CINEMA : SPIDER
Attention film d'auteur ! Ceux qui avaient trouvé EXISTENZ trop détaché des canons commerciaux hollywoodiens risquent d'être de nouveau désappointés par le nouveau film de David Cronenberg. Avec SPIDER, le génie canadien oublie toute notion de rythme et les artifices visuels de ses plus grands films pour plonger le spectateur dans une fulgurante introspection dont la lenteur rebutera les plus téméraires.
SPIDER est dépourvu d'action, pas un événement marquant à relater, pas une seule scène spectaculaire. L'évènementiel et le sensationnel ont été écartés au profit du fait mental et de la reconstruction psychique. SPIDER nous plonge dans l'esprit perturbé d'un schizophrène (Ralph Fiennes, fascinant en narrateur omniscient et malade) qui à sa sortie de l'asile a bien du mal à ne pas sombrer de nouveau dans la démence.
Confronté à ses douloureux et nébuleux souvenirs, Spider (c'est le surnom du personnage principal) essaie de reconstruire son passé. Aux faits réels, il associe ses terreurs d'enfant, paranoïaques et irrationnelles, qui ne l'ont pas quitté. Spider adulte n'a pas réussi à sortir de sa jeunesse blessée à laquelle on a essayé de l'arracher. Prisonnier d'un corps mutilé d'adulte, Spider étouffe : ses souvenirs sont confus et contradictoires, trop violents pour son esprit instable. La pression psychologique que subit cet inquiétant personnage nourrit une sensation de claustrophobie latente que le spectateur n'a aucun mal à ressentir. Conviés à visiter les parcelles les plus intimes de son âme, on se sent bien à l'étroit. La caméra de Cronenberg colle à la peau de son personnage éponyme pour mieux faire resurgir cette sensation de malaise constant. Le cinéaste, toujours aussi doué, multiplie les plongées et les contre plongées vertigineuses et les angles tordus. La musique d'Howard Shore, toujours aussi inspirée et cohérente, participe énormément à cette sensation.
Le récit de jeunesse de Spider est passionnant. Sa simplicité apparente (il n'a rien d'extraordinaire) permet quelques belles audaces sur des thèmes maintes fois abordés tels que cette sempiternelle opposition entre la maman et la putain (dans ces deux rôles on retrouve la grande Miranda Richardson épatante dans son aisance à passer d'une extrémité à l'autre) ou la recherche identitaire de l'enfant qui ici trouve réconfort et force en s'identifiant à une araignée, c'est-à-dire à un prédateur peu avenant.
SPIDER offre une réflexion substantielle sur la famille et sur la maternité qui n'est pas des plus accessibles. Le refus systématique du sensationnel comblera de bonheur les spectateurs les plus exigeants, mais pourra aussi les frustrer au plus haut point. Oeuvre aboutie et réfléchie, le dernier bébé de Cronenberg est un pari narratologique réussi. En nous permettant d'assister à la laborieuse construction mentale du récit, le réalisateur nous prouve que la vérité est ailleurs. SPIDER réduit l'acte à de l'anecdotique et anoblit la pensée. Mais ce n'est qu'un aspect du film dont la richesse thématique étonnante vaut vraiment le détour. Bref, jetez-vous dans la toile de l'araignée. Vous n'en ressortirez pas indemnes.
Visitez le site officiel : http://www.spiderthemovie.com/spider.html
Sortie prévue en France le 13 novembre 2002.
Frédéric Mignard, aka Zecreep