Un agent secret et un soi-disant aventurier s'enfoncent dans la campagne chinoise afin de retrouver la trace d'un malfaiteur. Attaqués en chemin par des hommes masqués armés de machettes, ils se réfugient dans un petit village qui n'est rien d'autre que le siège d'une société cannibale.
L'échec commercial du premier film de Tsui Hark, BUTTERFLY MURDERS, est rattrapé par un accueil critique très favorable. Hark conserve donc son statut de jeune talent prometteur (réputation acquise grâce à ses années télé) et enchaîne son deuxième long-métrage, HISTOIRES DE CANNIBALES. Toujours sous l'égide de Ng See Yuen, Hark s'inspire cette fois du "Journal d'un Fou", courte nouvelle du lettré Luxun datant de 1918. Hark ne reprend pas en revanche les intentions philosophiques de l'histoire originale (variation de la maxime de Hobbs «l'homme est un loup pour l'homme»), mais continue son travail de modernisation du film d'arts martiaux et de confrontation des influences.
Cette fois, Tsui Hark injecte dans la «Kung-fu comédie» typique une bonne rasade de gore et d'horreur tout droit tirés des succès italiens de l'époque (la bande son reprend même des extraits musicaux de SUSPIRIA de Dario Argento). Un nouveau mélange hautement déconcertant qui voit s'alterner combats hyper dynamiques, gags slapsticks et boucherie sanguinolente à l'intérieur d'une même scène. On s'éventre, on se fait couper en morceaux, mais toujours dans la bonne humeur d'une empoignade surréaliste.
HISTOIRES DE CANNIBALES débute tout d'abord comme une enquête policière, puis dégénère rapidement. Le film suit le parcours de survie de nos deux anti-héros, un détective roublard et un compagnon de route prêt à tout pour sauver sa vie, au travers des pièges qui leur sont tendus pour les cuisiner ou bien à l'intérieur de la micro société elle-même, où les apparences essaient d'être sauvées. Pas de franches critiques sociales cependant, le délire ambiant tire constamment le film vers le n'importe quoi (mention spéciale aux séquences de vaudeville mettant en scène un travesti géant).
Heureusement, le film est quand bien même un excellent moment qui laisse perpétuellement le spectateur dans un état de stupeur amusée. Aussi fou soit-il, HISTOIRES DE CANNIBALES reste un métrage de haute tenue, où la progression de Tsui Hark en tant que metteur en scène reste flagrante. La dynamique des combats s'en trouve décuplée, surtout que ces derniers évoluent maintenant dans des environnements bien plus grands et sur des longueurs plus importantes. Les personnages, réduit à des figures dans BUTTERFLY MURDERS, s'étoffent ici bien plus.
On reconnaîtra d'ailleurs Tsui Siu-Keung (futur «Sifu» dans ZU, LES GUERRIERS DE LA MONTAGNE MAGIQUE) et Eddy Ko dans le rôle du chef des cannibales (déjà vu dans le précédent film de Tsui Hark, on le remarquera dans HEROES SHED NO TEARS de John Woo ou encore THE MISSION de Johnny To).
HISTOIRES DE CANNIBALES est un peu à part dans la filmographie de Tsui Hark, même si on pourrait le rapprocher de par sa narration en flux tendu d'œuvres plus ambitieuses comme PEKING OPERA BLUES. Détail amusant concernant la cohérence de son œuvre, Tsui Hark se permet une auto-citation en invoquant Wong Fei Hong et sa célèbre musique sur une scène d'empoignade générale. Or, ce dernier ne réalisera IL ETAIT UNE FOIS EN CHINE que onze ans plus tard. HISTOIRES DE CANNIBALES ne récoltera malheureusement pas le succès de ses films de gloire. Bien au contraire, Hark essuie avec ce nouveau long-métrage un rejet total du public et de la critique, outrée par sa dérision de l'ultra violence et choquée par le dernier plan qui est interprété comme une insulte directement adressée au public. Incompris, Tsui Hark témoignait au contraire d'un geste d'amour aux spectateurs en leur offrant littéralement son cœur !
HISTOIRES DE CANNIBALES est le deuxième disque issu du coffret de la Trilogie du chaos, regroupant les trois premiers long-métrages de Tsui Hark. Si l'éditeur réitère ses excuses quant à la qualité de la copie du film, il faut avouer que nous sommes très loin de la détérioration de BUTTERFLY MURDERS. Les défauts liés au négatif du film sont minimes et ne poseront aucun problème lors du visionnage. Comme à son habitude, l'éditeur propose une image à la définition et à la compression excellentes, ainsi que la piste originale en mono (il n'existe pas de piste française). La section bonus est la plus réduite du coffret : présentation (toujours aussi pertinente) du film, filmographie de Ng See Yuen et de Tsui Hark, bandes annonces (dont l'originale de HISTOIRES DE CANNIBALES), galerie photographique et lien Internet.
Si HISTOIRES DE CANNIBALES n'a pas la même importance que les deux autres films avec lesquels il est associé, il n'en demeure pas moins un spectacle aussi incroyable qu'incontournable pourvu que l'on s'intéresse au cinéma de l'ex-colonie. Une œuvre prouvant déjà un solide aplomb chez le jeune cinéaste, et ce malgré une folie et un n'importe quoi généralisés.
