Le professeur Monroe est engagé pour retrouver la trace de cinéastes partis tourner un documentaire sur une légendaire tribu en Amérique du Sud. Il entame un long voyage pour reconstituer le puzzle de leur disparition…
Depuis sa sortie tumultueuse, CANNIBAL HOLOCAUST s'est fait interdire et censurer dans pas mal de pays. Une vingtaine d'années après, sa réputation a grossi démesurément, l'établissant comme un étalage de boucherie sur pellicule ! Les légendes qui accompagnent le film n'ont pas aidé CANNIBAL HOLOCAUST à sortir de son carcan de film exécrable et malsain… Et pourtant ?
Contrairement à ce que le spectateur moyen peut penser, CANNIBAL HOLOCAUST n'est pas le premier à s'être lancé dans le cinéma «anthropologique» où l'indigène du coin est nécessairement anthropophage. En fait, Ruggero Deodato n'est pas l'instigateur du genre puisqu'une demi-douzaine d'années auparavant, Umberto Lenzi réalise AU PAYS DE L'EXORCISME, film d'aventures qui s'avère être assez clairement une version Bis d'UN HOMME NOMME CHEVAL dans la forêt vierge. S'ensuivent d'autres métrages comme LE DERNIER MONDE CANNIBALE de Ruggero Deodato, LA MONTAGNE DU DIEU CANNIBALE de Sergio Martino et même un VIOL SOUS LES TROPIQUES qui cache sous un titre aguicheur une aventure anthropophage de Laura Gemser alias Black Emmanuelle. Pas évident de faire dans l'originalité dans un genre assez pauvre en soi, qui n'est à vrai dire qu'une déclinaison de films d'aventures épicés de chair humaine et de séquences chocs. Rien d'autre que du cinéma d'exploitation qui sera exploité, justement, pendant quelques années, entre productions rarement bien torchées et le plus souvent ridicules : CANNIBAL FEROX, ESCLAVE BLONDE, MONDO CANNIBALE…
CANNIBAL HOLOCAUST ne suit pas vraiment le canevas habituel. En fait, le film se compose de deux parties distinctes. La première est une expédition conventionnelle qui mène le professeur Monroe auprès d'une tribu pour récupérer les bobines de ce qui a été tourné par la première expédition. La deuxième moitié du métrage se lance dans un exercice où l'on suit la première expédition à travers ce qu'ils ont eux-mêmes filmé, nous permettant ainsi de partager leur expérience sur le terrain, nous mettant par la même occasion dans une position voyeuriste souvent gênante. CANNIBAL HOLOCAUST jouait d'ailleurs l'ambiguïté concernant les bobines de films retrouvées en Amérique du Sud. Ainsi, le film s'ouvre par un avertissement qui sous-entend à mots couverts que les morceaux de films retrouvés sont authentiques, tout comme le texte qui démarre le générique qui ajoute encore un peu plus dans la confusion fiction / réalité. En gros, Ruggero Deodato et Gianfranco Clerici inventent le concept de BLAIR WITCH PROJECT une vingtaine d'années avant les «pros du marketing» que sont Daniel Myrick et Eduardo Sanchez.
CANNIBAL HOLOCAUST sort en Italie avant d'y être rapidement interdit. Sa carrière internationale sera d'ailleurs frappée par le sceau de la censure puisque en dehors des pays où il est purement et simplement interdit de séjour, le film est distribué avec diverses coupures, ce qui est d'ailleurs le cas en France. L'ambiguïté du concept, entretenue par le distributeur au moment de la sortie, va jouer en défaveur du film puisque Ruggero Deodato se voit accusé par la justice italienne de présenter les véritables meurtres de ses acteurs à l'écran. Une situation assez surréaliste que certains idiots continuent encore de nos jours à créditer. Le cinéaste italien sera relaxé après avoir prouvé que les exactions des cannibales envers ses acteurs sont des trucages et il va même, paraît-il, être obligé de présenter l'une des actrices pour démontrer que celle-ci est toujours bien vivante ! Pour ceux qui en douteraient encore, les acteurs principaux du film sont apparus par la suite dans divers films…
L'un des passages les plus réalistes, qui trouve toujours aujourd'hui des théoriciens pour prouver que le tout est vrai, est la séquence d'une indigène empalée. Le truc employé est assez simple puisque le poteau est en fait assez court et surmonté d'une petite selle. La figurante s'asseyait dessus et tenait entre ses dents un faux morceaux du poteau en balsa, ce qui créait l'illusion qu'elle était réellement transpercée de part en part. Une astuce que Ruggero Deodato aurait d'ailleurs reproduite pour les besoins de la justice !
Il existe pourtant des séquences sans aucun trucage dans le film. Elles dépeignent la mise à mort de plusieurs animaux. Ce type de séquences est d'ailleurs récurrent dans quasiment tous les films de cannibales. CANNIBAL HOLOCAUST ne s'est pas fait des amis chez les défenseurs des animaux à cause de cela ; la plupart s'offusquent du petit rongeur, de la tortue, du singe et du porcelet. Ruggero Deodato s'est toujours défendu à propos de ces scènes en expliquant que les animaux avaient été ensuite mangés par les indigènes. Par contre, étrangement, personne ne semble s'offusquer de la mort d'un serpent ou d'une grosse araignée.
Occultons ce problème pour nous intéresser au film lui-même, qui est finalement bien plus intelligent qu'il n'y paraît. Le message du film pourra paraître un peu démago en raison des gros sabots utilisés par Ruggero Deodato pour aller au bout de sa démonstration. CANNIBAL HOLOCAUST est, aussi surprenant que cela puisse paraître, un film à message. Le réalisateur et le scénariste confrontent deux cultures différentes pour se poser des questions sur la sauvagerie humaine. L'homme dit civilisé est-il réellement l'exemple même de la perfection morale ? D'après Ruggero Deodato, cela demande réflexion. Ces quatre cinéastes qui partent filmer leur documentaire sont menés par un arriviste déjà responsable d'un documentaire ultra violent qui accumule mises à mort et carnages, certains étant mis en scène de toutes pièces. L'une des responsables de la chaîne qui commandite le professeur Monroe pour commenter les bobines de films semblent fascinée par, elle le dit elle-même, la puissance de ce documentaire. Arrivés en Amérique du Sud, nos quatre reporters plongent rapidement dans un tourbillon de violence qui les amène à renier toutes idées morales, qui font pourtant partie de leur propre culture. La séquence où l'un d'eux a du mal à contenir son sérieux face à un cadavre pour jouer l'indignation montre toute l'hypocrisie qui se cache derrière l'idée d'un homme civilisé. Il en va de même lorsque deux des personnages principaux viennent à faire l'amour juste après un massacre sans aucune pudeur devant une troupe d'indigènes apeurés.
Au contraire, les cannibales ne dérogent pas à leurs croyances et suivent moralement leur culture même si vus de l'extérieur, leurs agissements peuvent paraître «sauvages» ou «ignobles». Les deux mondes se rencontrent pour un choc culturel qui n'est pas forcément à l'avantage de ceux qui devraient être les plus civilisés. Ils ne sont en réalité que des voyeurs qui se nourrissent d'atrocités et qui, s'il n'y en a pas suffisament, vont les créer eux-mêmes. Si CANNIBAL HOLOCAUST s'attaque frontalement aux problèmes des médias et à la mise en scène des informations dont on peut se questionner sur la déontologie, le débat s'avère en réalité bien plus profond.
Et pour en revenir sur les animaux exécutés dans le film, il n'est pas question pour nous de l'approuver mais ils permettent justement de soulever un voile sur notre propre hypocrisie. Voir à la télévision un documentaire qui dépeint la vie de peuplades, des dizaines de dauphins agonisant sur une plage avant d'être découpés en rondelles dans Thalassa dernièrement, qui agissent pour se nourrir ne soulève pas de polémique. Même une émission de pur divertissement amène son lot de mises à mort (Koh-Lanta ?) sans que cela ne génère de grosse indignation. Mais dans un film de cinéma, cela devient totalement répréhensible. Que les animaux soient tués de cette façon pour être ensuite consommés ne gène personne tant que cela n'est pas filmé ! En dehors des végétariens, les mangeurs de viande devraient s'interroger la prochaine fois sur la façon dont leur steak a bien pu arriver dans leur assiette… Là où CANNIBAL HOLOCAUST est étonnant, probablement de façon inconsciente de la part de Ruggero Deodato, c'est que ces scènes chocs viennent alimenter le débat de façon jusqu'au-boutiste ! D'un côté sur l'être humain qui se dit civilisé, alors que même notre histoire actuelle démontre que la sauvagerie est toujours aussi présente alors que l'homme évolué ne cesse d'outrepasser les règles morales qu'il a instauré. Ne nous méprenons pas, nous n'éprouvons aucun plaisir à subir la vision de mises à mort atroces d'animaux. Nous n'en venons pas à apprécier le cinéma d'horreur et le cinéma fantastique dans son ensemble pour de tels raisons ! Nous ne sommes pas fascinés par la mort et autres choses de ce genre, alors que des documentaires tels que les Mondos genre FACE A LA MORT, documentaire qui justement manipulent le spectateur, ne nous attirent absolument pas !
Robert Kerman, qui incarne le professeur Monroe, s'est embrouillé avec Ruggero Deodato après la finalisation de CANNIBAL HOLOCAUST, justement à cause des séquences mettant en scène la mort des animaux. Ca ne l'empêchera pas de figurer aux génériques de LA SECTE DES CANNIBALES et CANNIBAL FEROX de Umberto Lenzi, comme quoi… Pour ceux qui seront étonnés de voir l'acteur se dénuder aussi facilement avant qu'une nuée de nanas ne viennent lui toucher le zizi, il faut savoir que Robert Kerman évoluait à l'époque essentiellement dans le milieu du porno américain, figurant entre autre au générique du fameux DEBBIE DOES DALLAS. Si l'acteur gardait une rancœur envers CANNIBAL HOLOCAUST, c'est pourtant grâce au film de Ruggero Deodato qu'il obtient un petit rôle dans le SPIDER-MAN. Grâce à un échange de bons procédés, en participant gracieusement à l'élaboration de suppléments pour une édition DVD américaine qui se fait attendre depuis des années, Robert Kerman est branché sur le casting du film de Sam Raimi.
Les effets spéciaux d'Aldo Gasparri (ESCLAVE BLONDE) ne sont pas toujours très réussis. Certains passages frisent le ridicule alors que d'autres sont saisissants de réalisme. Mais Ruggero Deodato réussit à les magnifier grâce à sa réalisation, surtout lors de l'issue du film. La caméra en perpétuel mouvement, ne cadrant jamais avec précision ni même insistance les boucheries en cours, a de quoi donner rapidement la nausée sur un écran de bonne taille en tout cas. Ce ne sont pas vraiment les débordements sanglants qui sont en cause, puisqu'ils sont bien souvent à peine entraperçus, à l'exception de quelques passages cadrés sobrement (l'émasculation…) mais bel et bien la mise en condition du spectateur par cette vision paniquée et subjective.
Autre élément important dans la réalisation technique de CANNIBAL HOLOCAUST, la musique de Riz Ortolani, très réussie, fait la part belle à un thème musical très décalé par rapport au contenu du film. Les accents de sa musique changent par moments pour introduire des effets plus menaçants voire inquiétants mais c'est essentiellement le thème principal, surtout lorsqu'il est utilisé sur des passages violents, qui augmente la force des images.
Les premières secondes du film déçoivent avec une image aux rayures innombrables et à la définition défaillante. Le facétieux Ruggero Deodato balaye cette image en nous souhaitant une bonne vision du film en italien, après avoir fait une courte introduction. Le film reprend alors depuis le début et c'est un véritable choc ! La définition est exemplaire et la compression à peine visible, à croire que le film a été tourné hier. Il faut dire que pour réaliser ce transfert, Alan Young Pictures est retourné à la source d'après un négatif original alors que l'opération était supervisée par le réalisateur et le directeur de la photographie.
Si vous comprenez l'italien, vous serez aux anges puisque deux nouveaux mixages sonores réussis lui sont dévolus : l'un en stéréo surround et l'autre en Dolby Digital 5.1. Par contre, si vous devez vous rabattre sur la piste sonore anglaise, ce sera un peu plus gênant puisque des sous-titrages italiens y sont imposés (certains lecteurs peuvent contourner ce problème). En mono d'origine, ce doublage anglais accuse son âge avec une bande sonore qui sature et pour laquelle certains dialogues sont parfois difficiles à déchiffrer.
A propos du transfert de l'image, des remix, de l'enregistrement du commentaire audio et de l'authoring, vous n'apprendrez pas grand chose dans la toute petite Featurette DVD HOLOCAUST. Il s'agit d'à peine deux petites minutes qui dévoilent succinctement et sans aucune explication des bribes des diverses étapes de l'élaboration du DVD. Le commentaire audio a été enregistré par Ruggero Deodato et deux critiques de cinéma. Entièrement en italien, il sera de ce fait totalement inutile pour ceux qui ne comprennent pas cette langue.
NELLA GIUNGLA : THE MAKING OF CANNIBAL HOLOCAUST est un documentaire réalisé pour cette édition DVD et qui s'étire sur environ soixante minutes. Comme le commentaire audio, il est entièrement en italien et il sera donc difficile de tirer quoi que ce soit des diverses interviews du réalisateur, du compositeur et des autres intervenants si vous ne comprenez pas l'italien. Toutefois sa vision n'est pas dénuée d'intérêt puisqu'il contient des extraits du tournage qui ont été retrouvés très récemment et que personne n'avait jamais vus auparavant. Ne vous attendez pas à y retrouver la fameuse scène des piranhas puisque celle-ci n'a jamais vraiment été tournée même s'il en existe des photos (deux légèrement différentes sont disponibles dans les galeries). En raison d'un effet spécial peu satisfaisant, après des essais, elle n'a jamais été tournée ou en tout cas pas dans son intégralité. Bien sûr, une partie de ce documentaire parle de la censure qu'a subit le film alors qu'il se clôt par Riz Ortolani qui interpréte le thème du film au piano.
Trois galeries de photos très fournies permettent de découvrir d'un côté le matériel promotionnel (affiches, photos d'exploitation…) et de l'autre des photos de production alors que la troisième permet de découvrir le dossier de presse japonais du film. Un des rares pays où le film fut diffusé dans sa version intégrale et qui fut au passage un énorme succès commercial dans les salles de cinéma ! Cette édition se complète par deux bandes annonces, seuls les intertitres changent de langues de l'anglais à l'italien, un spot radio et des filmographies. La présence d'une piste musicale isolée n'a jamais été prévue et il s'agit d'un malentendu entre la presse et l'éditeur. En fait, les galeries de photos sont sonorisées avec des extraits de la bande originale. Enfin, la jaquette indique un bonus caché mais il nous a été impossible de le dénicher !
Film à la réputation sulfureuse, CANNIBAL HOLOCAUST sera t'il un jour résumé autrement que par le cliché du film gore abject ? Ce n'est pas demain la veille mais en tout cas, cette édition DVD italienne dispose d'une image absolument fantastique pour qui serait tenté, à condition de manier l'italien ou au moins la langue anglaise, de découvrir le film !