Pour les amateurs de cinéma fantastique, William Peter Blatty reste associé à L'EXORCISTE de William Friedkin, adaptation de son roman éponyme, qu'il produit et dont il rédige le scénario. Pourtant, avant de se retrouver propulsé comme un maître de la littérature horrifique, il avait déjà, derrière lui, une belle carrière d'auteur et scénariste comique, notamment aux côtés de Blake Edwards (QUAND L'INSPECTEUR S'EMMÊLE, QU'AS TU FAIT A LA GUERRE, PAPA ?, PETER GUNN, DÉTECTIVE SPÉCIAL et DARLING LILI). C'est dans le courant de sa carrière humoristique qu'on le fait travailler sur une comédie militaire, projet dont il est finalement évincé parce qu'il s'oriente dans des directions différentes de celles souhaitées par ses commanditaires. Néanmoins, ce projet lui permet d'esquisser les idées qu'il va utiliser dans son roman "Twinkle, Twinkle, Killer Kane", sorti en 1966.
En 1973, le triomphe commercial de L'EXORCISTE ouvre de nombreuses portes à Blatty. Il lance alors la réalisation de son premier film : THE NINTH CONFIGURATION, inspiré, justement, de son "Twinkle, Twinkle, Killer Kane". Pour des raisons de financement, cette oeuvre, censée se dérouler dans le nord-ouest des USA, est tournée en grande partie à Budapest, en Hongrie, notamment en ce qui concerne les intérieurs. Certains plans sont captés dans d'autres régions d'Europe centrale, dont les extérieurs du château, qui est en fait une forteresse allemande, fondée au XIème siècle et largement remaniée ensuite. L'équipe va connaître plusieurs changements. Alors qu'il envisage, dans un premier temps, de recruter le chef-opérateur Vilmos Zsigmond, Blatty se rabat sur le britannique Gerry Fisher, fidèle collaborateur de Joseph Losey. Pour les comédiens, il compte confier le rôle du psychiatre à Nicol Williamson (SHERLOCK HOLMES ATTAQUE L'ORIENT EXPRESS), mais renonce très peu de temps avant le filmage, car il ne le trouve pas assez crédible dans le rôle d'un militaire. Il se rabat précipitamment sur Stacy Keach (LA MONTAGNE DU DIEU CANNIBALE...), heureusement un de ses premiers choix. Blatty bénéficie encore d'une exceptionnelle galerie de seconds rôles, parmi lesquels Jason Miller (le Père Karras de L'EXORCISTE), Moses Gunn (SHAFT...), Tom Atkins (FOG de Carpenter...) et Joe Spinell (MANIAC...). Suite à des remaniements de dernière minute dans la distribution, il choisit d'interpréter lui-même un des militaires internés : Fromme, celui qui se prend pour un médecin.
Pendant la guerre du Vietnam, les cas de folie chez les soldats se multiplient de façon inquiétante. Le gouvernement met sur pied un programme top secret, consistant à étudier les malades dans des sites protégés. Une de ses bases est un château médiéval européen, démonté et reconstruit pierre par pierre aux États Unis. Parmi les internés, outre des soldats ayant perdu la raison pendant les combats, on trouve Billy Cutshaw, un astronaute qui a renoncé, au dernier moment et sans donner d'explication, à partir sur la Lune. Kane, un nouveau psychiatre vient s'occuper de ces malades. Il a lui-même une conscience chargée : il est le frère de "Killer Kane", un des officiers les plus impitoyables de l'armée américaine...
Par son point de départ, THE NINTH CONFIGURATION évoque un psychodrame se déroulant dans un cadre militaire. Pourtant, il brouille les pistes dès son pré-générique, et mélange les genres de manière à devenir pratiquement inclassable. La science-fiction est évoquée, avec l'énigme qu'incarne le spationaute qui refuse de voyager parmi les étoiles. Quant à l'univers anarchique élaboré par les fous à l'intérieur du château, il renvoie autant aux comédies militaires irrespectueuses, comme M*A*S*H, qu'à une chronique psychiatrique du style VOL AU-DESSUS D'UN NID DE COUCOUS.
THE NINTH CONFIGURATION se pare encore d'une atmosphère fantastique. Se déroulant dans le cadre d'une bâtisse de contes de fée, son décor renvoie à un environnement typiquement européen et insolite, c'est-à-dire totalement décalé quant aux sujets contemporains et américains évoqués : la conquête spatiale et la guerre du Vietnam. A la nuit tombée, ce cadre théâtral paraît un sinistre repaire de vampires, et reflète, selon Blatty, les états d'inquiétude et d'instabilité vécus par les malades. L'arrivée de Kane se fait aussi dans une ambiance d'épaisse étrangeté. Hanté par des voix mystérieuses et des visions hallucinées, venant, selon lui, de l'esprit d'un de ses patients, ce psychiatre semble porteur d'un fardeau encore plus traumatisant que celui qui perturbe ses internés.
C'est progressivement, donc que se met en place un mystère dont il est difficile d'établir, dans un premier temps, s'il implique, ou non, un élément surnaturel. Cette intrigue va surtout permettre à William Peter Blatty de poursuivre la réflexion théologique amorcée dans L'EXORCISTE. Dans un monde reflétant à ce point l'emprise du mal, comment un être humain peut-il croire en l'existence de Dieu ? Et s'il ne peut plus croire en Dieu, comment peut-il surmonter la peur de l'inconnu et de la mort ? Quelle autre solution peut-il alors trouver, à part fuir et se réfugier dans une zone hors du temps et de l'espace, comme ce château fantomatique ?
Dès lors, il importe peu que les résidents de cette demeure soient d'authentiques malades, ou bien des simulateurs cherchant à fuir leur devoir militaire. Les raisons d'avoir confiance en l'homme et en son avenir devenant impossibles à trouver, le monde devient invivable pour les êtres les plus lucides, qui baissent alors les bras face à la vie. L'affrontement entre Kane et Cutshaw, axe principal du récit, va essentiellement tourner autour de cette problématique, qui va rejoindre celle de L'EXORCISTE, en la développant avec plus de nuances et de subtilités. Si l'univers est, comme il semble l'être, livré aux forces du mal et de la violence, existe-t-il un moyen de faire triompher les forces du bien ? Le bien existe-t-il ? Ou bien n'est-ce qu'une notion inventée par l'homme, trop lâche pour admettre sa nature inhérente, définitivement mauvaise ?
THE NINTH CONFIGURATION pose donc beaucoup de questions, auxquelles William Peter Blatty va répondre de façon touchante et très personnelle. En tous cas, l'explication du mystère planant sur cet étrange château californien va, d'une certaine manière, faire pencher la balance vers le domaine du rationnel, tout en laissant, dans le dernier plan, ressurgir un fantastique émouvant.
La construction complexe de THE NINTH CONFIGURATION n'est peut-être pas complètement maîtrisée et le film souffre de digressions et de fausses pistes, qui, à la réflexion, peuvent paraître parfois surabondantes, comme certains monologues des fous, qui ralentissent l'action plutôt qu'autre chose, et lui impriment un rythme un peu languide.
Mais ce petit reproche n'enlève rien aux grandes qualités de THE NINTH CONFIGURATION. Admirablement porté par un casting magnifique, avec, en tête, un Stacy Keach constamment à la limite de la brisure, bénéficiant d'un travail sur la lumière et les décors allant intelligemment à contre-courant de ce que son sujet semblait appeler, il s'agit d'une oeuvre singulière, inclassable, et, donc, difficile à comparer. Par ses thèmes, on pourrait être tenté de le mettre à la croisée d'œuvres pré-citées (M*A*S*H, VOL AU-DESSUS D'UN NID DE COUCOUS) et de films dénonçant la folie de la guerre et les traumatismes qu'elle engendre (APOCALYPSE NOW, CAPITAINE CONAN...). Surtout, il est permis d'y voir un précurseur de L'ÉCHELLE DE JACOB, en moins horrifique toutefois.
THE NINTH CONFIGURATION va connaître une destinée assez chaotique. C'est d'abord Warner qui se charge de sa distribution. Mais la major le promeut comme un film d'épouvante dans la lignée de L'EXORCISTE, ce que Blatty considère comme une erreur. Il confie alors son oeuvre à une autre firme : UFD. Celle-ci organise une nouvelle sortie (avec un montage différent, supervisé par le réalisateur), mais elle se fait dans très peu de salles.
Finalement, THE NINTH CONFIGURATION connaît une autre exploitation en salles grâce à New World. Mais, Blatty brise l'accord le liant à cette compagnie lorsqu'il se rend compte qu'elle diffuse une version de son film raccourcie sans son autorisation. Pour les distributions en vidéo, le réalisateur conçoit successivement plusieurs montages, rajoute des scènes, modifie la fin... Il crée ainsi une certaine confusion autour d'un titre à l'histoire déjà compliquée !
Tous ces soucis ont entraîné l'échec commercial de THE NINTH CONFIGURATION, qui n'est même pas sorti en France, ni en salles, ni en vidéo. William Peter Blatty ne reviendra à la réalisation qu'à une occasion : L'EXORCISTE, LA SUITE, troisième volet de cette célèbre série. Cette oeuvre connaîtra aussi un destin de film "maudit". Elle est abîmée par le studio de production, qui exige l'ajout d'une fin tapageuse, et accueillie tièdement par le public et la critique. Pourtant, à travers ces deux titres, Blatty s'est révélé comme un réalisateur original, abordant le fantastique sur un ton exigeant, ambitieux et adulte. On est alors tenté de le rapprocher de personnalités ayant abordé ce domaine de manière semblable, comme Nicolas Roeg ou Peter Weir.
En DVD, THE NINTH CONFIGURATION est d'abord pris en charge par un éditeur britannique Blue Dolphin (PAL, multizone), qui propose un nouveau montage, supervisé par William Peter Blatty, ainsi que plusieurs bonus, parmi lesquels une nouvelle featurette de six minutes et un commentaire audio du réalisateur. Warner, aux USA, reprend le même contenu pour le DVD américain (NTSC, zone 1). Et c'est à nouveau le DVD anglais qui a servi à élaborer le disque italien (zone 2, PAL), qui va être testé ici.
Ce DVD publié par Alan Young Pictures propose THE NINTH CONFIGURATION dans son format 2.35 d'origine et en 16/9 (cette dernière option était absente des DVD anglais et américain). Comme on s'en doute pour un film à la carrière aussi problématique, le résultat n'est pas totalement satisfaisant. L'image semble bien sombre et granuleuse, et laisse paraître quelques saletés et autres petits problèmes de fixité. Cela reste regardable, mais il est sans doute possible de proposer un travail encore plus soigné.
La bande-son est offerte en anglais, en mono, comme sur les DVD anglais et américain. Cette piste est hélas assez criarde, et, qui plus est, souffre de nombreux petits craquements. Les dialogues ne sont pas toujours évidents à suivre. Le plus gênant reste, pour les acheteurs anglophones, la présence d'un sous-titrage italien imposé sur toute la durée du film.
En italien, on a accès à une piste mono d'origine et un nouveau remix 5.1. Toutefois, ce montage de THE NINTH CONFIGURATION n'ayant pas été intégralement doublé, certains passages sont diffusés en anglais sous-titré en italien.
L'interactivité reprend en grande partie les suppléments du DVD anglais. On trouve ainsi l'excellent commentaire audio de William Peter Blatty, interviewé par Mark Kermode (en anglais, sans sous-titres), ainsi qu'une petite featurette de six minutes (anglais sous-titré en italien).
Une section propose six "scènes coupées" assez intéressantes (notamment le rêve de Kane avant son arrivée au château), et encore deux séquences constituant une fin alternative, fin avec laquelle THE NINTH CONFIGURATION a souvent été exploitée avec l'accord de son réalisateur. Ces scènes proviennent de sources dans des états variables, et ne sont pas sous-titrées en italien (bien que chacune soit introduite par une ou deux pages de texte dans cette langue). Enfin, on trouve des biographies bien faites, en italien, pour William Peter Blatty et Stacy Keach.
Alan Young Pictures propose, en plus, des bonus nouveaux et exclusifs, comme une belle galerie d'une trentaine d'images, mêlant matériel promotionnel, photographies de tournage et photographies de plateau. On trouve aussi, en bonus DVD-rom, le scénario du film.
L'imposition des sous-titres durant le visionnage en anglais s'avérant assez gênante, il est vraisemblable que les collectionneurs anglophones se tourneront plus volontiers vers le DVD britannique de THE NINTH CONFIGURATION. Toutefois, ce reproche doit être modéré, étant donné que cette édition s'adresse avant tout aux acheteurs transalpins. Ces derniers, ou tout autre spectateur comprenant mieux l'italien que l'anglais, verront ce DVD comme une excellente occasion de découvrir ce film. Néanmoins, ils regretteront sans doute l'absence de sous-titres sur le commentaire audio.