Header Critique : ELLE S'APPELAIT SCORPION (JOSHUU SASORI : DAI 41 ZAKKYO BO)

Critique du film et du DVD Zone 2
ELLE S'APPELAIT SCORPION 1972

JOSHUU SASORI : DAI 41 ZAKKYO BO 

Enfermée à perpétuité dans un dur pénitencier pour femme, l'inébranlable Scorpion (Meiko Kaji) ne cesse de tenir tête au directeur de la prison qui rêverait de la voir enfin se soumettre à ses odieuses règles. Endurant les tortures morales et physiques les plus insupportables, Scorpion parvient néanmoins à s'échapper avec six autres détenues lors d'un transfert. Une longue et terrible traque commence alors.

Récemment repêché de par chez nous pour quelques diffusions dans divers festivals et une diffusion télé, ce film japonais du début des années 70 est pourtant la pierre angulaire d'une série ultra populaire au pays du soleil levant. Adaptés comme il se doit d'une bande dessinée locale, les JOSHUU SASORI (rebaptisés FEMALE CONVICT SCORPION à l'export) comptent six opus directs, ainsi qu'une flopée de suites plus ou moins pirates qui alimenteront le marché de l'exploitation jusqu'à nos jours.

Dans le cœur des fans, seulement les premiers sortent du lot puisqu'ils réunissent l'excellent tandem Shunya Ito à la réalisation et Meiko Kaji dans le rôle de Scorpion. Dans la chronologie de la série, ELLE S'APPELAIT SCORPION se place en deuxième position et constitue bien entendu le meilleur opus.

ELLE S'APPELAIT SCORPION est donc un film de prison de femme. Si la formule peut faire sourire les néophytes du cinéma d'exploitation, il faut quand même souligner que c'est un véritable sous-genre en soi. Bien pratique pour les petits budgets (car décors quasi uniques et casting réduit à la clef), les «Women In Cage» ou «Women In Prison» sont avant tout une vraie mine de séquences fortes en bouche : règlements de compte sanglants, crêpage de chignons en culotte, papouillettes dans les douches, humiliations diverses et variées par des matons pervers et un directeur sadique… La recette est simple et l'impact sur la libido du spectateur (mâle de préférence) est assuré.

Si ELLE S'APPELAIT SCORPION peut donner l'impression dans ses premières minutes d'appartenir à cette famille gentiment dégénérée de films de prison, le métrage ripe très vite dans une direction totalement opposée à savoir le road movie. Car ELLE S'APPELAIT SCORPION n'est pas le récit d'un emprisonnement mais d'une cavale. Envolée la promesse tacite de voir tout ce joli casting féminin s'effeuiller dans les douches communes, Shunya Ito a le projet d'embarquer son spectateur dans le voyage âpre et violent de ses anti-héroïnes. Jouant sur les ressorts de la dissension de groupe en parallèle d'une constante chasse à l'homme (ou plutôt chasse à la femme), Ito réussit le paradoxe habile de nous montrer une réalité encore plus dure à l'extérieur qu'à l'intérieur de la prison.

Ce qui risque d'épater les téméraires qui se risqueront au visionnage de cet excellent ELLE S'APPELAIT SCORPION, c'est bien les connivences d'univers entre ce film et le Western (essentiellement européen). Des décors étrangement désertiques aux manteaux longs et de fortune de nos héroïnes, de la description nihiliste des personnages jusqu'au maniérisme de la mise en scène, les passerelles sont nombreuses tout au long du film. Cela n'empêche pas la réalisation de Ito de verser dans un espèce de surréalisme typiquement japonais, qu'il soit graphique (un corps jeté dans une cascade à pour effet de l'inonder de sang, le jeu sur les lumières colorées) ou bien narratif (les nombreux tableaux oniriques parcourant le film). Une incroyable liberté d'inspiration en somme, qui élève de ce pas ELLE S'APPELAIT SCORPION au rang de grand film formel. On retiendra à ce titre l'étonnante exposition du passé des prisonnières au travers d'une cérémonie fantastique chantée par une sorcière.

Mais soyons honnêtes, le film doit énormément à son interprète principale Meiko Kaji. L'actrice est essentiellement connue pour ce rôle de Scorpion (qu'elle tiendra dans les quatre premiers opus de la série), mais aussi pour sa formidable incarnation de LADY SNOWBLOOD dans les deux géniaux métrages adaptant le manga de Kazuo Koike (auteur des Crying Freeman et Baby Cart de papier). Outre sa beauté vénéneuse, c'est son incroyable prestance qui illumine de bout en bout le film. Peu aidée par une absence quasi totale de dialogue (elle prononce seulement deux petites phrases de tout le film), l'actrice irradie littéralement l'image à chacune de ses apparitions. Est-ce du à son regard si intense ? Est-ce du à son jeu puissant tout en étant parfaitement minimaliste ? Toujours est-il qu'elle se fait l'incarnation mémorable d'un personnage troublant de rage intérieur, au croisement du cow-boy tragique à la Sergio Leone et du nihilisme affiché du Snake Plissken de John Carpenter.

Mais plus qu'une icône de bande dessinée ou de série B, la Scorpion de Meiko Kaji est surtout une superbe incarnation de la femme japonaise refusant en bloc la soumission à une société uniquement dirigée par les hommes et pour les hommes. On ne s'attendait franchement pas à ce genre de discours en découvrant le film de Ito. Et pourtant, ELLE S'APPELAIT SCORPION est peut-être l'un des films les plus sévères dans sa peinture de l'homme. Passons sur le genre qui veut que les matons ou le directeur soient de parfaits salopards, pour nous arrêter sur les autres personnages masculins du film. Les rares que nos héroïnes croiseront seront des fumiers phallocrates et / ou des assassins en puissance. L'un des pics du film voit l'intrusion d'un car de touristes campagnards dont les hommes se vantent d'avoir violé les prisonnières chinoises lors de la guerre sino-japonaise. Lorsque ces derniers tombent sur l'une des évadées, ils la violent ainsi copieusement avant de la laisser pour morte en pleine nature.

Contre toute attente, ELLE S'APPELAIT SCORPION est donc un film féministe. Tantôt impuissante, tantôt justicière, Scorpion fait figure de goutte qui ne se fondera jamais dans un océan qu'elle exècre. Cette profondeur insoupçonnée laisse pantois, nous qui nous nous satisfaisions jusqu'alors du scope somptueux du film associé aux très beaux passages chantés par Meiko Kaji elle-même. Si l'on excepte quelques petits engourdissements de rythme par-ci par-là, ELLE S'APPELAIT SCORPION est donc une authentique perle noire (et gore) dont les images, les sonorités et le discours risquent de vous hanter longtemps après vision.

ELLE S'APPELAIT SCORPION est un nouvel opus de la série des Cinéma de Quartier, la collection dirigée par Jean-Pierre Dionnet depuis son rendez-vous cinéphile sur la chaîne Canal+. Autant dire que l'édition est aux mains d'un passionné et qu'il n'y a pas grand-chose à craindre. On est donc épaté par la qualité de la copie tant l'âge et la confidentialité du titre ne le prédisposaient pas à un traitement de faveur. Le DVD américain quant à lui arborait une image quelque peu brûlée et des couleurs un peu trop exagérées pour un rendu largement moins réussi ! Le disque propose un mono japonais d'origine (de bonne facture malgré une tendance à la saturation à certains moments), ainsi qu'un doublage en français pour les plus courageux d'entre vous. En bref, ce disque est l'occasion rêvée de découvrir le film dans des conditions optimales.

DVD français
DVD américain

L'éditeur marque aussi l'effort sur des bonus riches en enseignement. Comme de bien entendu, c'est l'épatante verve de Dionnet qui ouvre l'édition pour une présentation éclairée du film (cette présentation est celle diffusée sur la chaîne à péage lors du passage télé de ELLE S'APPELAIT SCORPION). A suivre, plusieurs interviews d'une durée confortable par trois intervenants qui ne seront pas tous étrangers à ceux qui se seront déjà procuré l'excellent LE COUVENT DE LA BETE SACREE. C'est le cas de Risaku Kiridoushi (critique) et de Romain Slocombe (auteur sur divers supports et spécialiste du Japon). Seul l'entretien avec Shunya Ito fut spécialement conçu pour cette édition (les autres ont été enregistrées en même temps pour LE COUVENT DE LA BETE SACREE). Ce dernier revient plus en détail sur les conditions de production du film mais aussi de la série, révélant au passage quelques anecdotes, comme lorsqu'il avoue qu'initialement il ne croyait pas du tout en Meiko Kaji pour le rôle de Scorpion.

A l'instar du COUVENT DE LA BETE SACREE, on reste franchement sur sa fin lors de l'analyse de Kiridoushi. Le critique a beau pointer le discours féministe du film, il faudra plutôt écouter les passionnants propos de Slocombe si l'on veut véritablement décoder les tenants et aboutissant de la charge sociale du film. L'édition propose également une galerie de photos, et surtout de copieuses notes de production qui reprennent les propos de présentation de Dionnet tout en élargissant les informations jusqu'à un topo sur les films de prison (à noter que des filmographies sont incluses à même ces notes). Difficile de faire plus complet. Un seul regret cependant, l'habillage graphique typé «produit dérivé Canal+» ne rend pas justice à la jaquette qui se serait franchement satisfaite de la très belle affiche originale du film.

Faux film de prison, ELLE S'APPELAIT SCORPION tourne très vite le dos aux poncifs du genre pour s'enfoncer dans le road movie crépusculaire qui n'est pas sans évoquer l'influence du western. Ce qui ne serait qu'une épatante série B gagne ses galons de petit chef d'œuvre dès lors que le film bascule dans une critique sociale hyper violente, sublimement menée par l'incroyable prestance de Meiko Kaji. Encore un titre incontournable à ajouter au crédit de cette décidément excellente fournée de Cinéma de Quartier.

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
49 ans
1 news
287 critiques Film & Vidéo
On aime
Le film, dont les délires formels n’ont d’égaux que la violence du sous-texte social.
La présence de Meiko Kaji.
Une copie de qualité optimale.
On n'aime pas
Quelques petites baisses de rythme.
L’habillage graphique de la jaquette.
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L'édition vidéo
JOSHUU SASORI : DAI 41 ZAKKYO BO DVD Zone 2 (France)
Editeur
Support
DVD (Simple couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h25
Image
2.35 (16/9)
Audio
Japanese Dolby Digital Mono
Francais Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
    • Présentation du film par Jean-Pierre Dionnet
      • Interviews
      • Shunya Ito
      • Risaku Kiridoushi
      • Romain Slocombe
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