UNE HISTOIRE NAVRANTE

1 octobre 2002 
UNE HISTOIRE NAVRANTE

C'est une histoire navrante ; une de celles dont Hollywood aime s'inspirer pour des films, sauf que là, ils auront du mal à en faire un, sans se remettre en cause eux-mêmes.
Forrest J Ackerman, âgé maintenant de 86 ans, considéré (à juste titre) comme le plus grand collectionneur au monde sur le cinéma fantastique, d'horreur, et de SF, est actuellement obligé de vendre sa collection, vieille de plus de 50 ans, aux enchères. Certaines pièces ont déjà été vendues à des collectionneurs privés.
Pour Ackerman, c'est évidemment l'écroulement du rêve de toute sa vie. Certains de ses amis, comme Ray Bradbury (dont Ackerman fit publier les premières nouvelles), ont tenté durant des années de convaincre la Mairie de Los Angeles, ou différents musées californiens, d'acquérir la collection Ackerman afin de la préserver de la dispersion. Durant cinquante ans, les 18 pièces de la maison Ackerman furent ouvertes à tous les visiteurs, célèbres ou inconnus, et à diverses reprises Forry fut la victime de voleurs qui profitaient de son immense générosité, et de sa confiance - parfois aveugle - en l'humanité, pour dérober telle ou telle pièce précieuse de sa collection.
Vers la fin des années cinquante, inspiré par un numéro spécial de la revue française "Cinéma 57" consacré à l'épouvante, Forrest Ackerman créa la mythique revue du cinéma fantastique, "Famous Monsters of Filmland". Chaque numéro apportait aux jeunes lecteurs fébriles que nous étions d'admirables photos des classiques de l'épouvante, des articles sur Lon Chaney, Boris Karloff, Bela Lugosi, Lon Chaney Jr.; Un autre magazine ackermanien, "Spacemen", s'intéressait plus spécialement à la SF ; et un troisième, "Screen Thrills", aux films d'aventures et aux serials. Ces revues firent rêver de jeunes lecteurs qui avaient pour nom Joe Dante, George Lucas, Steven Spielberg, Rick Baker, et bien d'autres, et décidèrent de leur carrière.
Victime d'un escroc, une fois de plus, Ackerman intenta un procès et le gagna. Malheureusement, le perdant se révéla insolvable, et (paradoxe de la justice), Forry se retrouva avec une somme astronomique à payer ; la seule solution étant de vendre les centaines de milliers de pièces d'une collection accumulée en plus de cinquante ans, dont la moindre est considérée aujourd'hui comme irremplaçable, mais qui sans Forry aurait fini à la poubelle à laquelle les studios hollywoodiens jetaient la plupart du temps leurs "vieux" documents... quand ça n'était pas les films eux-mêmes.
D'une immense générosité, Forry envoyait régulièrement, à ses correspondants de par le monde, des trésors. Ayant lu par hasard une demande de renseignements sur "Famous Monsters" que j'avais publié en 1961 dans la revue française "Fiction", il me répondit en m'envoyant les numéros de son magazine (ce qui répondait magnifiquement à ma question), puis des extraits de films en format réduit, des press-books, des photos et des affiches. Je devins grâce à lui une sorte de correspondant pour "Famous Monsters". Je passai plusieurs jours en sa compagnie lors d'un séjour qu'il fit à Paris en 1970 avec sa femme Wendayne, décédée depuis.
Cela ne vous étonnera pas trop, je suppose, d'apprendre qu'aucun des studios d'Hollywood dont Ackerman a préservé le patrimoine de la destruction, qu'aucun multi-millionnaire (en dollars), voire milliardaire, comme Spielberg, qui ont déclaré à maintes reprises "devoir leur carrière à Famous Monsters", n'a levé le petit doigt, ni signé le moindre chèque pour venir en aide à "leur vieil ami" Ackerman, ni pour sauver les trésors hollywoodiens de la plus grande collection du monde.
Je vous l'avais dit, c'est une histoire navrante...

Jean-Claude Michel

Rédacteur : Christophe Lemonnier
Photo Christophe Lemonnier
Ancien journaliste professionnel dans le domaine de la presse spécialisée où il a oeuvré durant plus de 15 ans sous le pseudonyme "Arioch", il est cofondateur de DeVilDead, site d'information monté en l’an 2000. Faute de temps, en 2014, il a été obligé de s'éloigner du site pour n'y collaborer, à présent, que de manière très sporadique. Et, incognito, il a signé de nombreuses chroniques sous le pseudonyme de Antoine Rigaud ici-même.
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