Une mystérieuse jeune femme (Tiki Tsang) assassine des personnes qui n'ont aucun lien apparent entre elles. Elle signe ses meurtres d'une petite voiture qui semble apeurer les victimes, et intriguer fortement le jeune flic qui mène l'enquête, épaulé par un coéquipier proche de la retraite.
KILLING CAR (aka LA FEMME DANGEREUSE, sortie cinéma en 1993), est l'un des films les plus récents de Jean Rollin. Ce dernier a développé, durant les années 80 (PERDUES DANS NEW YORK, LES TROTTOIRS DE BANGKOK) une thématique parallèle à celle de ses films de vampires : action, érotisme, décors urbains… qu'on retrouve dans KILLING CAR (l'action y est omniprésente, plans de coupe dans les rues de New York, Paris …) mêlée à des scènes plus «classiques» (le meurtre des deux trafiquants, dans une maison isolée, à la campagne).
L'intrigue de ce film, tourné en une dizaine de jours, éloigne Rollin de ses rivages habituels : la place de la voiture, sa trivialité, l'ouverture du film dans une casse, c'est là le centre du film (dont le titre se fait l'écho). La scène d'amour dans la voiture, où les raisons de la vengeance sont enfin dévoilées, évoque de façon lointaine le thème et le traitement de CRASH de Cronenberg. Le monde onirique, fantastique de Jean Rollin est perverti par la présence de plus en plus forte du quotidien et de ses objets symboles.
KILLING CAR n'est pas un film d'horreur. Ce métrage oscille entre le roman-feuilleton et le polar. Sa filiation est donc autant littéraire que filmique : l'histoire s'organise en cinq séquences de meurtre tranchées par l'apparition récurrente de l'héroïne posant de façon mélancolique sur son yacht ; chaque séquence apporte son (faible) lot d'informations menant à la résolution finale et met en scène un aspect de la personnalité de l'héroïne. Le choix narratif de ne pas dévoiler d'emblée la cause de la vengeance fonctionne ; c'est d'ailleurs le principal intérêt du film.
Film noir, KILLING CAR l'est par son intrigue, mais aussi par ses personnages. Policiers, prostituées, maquereaux ou danseuses de strip-tease semblent tout droit sortis de quelque série TV allemande (le son en prise directe renforce évidemment l'analogie entre le film et une série TV) ; les actrices n'hésitent pas en plus à se dénuder, comme de coutume chez ce cinéaste. Seule l'héroïne trouve grâce aux yeux du réalisateur : Rollin fait de ce personnage, une tueuse vengeresse, un personnage énigmatique, puissant et déterminé, pour laquelle il n'y a plus de bien et de mal, prête à toutes les compromissions pour obtenir sa vengeance, rappelant (de loin) les flics de John Woo ou certains personnages de Charles Bronson.
Les scènes de meurtre ne brillent pourtant pas par leur côté spectaculaire, puisqu'elles reposent toutes (ou presque) sur une fusillade, et Rollin n'excelle pas vraiment dans le traitement de l'action. Les séquences illustrant la vengeance lassent vite par leur aspect répétitif .
Rollin fait pourtant preuve de ses qualités de réalisation dans la meilleure séquence du film : deux receleurs sont attirés par l'héroïne dans une ferme ; elle pourchasse l'un et sa petite amie, puis les tue et les stocke dans une remise. Le suivant arrive, lui aussi en charmante compagnie. Il s'installe pour la nuit, peu rassuré, et le couple finit assassiné au revolver pour lui, à la fourche pour elle. Image de la faucheuse, meurtre à la fourche (enfin, l'héroïne pose son arme à feu !) dans une ferme perdue à la campagne, lumière sombre et profonde, plans subjectifs, Rollin convoque pour cette séquence ses fantômes (FASCINATION, LES RAISINS DE LA MORT) et réalise un moment de cinéma intense. Le furtif regard caméra de la victime, qu'on peut bien sûr taxer une nouvelle fois de maladresse, appelle le spectateur de façon subliminale, le fait pénétrer dans cette scène d'éventration, morceau de bravoure d'un film assez terne pour le reste. A part dans cette séquence, le rythme, si particulier, du cinéaste semble laissé de côté, ou du moins ne fonctionne pas avec la même efficacité que dans ses films des années soixante-dix ; restent quelques réflexes quant aux couleurs et aux lumières (surtout dans la séquence sus-citée). L'ambiance pourrait fonctionner parfois : il manque peu de chose, une bande son plus soignée peut-être, une musique moins mélancolique que la partition de piano de Philippe Bréjean, un peu plus de conviction.
Ce disque fait partie de la collection Jean Rollin qui compte une dizaine de titres édités par L.C.J. et distribués en VPC. Le transfert est loin d'être parfait et l'image subit très régulièrement des sautes et un assaut de tâches auxquelles les pratiquants du cinéaste sont habitués : le travail de l'éditeur est cependant correct, on pouvait craindre bien pire (!). Le DVD propose une image au format 4/3 au ratio 1.33:1.
Les disques de la collection offrent tous les mêmes bonus et utilisent la même présentation. Les bandes-annonces font un rapide tour du meilleur de Jean Rollin (ou du moins du plus marquant) mais on peut regretter qu'elles soient presque identiques sur tous les disques : elles sont enchaînées en un seul programme heureusement chapitré, ce qui permet l'accès direct à une bande annonce. Même remarque pour l'interview, proposée en ratio 1.77:1, qui apporte néanmoins quelques précisions intéressantes sur le travail de Rollin, et sur la perception qu'il a de son oeuvre.
KILLING CAR est donc loin d'être un des meilleurs films de Jean Rollin, même s'il possède quelques passages savoureux. Il met en scène encore une fois Jean-Pierre Bouyxou (acteur chez Franco dans FEMALE VAMPIRE, chez Rollin dans LA MORTE VIVANTE… scénariste des LES RAISINS DE LA MORT) et Jean-Loup Philippe (LEVRES DE SANG) que l'on retrouve avec plaisir.