Une jeune femme se rend en train dans une région viticole. Elle découvre que celle-ci a été la proie d'une catastrophe mystérieuse, qui a transformé ses habitants en d'incontrôlables mutants...
En 1975, LÈVRES DE SANG de Jean Rollin connaît un bide sévère. Son réalisateur accepte même, afin de récupérer un peu d'argent, que du matériel filmé pour cette oeuvre soit intégré au montage d'un porno, appelé SUCE-MOI VAMPIRE. Rollin s'éloigne alors du fantastique et se met à tourner, à un rythme assez soutenu, quelques films X. Il signe alors, toujours sous le nom de Jean Rollin, PHANTASMES, qui mêle sexe et horreur ; mais il se résigne ensuite à approcher le porno de manière plus impersonnelle, en réalisant toute une série d'oeuvres sous pseudonyme. Finalement, il est contacté par Claude Guedj, un producteur souhaitant monter une oeuvre qui mêlerait deux genres alors à la mode : zombies (LA NUIT DES MORTS-VIVANTS) et catastrophes (LA TOUR INFERNALE). Rollin accepte de bon cœur, quand bien même, pour la première fois dans sa filmographie fantastique, il va devoir accepter la supervision artistique d'un producteur, susceptible de réclamer des modifications du résultat final. Pour une description mieux détaillée de la genèse de ce film, appelé LES RAISINS DE LA MORT, le lecteur est invité à consulter le test qui lui avait déjà été consacré sur DeVil Dead, à l'occasion de la sortie du DVD allemand.
Elisabeth se rend en train dans une région viticole, afin d'y passer quelques jours avec son ami. Au cours du trajet, un étrange personnage, apparemment victime d'une répugnante dermatose, s'installe dans le compartiment qu'elle occupe seule. Peu de temps après, il l'agresse, la forçant à quitter le wagon en catastrophe. Elle doit alors continuer son périple à pied. Dans la campagne, elle rencontre un fermier et sa fille. Le paysan semble être victime de la même maladie de peau que le passager du train. Une terrible épidémie s'est répandue dans la région !
Lorsque LES RAISINS DE LA MORT est tourné, la référence en matière de zombies reste indubitablement LA NUIT DES MORTS-VIVANTS de George Romero, petite production dont le succès et l'influence précipitèrent le déclin de l'horreur gothique et entraînèrent l'apparition d'imitations plus ou moins inspirées (LE COMMANDO DES MORTS-VIVANTS, LA RÉVOLTE DES MORTS-VIVANTS d'Amando de Ossorio...). Parmi elles, LE MASSACRE DES MORTS-VIVANTS de l'espagnol Jorge Grau introduit l'idée d'un signal ultra-son provoquant la destruction des insectes, signal utilisé dans un contexte agricole. Or, cette invention avait pour regrettable effet secondaire de réveiller les morts, qui s'en prenaient aux vivants. LES RAISINS DE LA MORT propose un argument semblable : dans des vignes, un produit chimique, censé exterminer les insectes nuisibles, est répandu sur les cépages. Il va empoisonner le raisin, tant et si bien que les ouvriers vont être victimes d'une étrange infection, infection que contracteront ensuite ceux qui boiront le vin issu des grappes ainsi désinsectisées...
Une petite précision s'impose : les malades ne sont pas, à proprement parler, des zombies, ou des morts-vivants. Les contaminés sont bien des êtres vivants, victimes d'une grave maladie. Leur cas se rapproche plutôt des mutants violents de LA NUIT DES FOUS VIVANTS de Romero, de RAGE ou de 28 JOURS PLUS TARD. L'épidémie frappant ici les paysans hexagonaux a en effet pour principales conséquences de les rendre sujets à des accès de rage meurtrière et de provoquer l'apparition de plaies cutanées peu appétissantes.
Le récit est néanmoins fidèle à la grande tradition de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, le classique fondateur de Romero. Une jeune femme isolée est agressée par un inconnu, ce qui la force à prendre la fuite à travers une région qu'elle va découvrir très hostile. Elle doit réussir à survivre, et s'allier avec les éventuels rescapés de ce désastre écologique. Car, à la manière de films-catastrophes de l'époque (DAY OF THE ANIMALS, par exemple), LES RAISINS DE LA MORT ne va pas oublier de porter un jugement sévère sur l'inconscience des hommes, sur leur approche arrogante et destructrice de mère-nature, ainsi que sur leur imprudence. Toutefois, le développement du propos humaniste s'arrête ici à un échange de points de vue entre deux personnages, échange au cours duquel sont évoqués, à mots à peines couverts, des soucis de la France d'alors, comme la multiplication des centrales nucléaires sur le territoire, ou la fameuse lutte contre la construction du camp militaire du Larzac, en 1973.
Construit sur un schéma déjà bien rodé, LES RAISINS DE LA MORT est avant tout, pour Rollin, l'occasion de se livrer à un travail illustratif, dans lequel il ne s'investit guère en tant que scénariste. Expérimentant certains domaines qui n'avaient, jusqu'alors, été que peu approchés en France (comme les maquillages gore en couleurs), il obtient des résultats plus ou moins satisfaisants, selon les passages (les maquillages allant du simple étalage de mayonnaise à des infections putrides très convaincantes). Rollin ne laisse pas totalement de côté sa sensibilité poétique personnelle, et il soigne, comme toujours, le choix des décors naturels, affirmant ainsi son goût de la ruine et de la nature sauvage. Il les filme longuement, dans une belle lumière d'hiver, en jouant habilement de différentes qualités de silence ou d'une musique électronique minimaliste et intrigante. Certains passages sont ainsi d'indéniables réussites, comme l'introduction, la scène du train, ou l'envoûtante rencontre avec la jeune aveugle.
Hélas, passée une première demi-heure énigmatique et admirable, le principal défaut des RAISINS DE LA MORT se fait sentir : sa terrible lenteur. Si, la même année, Romero et Argento font passer les zombies à la vitesse supérieure avec ZOMBIE, Rollin a tendance à les faire rétrograder jusqu'au point mort ! L'intérêt du spectateur peut alors tendre à se disperser, d'autant plus facilement que les scènes nocturnes semblent plastiquement moins réussies que celles de jour. Une certaine lassitude finit alors par se faire sentir, et ce n'est pas l'arrivée, plus ou moins impromptue, de divers comédiens, ânonnant des répliques parfois risibles et malvenues, qui va rehausser l'ensemble.
Commençant plutôt bien, LES RAISINS DE LA MORT finit par laisser s'installer un ennui pesant, Rollin paraissant avoir du mal à remplir son film d'évènements significatifs. Ajoutez à cela quelques problèmes techniques ennuyeux, et on peut finalement trouver que cette oeuvre n'est pas, hélas, une réussite complète.
Ce sera néanmoins une affaire assez rentable, qui remettra Rollin sur les rails de la réalisation de films fantastiques. Après ce travail de commande, il va donc pouvoir se consacrer sans entrave à un projet plus personnel : FASCINATION, interprété, entre autres, par Brigitte Lahaie, qui venait de tenir son premier rôle dit "traditionnel" dans LES RAISINS DE LA MORT.
Ce film avait déjà été publié hors de France à plusieurs occasions : on signale particulièrement une édition américaine chez Synapse (zone 1, NTSC), contenant une interview de Brigitte Lahaie et de Jean Rollin ; ainsi qu'une édition allemande (zone 2, PAL), déjà testée sur DeVil Dead.
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Comme toutes ces éditions récentes, ce nouveau DVD français propose le film dans un cadrage 1.66, avec option 16/9 en prime. Le résultat est somme toute très beau, notamment dans les séquences de jour. Les scènes sombres sont peut-être un peu bruitées, et on repère par-ci par-là, des défauts d'états (poinçons de fin de bobine, notamment). Le résultat est néanmoins tout à fait acceptable, voire souvent admirable.
La bande-son, proposée en mono français d'origine, est, elle aussi, tout à fait réussie, même si on ressent parfois quelques petites duretés dans les timbres.
L'interactivité est la même que celle des autres titres de la collection Jean Rollin proposée par LCJ Editions. A savoir : une belle galerie d'affiches de films de ce réalisateur ; environ 16 minutes de bandes-annonces d'époque ; et une interview d'environ quinze minutes (la même sur tous les disques).
Cette édition est donc tout à fait convenable, même si les DVD étrangers proposent une interactivité peut-être un peu plus attrayante...