De février 1970 à décembre 1971, le jeune réalisateur Dario Argento sort en Italie ses trois premiers films : L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL, LE CHAT A NEUF QUEUES, puis QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS. Ces thrillers horrifiques rencontrent un succès commercial certain, et vont lancer la mode du "Giallo" dans le cinéma transalpin. C'est sur le dernier de ces titres qu'il travaille pour la première fois avec Luigi Cozzi, qui en co-écrit le scénario. Les deux hommes rédigent ensuite une nouvelle adaptation du mythe de Frankenstein, avec l'intention de la situer dans le cadre de l'Allemagne, pendant la montée du nazisme. Mais ils ne parviennent pas à faire financer ce projet, pour lequel même les britanniques de la Hammer ne se montrent pas intéressés. Finalement, le travail suivant de Dario Argento est une série télévisée de quatre films, appelée LA PORTA SUL BUIO, tournée pour la RAI, alors la seule chaîne du pays.
Produite par la compagnie SEDA (Salvatore E Dario Argento) Spetacolli, que Dario dirige avec son père, elle doit proposer quatre récits policiers d'environ 50 minutes, chacun étant tourné en deux semaines. La télévision est alors uniquement en noir et blanc, mais la RAI exige que cette série soit filmée en couleurs, dans l'éventualité d'une rediffusion postérieure. Argento et ses collaborateurs s'exécutent, mais ils choisissent les teintes uniquement en fonction de leur rendu sur un tirage Noir et blanc. Aujourd'hui encore, Cozzi considère que ces quatre films sont conçus pour être visionnés dans ces conditions. Enfin, chaque épisode est précédé d'une petite introduction par Dario Argento lui-même.
Pour la musique, il cesse de travailler avec Ennio Morriconne (qui avait écrit les partitions de ses trois giallos) et choisit Giorgio Gaslini, déjà compositeur pour, par exemple, LA NUIT d'Antonioni ou LA NUIT DES DIABLES de Giorgio Ferroni. Il retravaille avec Argento sur CINQ JOURS DE RÉVOLUTION (titre vidéo), puis sur LES FRISSONS DE L'ANGOISSE, film sur lequel il est remplacé en cours de route par le groupe Goblin.
Le premier des quatre épisodes à avoir été montré sur la RAI est IL VICINO DI CASA, réalisé par Luigi Cozzi, dont c'est la première oeuvre "professionnelle" à ce poste, et qui en a, par ailleurs, rédigé le scénario. Mais, en pratique, il s'agit du second épisode à avoir été filmé (le premier étant IL TRAM). Pour jouer la jeune Safiana, Cozzi choisit Laura Belli, vue dans des seconds rôles et à la télévision auparavant, et qu'on retrouve ensuite dans quelques polars au cours des années 1970 (LA RANÇON DE LA PEUR ou CORLEONE A BROOKLYN (titres vidéos) de Lenzi, entre autres). Le tueur, quant à lui, est incarné par Mimmo Palmara, qui joua quantités de seconds rôles dans les genres à la mode au cours des années 1960.
Un jeune couple s'installe, de nuit, dans son nouvel appartement, situé dans un petit immeuble isolé au bord de la mer. Après avoir couché leur bébé, ils s'installent devant la télévision pour passer une soirée tranquille. Toutefois, l'apparition mystérieuse d'une trace d'humidité au plafond vient troubler leur quiétude Ils se rendent à l'étage pour comprendre ce qui se passe, et s'introduisent dans l'appartement au-dessus du leur, dont la porte est ouverte : ils y découvrent le cadavre d'une femme, morte dans sa baignoire !
Cozzi avoue s'être ici largement inspiré de FENÊTRE SUR COUR. On trouve donc une situation fort semblable : un couple trop curieux est témoin dans une affaire de meurtre sans que l'assassin ne soit, dans un premier temps, au courant. Les jeunes gens vont tenter, en vain, de s'enfuir, mais le tueur va finir par saisir leur manège et par comprendre qu'il a tout intérêt à les éliminer. L'action est efficace, car très localisée (tout se déroule en une nuit et dans un seul bâtiment). Mais les rebondissements sont un peu prévisibles et, techniquement, IL VICINO DI CASA semble le moins soigné des quatre films. Ce petit suspens sans prétention se regarde néanmoins agréablement, même s'il n'est pas passionnant.
Le second épisode diffusé, IL TRAM, est en fait le premier à avoir été tourné, par Dario Argento en personne (mais sous le pseudonyme de Sirio Bernodatte, car il ne souhaitait pas avoir la réputation d'un réalisateur de téléfilm). Le récit est en fait l'adaptation d'une séquence écrite initialement pour L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL, mais qu'il renonça à filmer à l'époque. Un meurtre devait être commis par le tueur à bord d'un tramway ; puis l'inspecteur Morosini organisait une reconstitution du crime. Argento reprend le principe de cette séquence, et y ajoute un prologue et un épilogue. Pour incarner le policier, il choisit Enzo Cerusico, qu'il a déjà sélectionné afin qu'il joue dans son film suivant : CINQ JOURS DE RÉVOLUTION.
Au petit matin, les agents d'entretien chargés de nettoyer les tramways découvrent le cadavre d'une jeune femme à bord d'un wagon. Le commissaire Giordani est chargé de cette difficile enquête. Il établit que le meurtre a été perpétré la nuit, au cours du dernier trajet que la rame a effectué avant son retour au dépôt. Mais il ne parvient pas à comprendre comment cet assassinat a pu être commis sous le nez des autres passagers, sans qu'ils ne se rendent compte de rien. Il convoque les voyageurs qui étaient à bord de ce tramway mortel, afin de reconstituer le fil des évènements.
Par bien des aspects, IL TRAM est un petit giallo très convaincant. Bien interprété, réalisé avec un soin technique évident, il bénéficie de rebondissements amusants et offre, en plus, une séquence finale dans la lignée du meilleur Argento (on pense à la poursuite parmi les bus dans L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL). Ce divertissement policier est encore rehaussé par la présence de personnages humoristiques pittoresques (la vieille dame, le fou qui s'accuse du crime...), renvoyant aux silhouettes truculentes des giallos d'Argento (le souteneur bègue de L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL, le perceur de coffre-forts du CHAT A NEUF QUEUES, le détective de QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS...). Certes, l'enquête est parfois un peu bavarde, mais ce thriller en mode mineur est décidément bien sympathique.
Troisième épisode tourné et diffusé, TESTIMONE OCCULARE connaît une gestation assez troublée. Argento en confie la réalisation à son assistant Roberto Pariante, mais, mécontent des premières bobines filmées, il décide de reprendre les choses en main. Il réécrit le scénario et recommence la réalisation avec l'aide de Luigi Cozzi. Pariente restera néanmoins crédité au générique en tant que réalisateur, alors même qu'aucun élément par lui tourné n'a été conservé.
Au cours d'un trajet nocturne en voiture, Roberta découvre le cadavre d'une femme, étendue en travers de la route. Un homme surgit alors subitement et menace Roberta avec un revolver. Celle-ci réussit à s'enfuir et à contacter la police... Mais, lorsque les forces de l'ordre se rendent sur place, le corps et le tueur ont disparu sans laisser de traces ! Roberta se rend rapidement compte que personne ne croit à son histoire...
Ce suspens assez classique est en fait peu convaincant. Bavard, il donne bien souvent l'impression de jouer la montre et d'étirer son propos pour remplir sa cinquantaine de minutes. Ainsi, Roberta passe le plus clair de son temps à se heurter à des murs d'incrédulité dans de rébarbatives séquences de dialogues, notamment au commissariat. L'intrigue ne progresse que bien lentement. Heureusement, le savoir-faire d'Argento est bien là, et il nous offre, en guise de final, un morceau de suspens plutôt efficace, réminiscent de la tentative de meurtre dont est victime Suzy Kendall dans L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL.
Enfin, LA BAMBOLA constitue le dernier segment de cette série. Argento en confie l'écriture et la réalisation à Mario Foglietti, un fonctionnaire de la télévision italienne qui a participé au scénario de QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS. Cozzi est convoqué en fin de tournage afin de diriger une seconde équipe, ce qui permet de boucler ce travail dans les délais impartis. Parmi les comédiens, on reconnaît quelques visages sympathiques, comme Erika Blanc (OPERAZIONE PAURA de Mario Bava...) ou Umberto Raho (vu dans L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL et LE CHAT A NEUF QUEUES).
Un mystérieux fou réussit à s'évader de l'asile. Quelques jours plus tard, un homme s'installe dans un hôtel et se met à suivre une jeune femme, qui est retrouvée assassinée peu de temps après. Puis, ce même personnage aborde une inconnue dans un magasin, et la harcèle avec insistance...
LA BAMBOLA vient conclure LA PORTA SUL BUIO avec un ultime petit giallo au scénario assez inattendu, jouant sur un rebondissement final étonnant (mais pas totalement cohérent). Le suspens fonctionne bien, même si l'on peut regretter, à nouveau, quelques remplissages bavards et un film manquant un peu de punch. Le résultat reste néanmoins amusant.
La RAI n'ayant alors pas de concurrence, ces quatre téléfilms policiers connaissent, bien entendu, un très gros succès public, et font beaucoup pour la célébrité de Dario Argento. L'année de leur diffusion, il se remet au travail pour le cinéma avec la comédie historique CINQ JOURS DE RÉVOLUTION, qu'il aurait du, en principe, seulement produire, mais qu'il réalise suite à la désaffection du réalisateur prévu. Ce changement de style, un peu involontaire, est assez mal accueilli, et Argento revient ensuite au thriller avec son plus célèbre giallo : LES FRISSONS DE L'ANGOISSE.
Quoi qu'il en soit LA PORTA SUL BUIO est devenu l'œuvre de fiction la plus rare à laquelle Dario Argento a collaboré. Sa publication en DVD chez l'éditeur Dragon (PAL, multizone), dans une édition à visée clairement internationale (son titre est anglophone : DOOR INTO DARKNESS) est une excellente surprise pour les amateurs de cinéma d'épouvante. Le boîtier en carton contient un digipack, dans lequel on trouve la série répartie en deux DVD double-couche.
Les films ayant été tournés en 16 mm au début des années 1970, pour la télévision, il ne faut pas s'attendre à une superbe image. Présentée dans un format 4/3 d'origine, on remarque que les cadrages ont tendance à être un peu trop serrés, ce qui entraîne la perte d'informations sur les bords. La définition est assez floue et l'on remarque quelques problèmes d'état (rayures, saletés...), relativement discrets néanmoins. Les couleurs peuvent sembler assez ternes, mais on rappelle que le film a été tourné pour être vu en noir et blanc. La compression n'est vraiment présente que dans les scènes sombres, même si, le reste du temps, le grain de la pellicule ne semble pas restitué très fidèlement. N'exagérons pas, le résultat reste globalement tout à fait regardable.
La bande-son est dans un mono italien d'époque (2.0 Dolby Digital) acceptable. Certes, la post-synchronisation est souvent médiocre, mais les dialogues sont bien clairs, tandis que la musique est correctement mise en valeur. On peut remarquer du souffle en bruit de fond et quelques craquements, mais, encore une fois, au vu de l'intérêt historique et de la rareté de l'œuvre, il n'y a pas de quoi se plaindre. Des sous-titrages optionnels (anglais ou allemands) sont disponibles pour les quatre téléfilms.
En guise de bonus, on trouve uniquement des entretiens avec Luigi Cozzi qui, s'exprimant dans sa langue natale, revient en détail sur la création de cette série. On a ainsi une interview générale, puis une présentation différente pour chacun des épisodes, soit, en tout, presque 50 minutes d'informations rares et passionnantes. On regrette juste un bruit de fond un peu trop présent, qui dénote une prise de son assez moyenne. Un livret en allemand est fourni, qui inclut en fait la traduction des propos tenus par Cozzi dans ces entretiens.
Bref, pour les passionnés de giallo en général et pour les passionnés de Dario Argento en particulier, ce coffret est une véritable aubaine, à ne pas laisser passer... à condition de maîtriser l'italien, l'anglais ou l'allemand, bien entendu !