Après avoir créé, à partir de morceaux de cadavres, un être humain de sexe masculin, le baron Frankenstein réussit à donner la vie, de la même façon, à une femme, destinée à devenir la compagne de sa précédente création...
Depuis le déclin du cinéma gothique britannique, au début des années 1970, les principales transpositions cinématographiques du mythe de Frankenstein ne se font plus que sur le ton de la plaisanterie, plus ou moins respectueuse, avec des titres comme CHAIR POUR FRANKENSTEIN, FRANKENSTEIN JUNIOR ou THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW. Pourtant, le cinéma anglais fait montre, au début des années 1980, d'un certain goût pour le cinéma historique à grand spectacle (GREYSTOKE, par exemple...), accompagné même par un petit renouveau gothique, auquel le succès d'ELEPHANT MAN, tourné en Grande-Bretagne, n'est sans doute pas étranger. Le chef-opérateur de ce dernier, Freddie Francis, s'était distingué, dans les années 1960-70, comme réalisateur de films d'épouvante Hammer ou Amicus. En 1985, il signe, avec LE DOCTEUR ET LES ASSASSINS, une nouvelle version de la lugubre affaire des "Résurrectionnistes", déjà inspiratrice, entre autres, de L'IMPASSE AUX VIOLENCES, un sommet de la grande époque de l'horreur britannique. LA PROMISE, nouvelle adaptation du roman "Frankenstein" de Mary Shelley, va, lui aussi, tenter de relancer cette tradition anglaise. Il est suivi, l'année suivante, par GOTHIC de Ken Russell, qui revient, de son côté, sur la genèse mouvementée de ce livre.
A l'origine de LA PROMISE, le scénariste Lloyd Fonvielle propose ce nouveau script à divers producteurs, parmi lesquels Victor Drai, qui s'était auparavant illustré en produisant aux USA deux remakes hollywoodiens de comédies françaises : LA FILLE EN ROUGE de et avec Gene Wilder (à partir d'UN ELEPHANT, CA TROMPE ENORMEMENT) et L'HOMME A LA CHAUSSURE ROUGE interprété par Tom Hanks (basé sur LE GRAND BLOND AVEC UNE CHAUSSURE NOIRE) ! Drai se montre intéressé et Fonvielle lui suggère, comme réalisateur, le britannique Franc Roddam (QUADROPHENIA), pour lequel il avait auparavant rédigé le scénario LA LOI DES SEIGNEURS. Le financement est obtenu auprès du studio hollywoodien Columbia, quand bien même le film sera tourné en Europe, notamment dans les studios anglais de Shepperton.
La production parvient à convaincre la jeune Jennifer Beals, révélée et starifiée par FLASHDANCE, d'incarner la créature féminine. Le chanteur Sting, alors extrêmement populaire, doit d'abord tenir le petit rôle du jeune soldat qui va séduire Eva. Néanmoins, la tentation de mettre en vedette deux personnalités aussi à la mode que ce musicien et Jennifer Beals est trop grande, et l'équipe du film confie finalement à Sting le rôle-clé du baron Frankenstein, pour lequel ils avaient d'abord envisagé des comédiens plus expérimentés et âgés. Aux côtés de ces deux jeunes gens, on trouve toute une galerie de comédiens aguerris, comme Anthony Higgins (Moriarty dans LE SECRET DE LA PYRAMIDE), ou Geraldine Page (LES PROIES de Don Siegel). Le monstre, ici appelé Viktor, est interprété par Clancy Brown (le Kurgan d'HIGHLANDER), tandis que le nain Rinaldo est incarné par David Rappaport (le chef des voyageurs temporels de BANDITS BANDITS).
Enfin, une équipe technique prestigieuse est réunie, avec la costumière Shirley Russell (LES DIABLES), le compositeur Maurice Jarre (LES YEUX SANS VISAGE), le chef-opérateur Stephen H. Burum (LA FOIRE DES TENEBRES)... Pour les principaux extérieurs, de nombreux pays d'Europe sont envisagés, comme la Hongrie (où est censée se dérouler l'action), l'Allemagne ou l'Autriche. Finalement, Drai préfèrera tourner dans le sud de la France, au cours de l'été 1984, en Dordogne, notamment, ainsi que dans les villes de Sarlat ou Carcassone.
Les travaux du baron Charles Frankenstein aboutissent enfin. Il a déjà réussi à donner la vie à un homme, conçu à partir de morceaux de cadavres, et voilà qu'il va tenter d'en créer son équivalent féminin, destiné à devenir la compagne de sa première création. Le résultat dépasse toutes les espérances du savant. Alors que le prototype était assez rapiécé et hideux, la jeune femme est d'une parfaite beauté. Toutefois, elle rejette la créature pour laquelle elle a été conçue, et une bagarre s'ensuit, qui déclenche l'incendie du laboratoire, au cours duquel le monstre périt... Tout du moins, c'est ce que pense Charles Frankenstein, cette créature ayant en fait survécu et s'étant réfugiée dans la forêt. Au gré de son errance, le monstre se lie d'amitié avec Rinaldo, un nain se rendant à Budapest pour s'y faire engager dans un cirque. Le petit acrobate baptise alors la créature "Viktor". Les deux compagnons partent ensemble sur les routes. Pendant, ce temps, Charles décide de se charger de l'éducation d'Eva, c'est ainsi qu'il appelle sa création féminine, afin d'en faire une femme moderne, cultivée et libérée...
Le roman de Mary Shelley dans lequel est né le personnage de Frankenstein, est, avant toute chose, un conte philosophique (fort macabre, certes). Conscient que cette mythologie a été abordée plus qu'à son tour sur le ton du cinéma de terreur, Fonvielle et Roddam choisissent de s'éloigner délibérément de ce domaine. Pour ce faire, ils modifient largement la structure du livre. Dans ce dernier, le monstre exige que le jeune savant lui construise une compagne, sous peine d'assassiner sa fiancée. Le baron accepte donc, dans un premier temps, d'élaborer une telle "femme". Puis il se ravise et détruit sa seconde création, entraînant le meurtre de sa fiancée par la créature. Frankenstein traque alors cet assassin jusqu'au pôle nord, où ils disparaissent tous les deux. Dans le célèbre cycle Universal consacré, dans les années 1930-40, au mythe de Frankenstein, on se rappelle que l'épisode de la compagne avait été écarté du FRANKENSTEIN réalisé par James Whale et interprété par Boris Karloff, puis réutilisé comme base de sa suite : LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN.
LA PROMISE s'ouvrant au moment de la naissance de la créature féminine, il escamote une grande partie du roman original. Les parties les plus macabres de l'ouvrage (les diverses expériences de Frankenstein), dans lesquelles les précédentes transpositions cinématographiques puisaient leur essence horrifique (FRANKENSTEIN, FRANKENSTEIN S'EST ECHAPPE ! de Terence Fisher...), sont ainsi soigneusement contournées. Surtout, la créature féminine n'est pas détruite aussitôt après sa "naissance". Au contraire, Frankenstein en est si fier qu'il en fait sa pupille, et raconte à son entourage qu'elle est sa fille adoptive. Le monstre, de son côté, poursuit une existence d'autant plus paisible que son créateur le pense mort. Le film va donc suivre, parallèlement, deux récits : dans la demeure de Frankenstein, les rapports entre le baron et sa belle création évoluent vers le drame ; sur les routes, le monstre part à la découverte du monde et des hommes le peuplant...
Ce second aspect de LA PROMISE paraît un conte teinté d'optimiste, qu'il est difficile de ne pas rapprocher des aventures de Pinocchio. Matière inanimée à laquelle la vie a été donnée (grâce à la science, en l'occurence), la créature s'éloigne de son "père" (Gepetto devient ici Frankenstein) et part sur les routes de son pays. Il y devient l'ami de Rinaldo, un nain de cirque. Comble de la surprise, ce petit personnage daigne même le baptiser Viktor, alors que son inventeur, bien négligent à son endroit, ne l'avait même pas jugé digne d'être nommé ! Rinaldo enseigne à son ami balafré à avoir confiance en ses capacités et lui apprend à suivre, dans la vie, le chemin dicté par ses rêves et son cœur. Les deux compagnons, parfaitement complémentaires, sont embauchés dans un cirque pour lequel ils élaborent un numéro très apprécié du public. Mais le directeur de l'établissement, un vaurien, et son âme damnée, Bela (!), veulent éliminer Rinaldo, qui défend trop bien les intérêts de Viktor... Ces deux personnages négatifs font à nouveau penser à l'histoire de Pinocchio, tant leur allure et leurs manières évoquent les mauvais sujets du conte de Collodi. Toute cette intrigue, relativement lumineuse et optimiste dans son propos, a pour points forts les paysages ensoleillés de la campagne française où elle a été en grande partie tournée, et, surtout, la complémentarité et le talent de Clancy Brown et David Rappaport.
Pendant, ce temps-là, dans le château du baron Frankenstein... Charles, admiratif devant Eva, sa nouvelle créature, se charge d'en faire une personne intelligente et indépendante, correspondant à son idée de la femme de demain. Pour décrire cette jeune fille, les auteurs se sont inspirés de Mary Shelley elle-même, écrivain qui avait séduit le poète Percy Shelley par sa grande culture, et que les amis de son mari tenaient en haute estime. L'actrice Jennifer Beals a ainsi été choisie car elle avait à peu près l'âge auquel Mary a rédigé "Frankenstein" (19 ans). Mais, si Charles a ici une idée de la femme en avance sur son époque (bien qu'en phase avec des personnalités du romantisme, comme Georges Sand), son caractère est possessif. Son esprit mesuré et son coeur jaloux parlent deux langages différents et tiraillent son âme. Sans qu'il se l'avoue, la tendresse qu'il éprouve pour Eva n'est pas celle que ressent un tuteur pour sa pupille. Frankenstein enseigne à sa protégée l'indépendance, mais lorsqu'elle veut vivre ses expériences par elle-même, il refuse de voir sa création, sa "chose", lui échapper et lui désobéir.
LA PROMISE approche cette intrigue à la manière d'un drame romantique, dans lequel Frankenstein devient un beau dandy ombrageux et tourmenté, dont l'allure élégante ne déparerait pas dans une transposition du "Portrait de Dorian Gray". Comme on le voit, il est difficile de reprocher à cette version de "Frankenstein" de manquer d'ambition ou d'originalité !
Hélas, malgré de bonnes idées et de louables intentions, LA PROMISE n'est pas totalement satisfaisant. En séparant son film en deux récits parallèles, Roddam ne parvient à traiter correctement ni l'un, ni l'autre. Si l'histoire de Viktor est à peu près aboutie, les relations entre Frankenstein et Eva semblent terriblement sous-exploitées et mal développées. Il y avait pourtant matière à en faire un vrai beau long-métrage... Surtout, après un démarrage sur les chapeaux de roue, les développements des deux récits s'enlisent et tendent à se ralentir l'un l'autre, jusqu'à créer une impression de lenteur rébarbative et souvent ennuyeuse. Quant au dénouement, il ne parvient pas à réunir, de façon convenable, les deux histoires.
Clairement inabouti et inégal, LA PROMISE n'en a pas moins plus d'un atout dans son jeu. Bénéficiant d'un beau travail de direction artistique et de photographie, de décors naturels admirablement choisis, et d'une interprétation globalement de bon niveau, cette oeuvre reste une relecture ambitieuse et, par moments, touchante du mythe de Frankenstein.
Très mal accueilli par la critique à sa sortie, son exploitation américaine se passe mal, et son budget élevé (environ 14 millions de dollars) ne sera pas rentabilisé. LA PROMISE va faire partie d'une série de bides appelée à faire beaucoup de mal au cinéma britannique. 1985 sera ainsi une "annus horribilis" pour cette industrie : ABSOLUTE BEGINNERS de Julian Temple, REVOLUTION de Hugh Hudson, LEGEND de Ridley Scott, et LA PROMISE, d'onéreuses productions tournées en Grande-Bretagne par des anglais, ne réussiront pas à s'imposer, notamment sur le marché américain.
Jusqu'ici, LA PROMISE n'a été publié en DVD qu'aux USA, chez Columbia (zone 1, NTSC). Le film est proposé dans son format 1.85 (avec 16/9) d'origine. La copie laisse paraître quelques saletés par-ci par là, tandis que la compression a un peu tendance à faire des siennes dans les scènes très sombres. Mais le résultat reste plus que convenable et demeure naturel et agréable.
La bande-son anglaise est proposée en Dolby Surround d'origine, dans un mixage tout à fait correct, bien que globalement assez peu spectaculaire. On trouve encore plusieurs doublages (en mono), parmi lesquels une piste française, ainsi que de nombreux sous-titrages (dont un francophone).
Outre le film, on trouve deux filmographies (Sting et Jennifer Beals) et trois bandes-annonces (LA PROMISE, DRACULA de Coppola et FRANKENSTEIN de Branagh). Heureusement, on a encore accès à un nouveau commentaire audio enregistré pour cette sortie par Franc Roddam. Son propos est assez riche en informations et en anecdotes, ce qui compense l'absence d'autres véritables bonus sur ce DVD. Le réalisateur s'y livre notamment à une tentative d'analyse des faiblesses de son film et des raisons de son échec commercial, sans langue de bois aucune.
Somme toute, Columbia propose une édition très honnête de LA PROMISE, lui redonnant sa chance plus de quinze ans après sa sortie originale.