La vie de Seymour, un jeune homme timide et gauche, n'est pas très reluisante. C'est un petit employé d'un fleuriste de Skid Row, un quartier misérable de New York ; son employeur, en passe de mettre la clé sous la porte, ne cesse de l'accabler et, en prime, sa collègue dont il rêve en secret n'a d'yeux que pour un dentiste macho et violent. Un jour, Seymour découvre dans l'échoppe d'un chinois, une étrange fleur carnivore qu'il achète aussitôt. Il voit en cet être végétal, qu'il baptise Audrey II (du nom de sa dulcinée), la chance de relancer les affaires et d'obtenir l'attention de sa bien-aimée. Le charisme de la plante fait rapidement des miracles or il s'avère que c'est une variété extra-terrestre se nourrissant uniquement de chair humaine.
LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS est à l'origine une toute petite comédie d'horreur improvisée par Roger Corman en 1960. En bon producteur pour qui rien ne se perd, Corman propose de reprendre le décor en place d'un tournage précédent et d'en faire un film à peu de frais en deux jours (une méthode qu'il emploiera à nouveau avec notamment THE TERROR). C'est dans l'urgence que naîtra l'histoire d'une plante carnivore venue de l'espace et prête à tout pour conquérir la terre. On y retrouvera par ailleurs un certain acteur à ses débuts, Jack Nicholson en patient masochiste d'un cabinet dentaire.
Au début des années 80, David Geffen (producteur de la célèbre comédie musicale CATS) décide de porter cette histoire sur les planches de Broadway. Le duo Alan Menken - Howard Ashman, respectivement compositeur de musique (son talent, multirécompensé depuis, a permis à Disney de se renouveler dans les années 80/90) et parolier, se met à l'œuvre pour adapter le film de Roger Corman en comédie musicale. Cette version théâtrale sera un succès puisqu'elle va conquérir le public, non seulement aux Etats-Unis mais aussi dans d'autres pays. Quelques années plus tard, c'est encore David Geffen qui décide d'en faire un film avec un budget très confortable, le minimum pour donner vie à l'imposante Audrey II. La réalisation est confiée à Frank Oz, ce choix n'est pas anodin car ce dernier est un habitué des marionnettes : il fait ses armes avec SESAME STREET et le MUPPET SHOW, co-réalise DARK CRYSTAL, et prête sa voix à Yoda dans la série des STAR WARS.
LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS est une comédie musicale horrifique dont le postulat initial est l'invasion de la terre par une plante extra-terrestre. Parallèlement, le film évoque un pacte avec le diable car Seymour vend bien son âme à partir du moment où il a accepté de tuer pour nourrir la plante. Cependant l'histoire reste bon-enfant puisque le gore est juste suggéré. Le métrage, looké années 50/60, parodie la société américaine de cette époque : à l'exemple d'Audrey, image d'une jeune fille de classe modeste rêvant d'être une femme au foyer mariée à un homme de bonne situation et d'habiter une maison toute équipée avec jardin. Un discours suranné qui sied sans doute au matérialisme des années 80.
Outre l'histoire, ce sont les personnages hauts en couleur qui font prendre la mayonnaise. Une belle palette de «vainqueurs» nous est offerte : un héros sosie de Woody Allen (Rick Moranis vu dans SOS FANTOMES, CHERI J'AI RETRECI LES GOSSES, LA FAMILLE PIERRAFEU), un dentiste au look d'Elvis Presley (Steve Martin) et une Marilyn Monroe des bas-fonds à la voix de crécelle (Ellen Greene qui interprétait déjà le personnage d'Audrey au théâtre). On retrouve dans les rôles secondaires, une brochette de guest stars, à savoir les acteurs comiques du SATURDAY NIGHT LIVE de l'époque : Christopher Guest, John Candy, Bill Murray (qui reprend le rôle du patient maso tenu auparavant par Jack Nicholson) et James Belushi (frère du regretté John Belushi des BLUES BROTHERS).
Les acteurs nous réservent des moments de franche rigolade, on retiendra notamment une scène d'anthologie dans le cabinet dentaire, où le génial Steve Martin sort avec délectation son attirail de torture chirurgicale dans l'espoir d'arracher quelques cris de douleur à un Bill Murray malheureusement en extase. Un face-à-face désopilant entre sadisme et masochisme. Dommage que cette séquence ait un goût de trop peu.
Le plus gros challenge fut de créer Audrey II, le personnage essentiel du film : une plante qui parle, chante et dévore ! A une époque où les effets spéciaux numériques n'existaient pas encore, on peut dire que le travail en animatronic est épatant. La plante est totalement réussie, on croit à son existence tant ses mouvements sont fluides. A la fin celle-ci grandit si démesurément qu'il aura fallu créer plusieurs modèles de tailles différentes et jusqu'à 60 techniciens pour animer feuilles, branches tentaculaires, bouche/lèvres, etc. Enfin, pour incarner cette forte personnalité, Levi stubbs, ex-chanteur des Four Tops (groupe de rythm and blues qui a débuté dans les années 50) prête formidablement sa voix en version originale.
Le reste de la bande musicale est d'un style rock'n'roll enjoué mais n'atteint pas l'excellence, seuls deux ou trois morceaux parviennent à imprégner rapidement les esprits. On retiendra notamment les intermèdes rococos du trio de choristes façon Diana Ross and the Supremes. Frank Oz apporte un brin de fantaisie et d'humour dans sa mise en scène sans pour autant révolutionner la représentation du «musical» : décor volontairement artificiel, couleurs vives donnant un côté cartoon, jeu et expression exagérés des acteurs.
LA PETITE BOUTIQUE DES HORREURS est, au travers de sa loufoquerie, un bon divertissement qui surpasse de loin son modèle. Malgré ses points forts, l'ensemble n'en est pas pour autant transcendant. Notre intérêt s'est quelque peu perdu à certains moments de la deuxième partie (la relation amoureuse entre les deux héros). Toutefois si les avis sont nuancés, ce film, qui fut l'un des plus gros succès au box-office US l'année de sa sortie, est depuis considéré comme culte par une poignée de fans.
Dans l'aspect technique de l'édition, le transfert anamorphique en 1:78 reste bon. La richesse de couleurs de cette fantaisie musicale est bien rendue par des images qui ne comportent pas de gros défauts visibles (quelques poussières parfois). La version originale remixée en 5.1 Dolby Digital offre un son essentiellement porté sur l'avant (les arrières n'étant sollicités que pour les moments chantés). Cependant l'édition ne prévoit pas de sous-titres français durant les chansons : une omission de conséquence quand on sait que celles-ci constituent une grande part du film. Curieusement, le disque en Zone 1 comporte quant à lui des sous-titres français sur ces mêmes passages et dispose d'une image un peu plus net auquel s'ajoute quelques petites informations supplémentaires sur les côtés. Notons que dans la version française, en stéréo dolby surround seulement, les chansons ont toutes été doublées (avec un bonheur modéré).
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Dans cette édition, on retrouve principalement les mêmes bonus que dans le DVD Zone 1, exceptées les notes de productions écrites, qui sont en fait un doublon d'information avec le commentaire audio et le documentaire. Attention, les scènes coupées ne sont en réalité qu'un bêtisier dispensable. Outre une piste musicale isolée, le documentaire en anglais sous-titré qui revient sur la «petite histoire» de ce film avec des interviews entrecoupées d'extraits (version Corman et Oz) et d'images de making of. Pour ceux qui veulent «approfondir» le sujet, Oz nous relate dans le commentaire audio non sous-titré les détails plus ou moins intéressants du tournage des scènes (dommage qu'en dehors des propos concernant la marionnette, Oz ne se montre pas plus pertinent).
Pour l'anecdote, ce film était déjà sorti en DVD aux Etats-Unis en 1998 mais il a été très vite retiré de la vente. La raison étant que ce disque incluait une scène coupée sur une fin controversée du métrage, sans l'approbation de l'un des ayant-droits (David Geffen). Il s'agissait d'un dénouement plutôt apocalyptique où la plante, devenue gigantesque, finissait par dévorer les deux héros et envahir la ville. En conséquence, plusieurs exemplaires de cette première édition ont été mis aux enchères sur le net à des prix faramineux. Cette année le disque est ressorti en Zone 2 sans cette fameuse fin alternative tout comme la réédition américaine disponible depuis bien longtemps déjà.
En résumé, c'est une comédie d'horreur tout public, légère, colorée et kitsh à souhait qui nous apporte de bonnes tranches de rire ; 1h30 de bonne humeur, somme toute, avec toutefois certains passages «à vide» en deuxième partie. Même si l'on n'en multiplierait pas le visionnage, cette nouvelle édition est l'occasion de (re)découvrir un film moins connu chez nous. Après cela, vous regarderez sûrement d'un autre œil les plantes exotiques.