Gepetto est un menuisier peu prospère qui se morfond dans une misère
qui dépasse l'imagination. Il est si pauvre qu'il a peint un feu de
bois dans sa cheminée pour avoir plus chaud ; si pauvre qu'il se fait
un festin d'un pauvre quignon de pain rassis humecté d'eau et cuit sur
une pierre comme un fabuleux T-bone d'avant l'ESB. Si malheureux aussi,
car sa belle l'a quitté, voici longtemps, et qu'ils n'ont jamais eu
d'enfant. Plus le temps passe, plus Gepetto se voit vieillir et plus
sa solitude lui pèse. Un beau jour, il a l'idée lumineuse de se fabriquer
un pantin de bois qui lui tiendra compagnie, qui remplacera ce fils
qu'il n'a jamais eu. Il va mendier une bûche à son voisin Maître Cerise,
qui se débarrasse avec plaisir d'un morceau de bois qui parle. Au fur
et à mesure qu'il avance dans la confection du pantin, Gepetto entend
une voix et commence à se demander s'il n'est pas en train de devenir
fou, après tant d'années de solitude, mais il comprend très vite qu'il
n'a pas la berlue : non seulement le pantin parle, mais il bouge. Quelle
n'est pas sa surprise lorsqu'il découvre, à son réveil, un petit garçon
à la place de la marionnette qu'il avait assise la veille sur une chaise.
Il la baptise Pinocchio et va céder à tous ses caprices, se saigner
à blanc pour lui offrir un beau livre d'école, tout abandonner pour
partir à sa recherche, trop heureux de pouvoir enfin donner un sens
à sa vie de misère.
Pinocchio a fait l'objet d'une multitude d'adaptations cinématographiques mais aussi littéraires, se retrouvant maintes fois adapté en livre de chevet pour enfants, livres dont on a pris soin de gommer toutes les "aspérités" que l'auteur avait introduites. Nombreuses sont celles qui rivalisent de mièvrerie et dégoulinent de bons sentiments, j'en veux pour exemple la plus connue, celle des studios Disney : il n'est plus question de pauvreté, Gepetto étant présenté comme un sculpteur sur bois ingénieux. Pinocchio, lui, est seulement un pantin naïf, loin d'être l'ouragan joué par Andrea Balestri dans le film de Comencini. Pour ce qui est de l'oeuvre originale, elle tenait davantage du pamphlet. En effet, son auteur, Carlo Lorenzini, qui signa ses écrits sous le nom de Carlo Collodi, avait imaginé un conte pour enfants, certes, mais empreint de moquerie à l'égard des hommes, dont il a représenté les tares sous les traits d'animaux rusés et sournois, tels que le chat ou le renard. L'auteur était en effet un anarchiste convaincu, déçu par Garibaldi qui a mené la révolution en Italie mais qui a fini par laisser le pays à des gens de pouvoir corrompus. Cette histoire, écrite pour l'un des premiers magazines pour enfants "Il giornale per i bambini" se voulait caricaturale de la société italienne de l'époque et de la difficulté, dans ce contexte, d'être un enfant. Il est intéressant de noter que ce conte fut parmi les premiers à mettre en scène la misère, la pauvreté, les maux dont souffre la société, et surtout des personnages principaux minables (Gepetto le pauvre en guenilles, Pinocchio, le pire des garnements qu'on puisse imaginer).
Dans le film de Comencini, Pinocchio entame une quête initiatique et philosophique qui le mènera tout droit à un univers sans merci, le livrant en pâture à des gredins sans foi ni loi qui abuseront de son innocence et de son ignorance. Il y goûte l'injustice, l'indifférence, mais aussi le plaisir et la liberté, dont il s'aperçoit à ses dépens du prix à payer. Si cette adaptation est toute personnelle dans son traitement, elle reste au plus près de l'oeuvre originelle, puisque le Pinocchio qu'on nous présente ici est un petit garçon exécrable, désobéissant, menteur et fugueur, qui causera les plus gros soucis à son géniteur. Pour la petite histoire, Comencini n'a d'ailleurs pas eu beaucoup de mal à diriger le garçonnet, puisque comme il l'explique fièrement dans les notes de production, l'enfant était réellement insupportable dans la vie. Son équipe ne l'appréciait pas, et encore moins Gina Lollobrigida, qui a carrément demandé au réalisateur de trouver un autre enfant, ce dernier refusant même d'embrasser la star, suprême affront !
Les décors, tout en images d'Epinal, donnent à l'ensemble un film à mi-chemin entre le drame paysan et la farce de la Commedia dell'Arte qui a donné ses lettres de noblesse au théâtre en Europe. Les personnages y sont caricaturaux, leur jeu est parfois clownesque évoquant sans ambiguïté les personnages récurrents de ce théâtre de rue basé sur l'improvisation. Le costume de Maître Cerise et son côté rugueux rappellent le personnage de Pantalon tandis que le marchand d'enfants rappelle celui du fameux Scaramouche, avec son costume noir et son énorme moustache. Et que dire du personnage de Pinocchio, et de sa ressemblance avec Pierrot alors que le costume d'école du garçonnet ressemble beaucoup à celui d'Arlequin, comme si Comencini avait voulu faire de son PINOCCHIO un être qui incarnât tantôt l'un, fourbe et rusé, tantôt l'autre, naïf, valet de la Commedia dell' Arte.
Le choix des acteurs qui interprètent le Chat et le Renard est excellent, car sans qu'il soit nécessaire de grossir le trait, leur physionomie évoque instantanément les deux animaux qu'ils incarnent. Il semble que Comencini ait souhaité ancrer son film dans la réalité, en donnant une véritable identité à chacun de ses personnages par opposition au pantin de bois, le seul personnage "extra ordinaire", si l'on excepte la fée, merveilleuse Gina Lollobrigida, qui temporise le jeu excessif des autres personnages, par la sagesse et la douceur qui émanent d'elle. Elle est la voix de la raison, dans ce monde où il est si difficile, pour un enfant, de ne pas céder aux nombreuses tentations. Elle est en fait la bonne conscience, par opposition aux deux compères, le Chat et le renard, et à Lucignolo, jeune délinquant qui refuse d'obéir aux codes de cette société d'adultes. Ce dernier est le seul, finalement, à refuser la condition d'enfant en s'enfuyant dans un monde qu'il croit libre, mais qui s'avère tout aussi impitoyable que celui dont il vient. Les enfants ici sont victimes de leurs aînés, qui abusent de leur crédulité pour en faire des animaux qu'ils vendront à la foire. La fée se prend d'affection pour Pinocchio car elle est bien consciente de la difficulté d'être un enfant. Pourtant, il lui cause tellement de soucis, qu'elle fait appel à deux Professeurs, et leur demande si elle doit lui rendre son humanité ou le garder à l'état de pantin. Cette scène est très représentative du peu d'intérêt que l'on portait aux enfants à l'époque, a fortiori lorsqu'on était un homme ; en effet, les deux professeurs s'opposent sur le traitement à infliger à Pinocchio, mais aucun ne voit de solution ailleurs que dans le châtiment. De quoi faire exploser Françoise Dolto ! L'instinct maternel de la fée la pousse à laisser le choix à son protégé, sans tenir compte des conseils éclairés de ceux qui prétendent avoir la science. Au passage, on remarque au début de cette scène un problème d'affichage du sous-titrage d'une ligne de dialogue dans toutes les langues proposées.
Ce film a été produit pour la télévision, en six épisodes d'une heure environ, et c'est Comencini qui l'a coupé pour en faire une version de 2 heures 15. Rien d'étonnant à ce que certaines scènes s'enchaînent bizarrement : par exemple, lorsque Pinocchio est jeté en prison par le juge, la scène suivante le montre brusquement à l'extérieur, libre.
Côté suppléments on trouve sur ce disque des extraits du journal du réalisateur, intéressants pour les anecdotes relatives au tournage. On y apprend entre autres que le réalisateur a été obligé de faire jouer le rôle de Pinocchio par un enfant dès le début du film, pour pallier aux nombreux problèmes techniques que posait le pantin, dont la mobilité était quelque peu réduite, alors que dans le conte, il ne devient un enfant qu'à la fin. Des filmographies, dont celle de Pinocchio (le personnage), une revue de presse sur le film et un mini documentaire sur l'histoire et son auteur, Collodi, complètent cette édition.