CINEMA : MINORITY REPORT
MINORITY REPORT est un des films les plus importants de l'année. C'est après tout le nouveau film des rois du box office, Steven Spielberg, le metteur en scène, et Tom Cruise, le comédien, qui tous deux depuis un certain nombre d'années tentent de se donner une image plus artistique et moins commerciale. Spielberg tourne ainsi LA LISTE DE SCHINDLER ou IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN et Tom Cruise sacrifie son salaire pour une apparition dans MAGNOLIA et tourne même dans le film posthume de Kubrick, EYES WIDE SHUT. Des prétentions artistiques qui reflètent un gros désir d'Oscars et donc de reconnaissance par leurs pairs. Mais la difficulté majeure pour le comédien et le cinéaste réside dans leur souci de mettre en oeuvre ces ambitions artistiques sans pour autant s'aliéner le grand public amateur de pop-corn. Un Blockbuster, cela coûte cher et cela doit se rentabiliser.
Alors où classer MINORITY REPORT dans leur impressionnante carrière, du côté du pur entertainment ? Du film sophistiqué pour public exigeant ? Ou bien est-ce une couarde mixture des deux ? Malheureusement, c'est dans cette dernière catégorie qu'il faut classer le nouveau Spielberg. La déception est d'autant plus réelle que le film commençait bien, très bien, voire même magnifiquement. Spielberg est dans un premier temps au sommet de son art et arbore une fois de plus cette casquette de réalisateur caméléon, toujours enclin à évoluer. Il n'a jamais été question pour lui de traîner sa mise en scène des années 70 contrairement à son compère George Lucas dont la réalisation pataude et anachronique est la plus symptomatique de ce qu'il ne faut pas faire dans le domaine. Spielberg intègre à la perfection les nouvelles technologies dans sa réalisation toujours plus fluide et cadencée. Le goût pour le visuel glacé dont il avait fait preuve dans A.I. s'affirme ici encore un peu plus. Les deux films sont esthétiquement semblables avec leur description d'un monde futuriste bleuté où l'artifice tend à l'emporter sur l'humanité.
Dès le début, Spielberg nous plonge dans cet univers parfaitement maîtrisé et délicieux pour les sens. Cet univers est curieux et déconcertant, le scénario semblant vouloir emprunter les arcanes les plus complexes et les plus sombres de la science fiction. Un nouveau film mature pour Spielberg après le sous-estimé A.I. ? On y croit dur comme fer tandis que les morceaux de bravoure s'accumulent. De nombreuses séquences fascinent : la vénéneuse séquence de la serre (hommage au sublime SOUDAIN L'ETE DERNIER ?), la séquence du taudis crasseux (proche de l'univers dégénérescent de Cronenberg)… On vibre et on admire l'incroyable versatilité du bon vieux Spielberg qui se permet encore de surprendre le spectateur après trente ans de service.
Tom Cruise livre d'abord un jeu plutôt convaincant, son personnage de cyber-flic traqué à la suite d'une machination est passionnant dans sa perplexité et sa solitude. Bref, Tom Cruise paraît moins fadasse qu'à l'accoutumée et le film a tout d'un implacable chef d'œuvre.
C'était sans compter que Spielberg est un enfant d'Hollywood, toujours prêt à sacrifier ses ambitions pour recourir à de grosses ficelles et à des formules pathétiques, et ce pour ne jamais perdre son spectateur. S'il présente donc dans un premier temps un scénario complexe au spectateur, c'est seulement pour le simplifier à l'extrême dans la dernière partie du film en l'assénant d'explications peu convaincantes. On ne sait jamais, si l'Américain moyen venait à ne pas avoir compris, le bouche à oreille pourrait être négatif !
Spielberg perd alors complètement foi en son film. Il précipite les évènements finaux à coup de rebondissement qui sentent le déjà-vu. Les méchants ne sont plus si méchants que cela et bien sûr on aurait dû se méfier des gentils. Classique. Et puis le film a une morale, une morale qui sent bon l'hymne à la famille américaine, et là on ne nous épargne rien. Mort de l'enfant prodige, main sur le ventre rebondi et salvateur de la femme enceinte. Le modèle familial ne semble pas avoir évolué avec le temps. On se croirait en 2002. Pour un film de science fiction, c'est un peu réducteur. Ce sentimentalisme à la Spielberg écœure et pue le pamphlet conservateur.
Finalement Spielberg se discrédite en livrant une œuvre sans aspérité où le personnage principal, à la base tragique et introspectif, a trop vite fait de se transformer en surhomme capable de bondir d'engin aérien en engin aérien à 100 mètres d'altitude et à 150 km/h. Bref, Tom Cruise se la joue de nouveau héros fadasse tout en se croyant dans MISSION IMPOSSIBLE 3. Et le spectateur, lui, rêve de ce que le film aurait pu donner, réalisé par Verhoeven ou Cronenberg.
Frédéric Mignard aka Zecreep
Sortie française prévue le 2 octobre.