de plus que la copie du Laserdisc Roan Group rognait un peu l'image sur la droite et la gauche. Sur ce DVD, on retrouve le cadrage adéquat et on ne peut cependant que regretter l'absence d'un transfert 16/9. Pour continuer la comparaison avec le Laserdisc NTSC de Roan Group, on remarque une durée supérieure (78 mn). La jaquette annonce 76 minutes, mais la copie ne fait en réalité que 73 mn31 (sans la présentation du logo MGM). Le générique de fin se termine en même temps que le film, alors que la copie du Laserdisc présente elle encore quelques secondes supplémentaires après la disparition des crédits.
GORGO était déjà sorti auparavant chez VCI aux Etats-Unis et une édition Zone 2 a même été distribuée en France. Ce nouveau DVD ne change finalement pas grand chose à l'ancien disque VCI hormis l'apparition d'un mixage 5.1 (pourtant non indiqué clairement sur la jaquette) et du doublage français. Le mixage Dolby Digital 5.1 est une bonne surprise car la spatialisation s'avère de très bonne qualité, répartissant de manière heureuse les dialogues, les effets sonores et la musique sans rendre le tout artificiel. Plutôt claire, la piste anglaise dégage toutefois quelques grésillements, notamment lors des scènes de dialogue. La musique réussie du très prolifique Angelo Lavagnino trouve toutefois son chemin de manière précise pendant les scènes d'action. Notamment lors de la première séquence avec l'apparition du volcan et de la lame de fond, les effets sonores de l'eau s'abattant sur le bateau se marient parfaitement avec la musique et les bruits du bateau. Egalement, à 16mn42, les effets de tirs de carabines nourrissent le champ sonore de manière inattendue, tout comme l'attaque des jets à 69mn46… Un bon équilibre dans l'ensemble. On trouve aussi une piste française. Etouffée, elle ne bénéficie clairement pas du même travail que celui opéré sur la piste originale. On y remarque aussi quelques ajouts de dialogues n'étant pas dans la version anglaise (on y en entend un «Tiens Bon !» à 4mn08 absent de la VO). Le mixage est tellement sourd que la partition musicale entre 43mn06 et 43mn20 devient inaudible lors de l'attaque du village par la mère du monstre. Alors que la version originale anglaise offre une clarté du champ audio et une répartition équilibrée de l'ensemble des sons en présence (musique et effets sonores).
Côté bonus, VCI avait déjà produit un intéressant documentaire qui se trouvait déjà sur leur édition précédente. Il s'agit d'un petit segment vidéo informatif d'une dizaine de minutes et alimenté d'images, croquis et reportages d'époque sur la genèse de GORGO. Celui-ci est proposé en anglais sans aucun sous-titrage. Des bandes annonces d'époque poursuivent la section des suppléments avec celle de GORGO, bien sûr, mais aussi d'autres films sortis chez VCI. Enfin, de courtes biographies et filmographies de Bill Travers, William Sylvester et d'Eugène Lourié complètent le tableau. Une petite erreur s'est glissée dans la filmographie du réalisateur. On y voit en effet THE GIANT BEHEMOTH et BEHEMOTH THE SEA MONSTER de crédités pour 1959 alors qu'il ne s'agit que d'un seul et même film.
Avec LE MONSTRE DES TEMPS PERDUS, Eugène Lourié initiait donc une décade prodigieusement monstrueuse du cinéma de série B pour, en quelque sorte, la refermer avec GORGO. Un seul réalisateur, pour deux films aux thèmes similaires même si GORGO tente de suivre un autre chemin, tout en dispensant un message plus humaniste qu'à l'accoutumée. Il semblera certes bien naïf 46 ans après sa réalisation, mais GORGO demeure bien un des plus beaux fleurons du film de monstres géants à l'ancienne que le cinéma ait pu produire. Un grand film, probablement pas, mais, sans aucun doute, un excellent divertissement.