Le réalisateur indien Ram Gopal Varma commence par tourner des films dans le sud de l'Inde, en langue Télougou. Il débute ainsi avec un long métrage d'action violent, prenant place dans un lycée (SHIVA en 1989). Puis, il se décide rapidement à tourner une oeuvre d'épouvante : RAAT. A nouveau captée en Télougou, elle raconte l'histoire d'une famille s'installant dans une demeure hantée par un esprit qui prendra possession d'une jeune femme... Allant à contre-courant d'une tradition vieille comme le cinéma sonore de son pays, le réalisateur choisit de ne pas y faire figurer de numéros musicaux. Arrivant sur le marché alors que la vague du cinéma d'horreur indien des années 1970-1980 prend fin, RAAT ne trouve pas son public.
Ram Gopal Varma continue sa carrière dans le sud de l'Inde jusqu'à ce qu'il se rende à Bombay, la capitale du cinéma de langue hindi, pour y réaliser la comédie RANGEELA (une jeune actrice au chômage devient une star, ce qui trouble sa relation avec son petit ami) qui est un énorme succès. Sa filmographie hindi étant jalonnée de succès, il peut tenter un retour à l'épouvante avec DEYYAM en 1996, encore une histoire de fantômes, incluant cette fois des chansons. C'est un échec. Vient ensuite un thriller à tendance horrifique, KAUN, dénué de passages chantés.
En 2003, Ram Gopal Varma revient au genre horrifique et aux revenants avec BHOOT. Certes, ce style de cinéma ne lui avait pas porté bonheur jusqu'ici et, sur le marché indien, ce genre venait de traverser un décennie moribonde. Mais le triomphe du japonais RING et des ses multiples dérivés et suiveurs provoque un changement à l'échelle de l'Asie. Le thaïlandais THE EYE, le sud-coréen MEMENTO MORI, le "taiwano-honk kongais" DOUBLE VISION ou le panasiatique 3, HISTOIRES DE L'AU-DELÀ sont ainsi visibles jusqu'en France. Qui plus est, un réalisateur d'origine indienne, M. Night Shyamalan a triomphé aux USA en réalisant SIXIÈME SENS, mettant justement en scène des revenants.
Ram Gopal Varma produit et réalise donc BHOOT, un film d'épouvante sans passages musicaux, doté d'un budget confortable et un casting de vedettes. Outre Urmila Matondkar (KAUN...), avec laquelle il travaille régulièrement depuis RANGEELA, il retrouve Ajay Devgan, un acteur populaire qu'il venait de diriger dans le thriller COMPANY. Il réunit aussi des stars de la génération antérieure, comme, bien sûr, Rekha, considérée comme la Star féminine la plus importante du cinéma indien des années 1970, qui joue ici la sorcière chargée de désenvoûter Swati. Nana Patekar, l'inspecteur Lyacat, est aussi un comédien célèbre, spécialisé dans les rôles de policier et de vengeurs violents. Enfin, Victor Banerjee a collaboré à deux films du célèbre réalisateur bengali Satyajit Ray (LES JOUEURS D'ÉCHEC, LA MAISON ET LE MONDE) et a connu une carrière internationale (notamment en haut de l'affiche de LA ROUTE DES INDES, la dernière fresque du britannique David Lean).
Vishal et sa femme Swati, jeune couple sans enfant, s'installent dans leur nouvel appartement, un confortable duplex situé au sommet d'une tour d'habitation. Vishal, soucieux de ménager la sensibilité de son épouse, a bien pris soin de ne pas lui révéler que la locataire précédente est morte en tombant du balcon. Tandis que le jeune homme va travailler, Satwi reste à la maison, et devient de plus en plus sensible aux apparitions étranges de deux personnages inquiétants : une femme et un petit garçon, qu'elle seule semble capable de voir. La présence, dans l'immeuble, d'une domestique simple d'esprit et d'un gardien au comportement louche n'allègent pas une atmosphère déjà pesante. Le gardien est retrouvé mort, dans des circonstances mystérieuses, et l'inspecteur Lyacat prend l'affaire en main. Pendant ce temps-là, Vishal tente de faire soigner Swati par un psychologue...
Comme l'indique la lecture de ce résumé, BHOOT marche sur une route bien balisée si on le rapporte au cinéma d'épouvante international : appartement hanté (DARK WATER) ; manifestation surnaturelle dans un habitat moderne (le pavillon de POLTERGEIST, le building de POLTERGEIST III), ; personnage capable de voir les morts (SIXIÈME SENS, HYPNOSE), ; défunt désirant être vengé (SIXIÈME SENS, RING...)... De même, le dénouement, impliquant une affaire de possession, renvoie à des thèmes largement exploités par APPARENCES ou GOTHIKA. Pourtant, pour être totalement juste, il faut rappeler que RAAT, réalisé dix ans auparavant par Ram Gopal Varma, proposait une histoire de fantômes extrêmement semblable ! De toutes manières, de tels récits sont assez universels et ne sont en rien des nouveautés : citons l'américain LA FALAISE MYSTÉRIEUSE de 1944, entre autres.
Par son style cinématographique, BHOOT dénote aussi une ouverture sur des influences internationales. Refusant de faire des concessions aux formules classiques du cinéma indien, il choisit des parti-pris intransigeants : pas de chansons ; une durée (relativement) resserrée de deux heures ; un environnement urbain et contemporain quasiment dénué de tout folklore ; refus de mêler les genres (pas de musique comme on l'a vu, mais pas non plus de passages de comédies ou de romance, contrairement aux films d'épouvante des années 1980).
D'autre part, les séquences de terreur fonctionnent sur deux niveaux. D'abord, Ram Gopal Varma installe une atmosphère angoissante, en élaborant une bande-son menaçante, ou en employant des angles de prises de vue tarabiscotés, suggérant la présence d'un inquiétant espion invisible caché dans des recoins (l'espace creux où est trouvée la poupée...). Puis, il amène un effet-choc grâce à une surprise soigneusement ménagée : montage abrupt ; plan prenant une tournure inattendue (un personnage se tient là où personne ne s'attend à le trouver...)... Ces moments de frayeur théoriquement intenses sont soulignés et renforcés par un crescendo sonore.
Tout cela renvoie à des techniques assez anciennes (on pense, bien sûr à la science dont faisait preuve Jacques Tourneur, dès les années 1940, pour faire "monter la sauce"). BHOOT se distingue néanmoins par son insistance : alors qu'un film américain ménagera, en général, d'assez longues plages de calme, voire de détente, Ram Gopal Varma va, rapidement, ne laisser aucun répit au spectateur, et aligner, sur un rythme impitoyable, les passages terrifiants.
Pendant toute sa première heure, BHOOT se rapproche nettement des films de terreur asiatiques récents, dans le style de ceux réalisés par Hideo Nakata. Le récit progresse peu, mais les évènements surnaturels font peser une lourde pression psychologique sur Swati, laquelle sombre lentement dans la folie. La seconde moitié s'oriente vers une histoire de possession plus classique (ce thème est très apprécié par le cinéma d'épouvante indien : citons JADU TONA de 1977, par exemple, dans lequel une fillette, possédée par un esprit maléfique, se comporte de façon démoniaque). Exhalant alors de forts relents de L'EXORCISTE, BHOOT paraît recourir à des effets faciles et, surtout, propose des séquences plus banales, voire démodées.
Toutefois, la plus grande faiblesse de BHOOT est sans doute la maigreur de son scénario. Étiré sur deux heures, les révélations sont rares, bien prévisibles et pas toujours bien amenées (l'explication finale tombe comme un cheveu dans la soupe). Les passages de terreur, répétitifs, peuvent lasser, d'autant plus que le propos du film manque singulièrement d'originalité.
Film cent pour cent horreur, BHOOT frappe toutefois par sa volonté de faire peur, sans aucune concession. Avec un grand soin du détail et une réalisation efficace, Ram Gopal Varma propose, somme toute, un spectacle horrifique efficace et agressif.
A sa sortie en Inde, BHOOT connaît un vrai succès commercial, tandis qu'à travers le monde, il acquiert une certaine réputation parmi les amateurs de cinéma fantastique. Sa disponibilité en occident reste pourtant assez aléatoire. Deux DVD, publiés par Spark, ont été distribués, avec un contenu semblable : un en Grande-Bretagne (zone 2, PAL) ; et une édition internationale sortie en Inde (multizone ; NTSC). C'est le DVD indien qui est testé ici.
L'image est proposée dans son format scope d'origine (avec option 16/9), bien que le cadrage paraisse, par moments, légèrement tronqué sur les côtés. La copie trahit pas mal de petites saletés et autres points blancs. Le télécinéma laisse aussi un peu à désirer (gestion des contrastes assez inégale, notamment pour la scène sur la plage), tandis que la compression est perfectible, surtout pour un film récent d'un peu moins de deux heures réparti sur deux couches. Le résultat reste regardable, mais il ne faut pas s'attendre à des miracles.
La bande-son est proposée en langue Hindi, dans un mixage Dolby Digital 5.1. La piste est propre et rend avec une certaine efficacité un mixage assez riche, même si cela manque un peu de dynamique et de précision. Un sous-titrage anglais optionnel est disponible.
En guise de bonus, on ne trouve que la bande-annonce de BHOOT, ainsi que divers spots musicaux promotionnels pour d'autres films indiens. On remarque d'ailleurs que leur consultation est, hélas, "imposée" au lancement du DVD, avant d'accéder au menu. Parmi les titres promus, on trouve une autre oeuvre fantastique : le thriller surnaturel SAAYA (après la mort accidentelle de sa femme, un homme est convaincu que l'esprit de la défunte tente de le contacter...). La jaquette annonce la présence d'une section "song selection", ce qui est une erreur, BHOOT ne contenant, comme on l'a déjà dit, aucun numéro chanté.
On a donc affaire à un DVD indien assez sommaire. Mais l'édition anglaise étant identique, il reste une bonne solution pour découvrir ce film.
P.S. : Pour en savoir plus sur le cinéma fantastique indien, on peut se reporter sur la section dédiée à ce pays dans le récent numéro hors-série de "Mad Movies" consacré aux cinémas D'Asie (qui inclut un portrait du réalisateur Ram Gopal Varma). Par ailleurs "L'écran fantastique" numéro 239 propose une étude du film BHOOT, rédigée par un correspondant indien.
En anglais, la section "India" du livre "Mondo Macabro" de Pete Tombs est incontournable, mais ce livre est hélas épuisé. Le même auteur a, par ailleurs, réalisé la section indienne (plus synthétique, mais aussi plus à jour) d'un autre ouvrage de référence : "Fear without frontiers", chez Fab Press. Enfin, le volumineux "Encyclopedia of Indian Cinema" de Ashish Rajadhyaksha et Paul Willemen est un outil incontournable pour l'étude du cinéma indien en général.