Critique du film
et du DVD Zone 1
HOUSE WITH LAUGHING WINDOWS, THE
1976
Stephano, restaurateur d'uvre d'art, est engagé par la
mairie d'une bourgade de l'Italie profonde : il doit restaurer la fresque
de l'église, peinte par Buono Legnani, enfant du village et artiste
maudit, dont la communauté semble cacher le passé. Quelle
est cette mystérieuse "maison aux fenêtres qui rient"
? Et le mystère entourant les surs et la mort de Legnani
? On ne semble pas apprécier, au village, le travail de mémoire
qu'entreprend Stephano, avec l'aide de Francesca, l'institutrice. Exhumer
des souvenirs peut s'avérer mortel
Avati considère son cinquième long métrage comme "un film de genre, sans ambition particulière". On décèle pourtant à la vue de ce métrage l'ambition de filmer et d'exploiter au maximum cet état expressif. On saura y lire également l'ambition d'une profonde réflexion sur l'image et l'attention que doit lui porter le spectateur.
Écrit et produit par lui-même et son frère, le film a stagné dans les projets de Pupi Avati pendant des années avant de voir le jour, enrichi par les proches d'Avati : Maurizio Constanzo (ZEDER en 1982, LA MAZURKA DEL BARONE en 1970, BORDELLA en 1976) et Gianni Cavina (qui interprète Coppola, le chauffeur du maire dans le film). Suite à l'échec de BORDELLA, LA MAISON AUX FENETRES QUI RIENT dut se contenter d'un budget minimum. L'équipe, réduite à une douzaine de personnes, intègre cependant Lino Capolicchio (SOLAMENTE NERO, un giallo d'Antonio Bido) et Ferdinando Orlandi (MACABRE de Lamberto Bava).
On ressent, dans ce long métrage, l'influence de l'Italie profonde, du poids des traditions et de la religion, et de l'église dont le portrait n'est pas flatteur : le prêtre est lui-même un suppôt du démon ! En cela, Avati rejoint les réalisateurs italiens contemporains (Fellini, Pasolini, avec lequel Avati écrit à la même époque SALO, OU LES 120 JOURNÉES DE SODOME). Une autre influence est omniprésente dans le ton, les cadrages et l'ambiance du film, celle des thrillers horrifiques, des giallos d'Argento, qu'Avati influence en retour. SUSPIRIA et LA CASA DALLE FINESTRE CHE RIDONO ont de nombreux points communs : lieu labyrinthique en profondeur pour l'un, labyrinthique en hauteur pour l'autre, labyrinthe au bout duquel le héros trouve la cachette diabolique, après une longue phase d'initiation au cinéma, à ses procédés (hors champs omniprésents, point de vue mouvant ) et à ses excès sonores.
La place centrale de l'uvre
de Legnani dans l'intrigue participe de cette filiation, mais aussi
d'une lointaine mise en abyme du cinéma et de son langage : le
tableau de Legnani, décomposé, est petit à petit
recomposé par Stephano, puis de nouveau détruit par la
haine des villageois. Comme dans BLOW
UP, c'est le travail sur l'image, l'observation, la recomposition,
l'éclatement de l'image primordiale qui donne la clef de l'intrigue,
ou une des clefs de l'intrigue. Le héros devient créateur
à son tour, incarnation du réalisateur démiurge
perdu dans son métrage, comme Legnani, autre image du créateur,
s'impliquait avec son sang dans son uvre.
L'uvre
d'art au centre de l'intrigue, Argento
a su (L'OISEAU
AU PLUMAGE DE CRISTAL) et saura (LE
SYNDROME DE STENDHAL) l'employer, avec la même portée.
Filmer une uvre picturale renforce la présence immatérielle
du hors-champ, un hors-champ qui se situe dans le champ, mais au plus
profond de ces uvres, comme si elles étaient habitées
de présences et de sens qui les dépassent (cf. VERTIGO
et la séquence de Madeleine au musée, mais aussi les galeries
de portraits dans LE
CHIEN DES BASKERVILLE de Terence
Fisher, ou dans la première séquence de NIGHT
OF THE GHOUL de Freddie
Francis, qui remplissent l'espace et accroissent ainsi les possibles
terrifiants).
Ces présences sont encore multipliées par les apparitions d'ombres de trois formes ; dans la maison, dans la rue, les ombres peuplent la pellicule : personnages sans âme qui se glissent derrière les héros, ombres malfaisantes dans la maison, le village et la campagne italienne sont habités par ces fantômes insignifiants mais tellement perturbants pour le regard du spectateur.
Il en va de même des zones d'ombre que doit explorer Stephano : les parties à restaurer de la fresque sont un écho des zones d'ombre dans la maison de Laura, la vieille femme clouée au lit, qui héberge Stephano. Le personnage doit les explorer comme il doit restaurer la fresque, les découvrir pour leur inventer un sens.
C'est en tout cas ces zones d'ombre qu'Avati peuple également d'ombres sonores : la bande son très travaillée met en relief ce hors-champ panique : la parole du peintre maudit qui apparaît ou disparaît de la bande magnétique trouvée au grenier, les cris des suppliciés peints par l'artiste, les frottements et grincements, puis le thème horrifique composé par Amedeo Tommasi (LA MAZURKA DEL BARONE , BORDELLA) hantent le film, sont des indices à interpréter, ou des chausse-trappes à éviter pour Stephano comme pour le spectateur.
De ce hors-champ développé à l'extrême, Avati laisse par deux fois échapper une main, qui déborde du néant et vient subrepticement rappeler au spectateur que la peur peut prendre forme : une main s'échappe du grenier pour s'emparer du colis livré par le sacristain complice, mais encore plus étonnant, dans le dernier plan, alors que tout est joué, que les rires maléfiques des deux surs sont couverts par les sirènes de la police, une main pénètre le cadre, sans véritable corps auquel la rattacher, comme pour avertir que malgré la fin inéluctable, quelqu'un tient encore les rênes du film.
Le disque sorti au mois de mars 2003 aux Etats-Unis n'apporte rien de plus par rapport à l'édition italienne. L'image est restaurée, au format 16/9 (au ratio 1.77:1) dans une qualité irréprochable ; la piste son est présentée au format mono d'origine, Dolby Digital 5.1 ou DTS, ce qui permet de voir (ou revoir) ce film dans les meilleures conditions.
Question bonus, l'édition américaine propose la bande-annonce en italien non sous-titré, une galerie de lobby cards ainsi qu'un documentaire d'une quinzaine de minutes où l'on apprend que LA main du plan final est celle de Pupi Avati, ce qui renforce encore le sens de ce plan et le trouble qui en découle. Malgré ces quelques renseignements, ce documentaire ne s'illustre pas par sa profondeur et son intérêt est très limité.
C'est la marque des grands
films que de porter la trace de leur caractère cinématographique,
leur cinéphilie : c'est avec des réalisateurs comme Pupi
Avati que le fantastique se pose comme genre privilégié
pour explorer et exprimer cette mise en abyme.
Prix de la critique au festival du film fantastique de Paris en 1979,
le film n'a jamais été diffusé en salle en France
; aussi faut-il pour l'instant aller chercher en import une édition
tout à fait honorable pour le découvrir.