Dans un lycée de jeunes filles, Hyo-Shin et Shi-Eun osent s'aimer malgré le gigantesque tabou que cela représente. D'abord secrète, la relation des deux jeunes filles va peu à peu se révéler au grand jour. Mais acculée par l'animosité de ses camarades et des professeurs, Hyo-Shin se suicide en sautant du toit de l'école. De son côté, Min-Ah met par hasard la main sur le journal intime rédigé par les deux filles. Tandis qu'elle remonte le cours de leur romance via le cahier, d'étranges évènements interfèrent avec la vie du lycée.
Comme son titre ne l'indique pas, MEMENTO MORI est la suite de WHISPERING CORRIDORS, un transfuge coréen de la vague post-RING qui connut un gros succès local. Mais passé le cadre de l'action (un lycée de jeunes filles) et les manifestations fantastiques, les deux films n'ont pas grand-chose à voir. Peu enclins à jouer les marchands de soupe, les deux réalisateurs appelés à la barre de MEMENTO MORI, Min Kyu-Dong et Kim Tae-Yong, ont une vision totalement différente de ce qu'un tel concept pourrait engendrer. Déjà auteurs d'une flopée de courts-métrages, les deux hommes décident ici d'adapter au long l'histoire de HER STORY, un de leur court qui abordait de front un énorme interdit de la société coréenne : l'homosexualité chez les adolescentes.
Sous ces airs de film de fantôme, MEMENTO MORI est donc bel et bien un film sur l'homosexualité. Il ne s'agit pourtant pas d'un manifeste, ni d'une œuvre choc sur le sujet. Malgré la perche qui nous est tendue, le «couple» de réalisateurs n'est pas gay. Via ce thème, les deux cinéastes s'intéressent plutôt aux travers de la société coréenne et ses limites. Car si WHISPERING CORRIDORS se montrait sévère quant à la description du système éducatif local (fondé sur les vestiges du colonialisme japonais), MEMENTO MORI décrit le parcours de deux jeunes filles fendant les dogmes et les «on dit» pour satisfaire un sentiment d'amour juste et sincère (rappelons qu'en Corée, ainsi que dans certains pays d'Asie, l'homosexualité est considéré comme un véritable problème).
La peinture qui est donc faite ici du saphisme est remarquable. Extrêmement douce et pudique, elle ne nous épargne pourtant rien des souffrances et des doutes engendrés par une communauté qui ne tolère tout simplement pas ce genre de chose. Bravant les préjugés à même le plateau de tournage, les réalisateurs ont notamment dû se battre avec le casting principal qui se trouvait complètement désarçonné par le sujet du film (pour l'anecdote, la réaction des figurantes lors de la scène du baiser n'est pas simulée, ces dernières n'ayant pas été prévenues à dessein du déroulement de la séquence). Quant aux producteurs, inquiétés par la tournure «scandaleuse» du métrage, ils durent intervenir à même la salle de montage pour tempérer certains passages trop explicites (dont la scène où les filles prennent un bain ensemble). Bien que MEMENTO MORI ait ainsi souffert de censure, le film reste malgré tout parfaitement cohérent dans un sujet aux nuances finalement assez peu représentées au cinéma, y compris dans nos cultures plus ouvertes à ce sujet.
Mais revenons à une réalité plus terre-à-terre : MEMENTO MORI est un film de commande, un film destiné à exploiter le filon post-RING. Les beaux discours de nos réalisateurs sont une chose, mais ce que les producteurs attendent avec ce métrage c'est du frisson capable de rameuter en masse le jeune avide de sensations fortes. Franchement peu fans du genre, les deux cinéastes durent là encore revoir leur traitement du fantastique, bien trop discret aux goûts des investisseurs. Chose étrange, cet ajout à contre cœur d'ambiance paranormale ne va pas jouer en la défaveur de MEMENTO MORI. Bien au contraire, il va permettre d'affirmer son histoire et son message dans un carcan décuplé par la liberté formelle offerte par le genre.
Loin des grosses ficelles ou des sursauts bas de gammes, le fantastique de MEMENTO MORI joue sur un dérèglement progressif de la réalité. Entièrement cadré à l'épaule, bénéficiant d'une bande sonore très travaillée, et raconté au travers d'une narration éclatée entre passé, présent et onirisme, le film nous plonge dans l'expérience psychologique chaotique des deux jeunes filles ayant décidé de vivre autrement. Ce traitement est justifié par le fait que l'histoire se découvre grâce à un autre personnage, la jeune Min-Ah, qui va perdre le fil de ses repères (et donc de ses préjugés) au fur et à mesure qu'elle va comprendre et respecter les sentiments des deux héroïnes. Seul petit bémol à cet admirable mécanique, un final spectaculaire faisant fi de la subtilité alors en place pour imposer la figure fantomatique tant souhaitée par les producteurs. Une facilité qui n'empêche pourtant pas MEMENTO MORI de constituer une excellente réussite dans un sous-genre dominé par les fantômes écrasants du cinéma japonais.
Bien que MEMENTO MORI soit un titre plutôt confidentiel, l'édition zone 2 du titre se permet le luxe d'une double édition techniquement irréprochable. L'image, au format, est absolument superbe. Si l'on pouvait déjà profiter d'une piste en Dolby Digital 5.1 sur la très bonne édition coréenne du film, cette édition française y ajoute une piste DTS ultra efficace. Bien que sorti sur nos écrans, MEMENTO MORI n'a pourtant pas bénéficié de doublage en français. Sa sortie en DVD ne change pas la donne et vous ne pourrez visionner le film qu'en version originale avec sous-titres imposés.
Pour remplir ses deux disques, le Zone 2 nous propose de nombreux suppléments enterrant de ce pas les précédentes éditions. A voir en priorité, les 32 scènes coupées ou alternatives rétablissant la vision première des deux réalisateurs. Bien que tirées d'une copie de travail (faible qualité d'image, pas d'étalonnage ni de mixage son), ces scènes font véritablement valeur de «Director's cut» morcelé. Nous retrouvons les fameuses scènes explicites coupées par les producteurs, ainsi que la très importante histoire parallèle entre la fille se suicidant et son professeur. Plus étonnant, ces nouvelles scènes révèlent également des directions abandonnées de l'histoire, comme le rapprochement entre Min-Ah et Shi-Eun après la mort de Hyo-Shin.
Si l'édition ne bénéficie pas de commentaire audio, la parole est néanmoins longuement donnée à Min Kyu-Dong, l'un des réalisateurs du film. Au travers de deux longs entretiens (dont l'un tourné spécialement), le cinéaste revient en profondeur sur les différents aspects de son film, appuyant longuement ses regrets d'avoir vu son œuvre lui échapper aux profits de ses producteurs. Très important, ce dernier replace également MEMENTO MORI dans le contexte de la société coréenne, éclairant du même coup certains aspects du film qui pourraient paraître un peu obscurs vis-à-vis du public français. Les deux documents sont donc très intéressants, bien qu'un peu redondant l'un par rapport à l'autre (il faudra d'ailleurs attendre la fin de l'un des entretiens pour voir apparaître Kim Tae-Yong, le deuxième réalisateur, pour une poignée de minutes du coup trop courtes).
Un making of d'origine est également présent. Bien que promotionnel, ce dernier évite pourtant le style «featurette» pour mélanger interviews avec les jeunes actrices du film, images de tournage pris sur le vif, ainsi que séquence musicale pour lier le tout. Outre des bandes-annonces (l'originale coréenne et la française) et un diaporama intégré au très joli menu du disque, l'édition propose un bonus caché révélant un clip musical sur le thème principal du film.
Délaissant le concept qui l'a vu naître au profit d'une tragique étude de mœurs, MEMENTO MORI est à dégager d'emblée de l'influence de RING. Son regard pudique et courageux sur les tabous de la société coréenne, allié à un fantastique subtil et insidieux, font de ce petit film une réussite à la fois majeure et fragile. A conseiller en priorité à tous les blasés du cinéma fantastique.