Critique du film
et du DVD Zone 2
VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE
1959
Alec, étudiant en sciences naturelles à Édimbourg,
offre à son maître, le professeur Lindenbrook, un rocher
de lave trouvé en Islande. Le savant découvre que cette
chape contient en fait un autre objet : un morceau de plomb ayant appartenu
à Saknussem, un savant fasciné par le mythe de l'Atlantide
qui avait mené de nombreuses explorations géologiques
avant de disparaître mystérieusement. Sur l'objet en question,
l'explorateur a laissé un message indiquant l'entrée d'un
réseau de cavernes mystérieux. Lindenbrook et Alec partent
aussitôt en Islande. Mais, ils découvrent rapidement qu'ils
ne sont pas les seuls intéressés par les découvertes
potentielles promises par cette aventure. Ils s'allient finalement avec
le guide Hans et Carla (veuve d'un savant qui comptait lui-aussi s'aventurer
dans les cavernes, mais qui a été mystérieusement
empoisonné). Le voyage au centre de la Terre peut commencer...
VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE, écrit en 1864, est un des romans les plus célèbres de Jules Verne, à la fois maître et fondateur de la littérature de science-fiction. Dans ce livre, le professeur Lindenbrock, accompagné par son neveu et un guide, explore l'intérieur de la Terre, après avoir découvert un passage y menant suite à l'étude d'un grimoire très ancien, rédigé par un alchimiste islandais. Si Verne meurt en 1905, ses oeuvres inspirent très tôt les réalisateurs de cinéma, qui y trouvent maints récits d'aventures riches en péripéties spectaculaires et stimulantes. Ainsi, Méliès multiplie les innovations techniques en s'attaquant aux défis posés par la transposition, en images de cinéma, des visions sorties de l'imagination du grand écrivain. Le magicien de Montreuil réalise ainsi LE VOYAGE DANS LA LUNE, suivi du VOYAGE A TRAVERS L'IMPOSSIBLE, 20.000 LIEUES SOUS LES MERS puis, en 1912, de LA CONQUÊTE DU POLE, son chant du cygne. En 1909, Charles Pathé produit déjà un VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE de neuf minutes, réalisé par Segundo De Chomon, un concurrent de Méliès.
En 1954, le succès mérité de 20.000 LIEUES SOUS LES MERS, réalisé par Richard Fleischer pour les studios Disney, déclenche la production de nombreuses et fastueuses adaptations de Jules Verne dans les années 1950-1960. United Artists produit LE TOUR DU MONDE EN 80 JOURS de Michael Anderson, avec David Niven en Phileas Fogg ; on voit encore sortir DE LA TERRE A LA LUNE de Byron Haskins, avec Joseph Cotten, George Sanders et Debra Paget, puis L'ILE MYSTÉRIEUSE de Cy Endfield (avec trucages du maître Ray Harryhausen), CINQ SEMAINES EN BALLON d'Irwin Allen, LES ENFANTS DU CAPITAINE GRANT de Robert Stevenson.... Le vétéran italien Carmine Gallone (SCIPION L'AFRICAIN...) tourne un très bon MICHEL STROGOFF en Yougoslavie, tandis qu'en France, c'est Philippe de Broca qui signe un trépidant LES TRIBULATIONS D'UN CHINOIS EN CHINE avec Jean-Paul Belmondo et Ursula Andress...
Parmi tous ces films, on trouve bien sûr cette fameuse adaptation de VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE, produit par la Fox, et mettant en vedette James Mason, qui avait justement tenu le rôle de Nemo dans 20.000 LIEUES SOUS LES MERS. On trouvera ensuite d'autres adaptations officielles de ce roman, notamment avec LE CONTINENT FANTASTIQUE de l'espagnol Juan Piquer Simon (SUPERSONIC MAN, LE SADIQUE A LA TRONÇONNEUSE, MAGIE NOIRE...). Rusty Lemorande tente de mettre ce livre à une sauce "années 80" avec sa version de JOURNEY TO THE CENTER OF THE EARTH produit par Cannon : amorcé en 1986, ce tournage connaîtra des complications, avant d'être interrompu ; le film sortira tout de même en 1989, dans un montage réputé fort chaotique. Puis, un autre JOURNEY TO THE CENTER OF THE EARTH est produit pour la télévision américaine et réalisé par William Dear en 1993 : cette version assez futuriste du roman de Verne tentait en fait d'exploiter la formule du groupe d'explorateurs intrépides mise au point dans les diverses moutures de STAR TREK ; bien qu'ayant vocation à être le pilote d'une série TV, cette bande restera sans suite. Enfin, George Miller (celui de L'HISTOIRE SANS FIN II, pas celui de MAD MAX !) réalise aussi un VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE en 1999 pour Hallmark, compagnie spécialisée dans la production de mini-séries de luxe visant un public familial.
Mais revenons au VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE de 1959, réalisé par Henry Levin, réputé comme la plus réussie des adaptations de ce livre de Jules Verne. Quelques petites modifications ont été portées au récit original. Le professeur s'appelle Lindenbrook (et non plus Lindenbrock) et devient écossais. Une présence féminine est ajoutée à l'exploration avec Carla Goetaborg, veuve d'un explorateur qui préparait le même voyage que Lindenbrook et ses amis. Le grimoire antique est remplacé par un objet remonté à la surface de la Terre suite à une éruption volcanique, tandis que le script ajoute aux péripéties du roman la découverte de la cité perdue de l'Atlantide.
La Fox mobilise de vastes
moyens sur ce film : nombreux trucages, vastes décors de studios,
format cinémascope, couleurs et son stéréo sont
donc de la partie. On recrute James
Mason (vous trouverez un petit aperçu de sa carrière
dans la critique de CES
GARÇONS QUI VENAIENT DU BRÉSIL) pour jouer Lindenbrock,
tandis que le chanteur Pat
Boone incarne Alex. Le réalisateur est Henry
Levin, dont on considère souvent que VOYAGE AU CENTRE
DE LA TERRE est le chef-d'oeuvre. En Fantastique, on lui doit, entre
autres, LES
AMOURS ENCHANTES, co-réalisé avec George
Pal, qui transpose à l'écran les contes des frères
Grimm, ainsi qu'un médiocre LES
MILLE ET UNE NUITS, réalisé en collaboration avec
Mario Bava.
Le récit se divise en deux parties bien distinctes, dont la césure correspond pratiquement au milieu du métrage. Le début du film nous présente les personnages et nous montre la façon dont ils découvrent l'entrée du réseau de cavernes. Surtout, une fois arrivé en Islande, les héros sont confrontés à quelques péripéties (enlèvement, assassinat mystérieux d'un de leurs concurrents...) et rencontrent des personnes de la région (Hans et Carla), qui les accompagneront dans leur expédition. Tous ces évènements, assez légers, nous font profiter du charme réel de l'équipe formée par les interprètes principaux (James Mason et Arlene Dahl en tête) et expose soigneusement la nature des rapports liant les personnages. Ainsi, un des enjeux du récit donne lieu à des échanges savoureux : la belle Carla parviendra-t-elle à faire changer les manières de vieil ours de Lindenbrock, voire à le faire renoncer à ses habitudes et ses préjugés de célibataire endurci ? Qui plus est, tout cela permet de ménager un petit suspens en jouant sur l'attente des spectateurs, légèrement impatients de voir enfin les fameuses aventures souterraines qu'on leur a promises.
Celles-ci occupent la seconde moitié du métrage, une fois que Lindenbrock et ses compagnons s'enfoncent dans les galeries souterraines. Dès lors, péripéties et découvertes, toujours plus spectaculaires, se succèdent à un bon rythme. Le voyage se fait à travers des cavernes de plus en plus vastes, aux décors de plus en plus étonnants, comme les concrétions salines, la forêt pétrifiée, le pont naturel, les champignons géants, la cité perdue... tous reconstitués sur de vastes plateaux. La vision de la mer intérieure, sous sa vaste voûte, fera frissonner ceux qui ont lu le livre de Verne, tant elle correspond immanquablement à l'image mentale que le lecteur s'en était faite. Les rebondissements sont variés (trahison, tempête, attaque de dinosaures, éruption volcanique...) et sont pour la plupart servis par des trucages de toute beauté.
VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE fonctionne avant tout grâce à deux éléments. D'abord, l'interprétation pleine d'humour de Mason en savant farfelu et arrogant, donne un entrain pétillant à tout le film, y compris dans sa première heure, quand l'action n'est pas d'une grande intensité. Le couple qu'il forme avec Arlene Dahl est plein d'un charme qui rend toujours leurs chamailleries savoureuses. Surtout, la présence de la superbe musique de Bernard Herrmann (PSYCHOSE d'Alfred Hitchcock, JASON ET LES ARGONAUTES de Don Chaffey...) apporte au voyage du professeur Lindenbrock une dimension mystérieuse, magique et majestueuse (les thèmes à la harpe, la découverte de l'Atlantide...). Malgré une première moitié peut-être un peu lente, VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE est donc un bon film d'aventures.
L'oeuvre est présentée ici dans son format scope d'origine. Les couleurs, la définition et la compression s'y montrent de très belle tenue. On peut toutefois se montrer un peu plus réservé sur l'état de la copie, qui laisse tout de même apparaître pas mal de (petits) points blancs, ainsi qu'un grain assez apparent dans certains plans truqués (ce qui n'est pas anormal) ou dans certaines scènes sombres, légèrement instables. Pour un film de 1959, c'est tout de même du très bon travail.
La bande-son anglaise est proposée dans un format Dolby 4.0 (gauche, centre, droite et arrière), tandis que les autres, en stéréo ou mono, sont techniquement moins satisfaisantes (criarde, manquant de grave...). On note toutefois que le doublage français est artistiquement très correct. On trouve bien entendu un sous-titrage français.
La section bonus est par contre décevante. VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE est réputé comme un classique du cinéma d'aventures. On aurait donc pu attendre d'un éditeur comme la Fox qu'il nous propose une édition faisant honneur à ce titre prestigieux de son catalogue. On doit se contenter d'une bande-annonce d'époque (en anglais non sous-titré) et d'une petite featurette (sans réel intérêt) sur la restauration du film. Dommage...
VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE est donc une bonne adaptation de Jules Verne. Porté par l'interprétation impeccable et ironique de Mason (pourtant ici dans un registre totalement opposé à la gravité du capitaine Nemo), ainsi que par une composition magistrale de Bernard Herrmann, il se regarde comme on feuillette un bon livre d'aventures, illustré de belles images colorées.