80 000 ans avant notre ère, la possession et le contrôle du feu sont
des enjeux déterminants pour la survie d'une tribu d'hommes préhistoriques.
Les Ulams perdent leur feu lorsque leur campement est sauvagement attaqué
par un groupe ennemi. Ne maîtrisant pas les techniques permettant de
le créer, réduits à se réfugier dans un marécage glacial, les Ulams
décident d'envoyer trois de leurs plus vaillants guerriers à la recherche
d'un nouveau brasier. Naoh, Amoukar et Gaw sont désignés pour mener
cette quête qui les entraînera à travers de multiples aventures et rencontres...
A l'évidence, la vie de l'homme préhistorique était riche en péripéties périlleuses. Qui plus est, la reconstitution des conditions de vie de nos lointains ancêtres à l'aide des moyens technologiquement aussi avancés que ceux du cinéma provoque un certain vertige et un violent dépaysement. Voici une petite sélection de quelques-uns des titres les plus fameux mettant en scène ce type personnage. Très tôt, les burlesques américains s'inspirent de ses aventures en les traitant sur un ton badin : en 1914, dans CHARLOT ROI, le petit vagabond interprété par Chaplin rêve qu'il vit à l'âge des cavernes. Plus tard, Buster Keaton signe TROIS AGES, une parodie du célèbre INTOLÉRANCE de Griffith, dont il fait se dérouler les épisodes de nos jours, à l'époque romaine et... en pleine préhistoire, bien sûr. Plus sérieusement, Hollywood proposera en 1940 TUMAK, FILS DE LA JUNGLE, dans lequel Victor Mature côtoie Lon Chaney Jr. : Tumak quitte sa tribu sauvage et découvre un peuple plus pacifique ; il s'éprend d'une des femmes de ce clan. La firme britannique Hammer, bien connue pour ses films d'épouvante gothique (LE CAUCHEMAR DE DRACULA...), réalise un remake de TUMAK, FILS DE LA JUNGLE en 1966 avec UN MILLION D'ANNEES AVANT JESUS CHRIST de Don Chaffey, bénéficiant d'effets spéciaux de Ray Harryhausen et, surtout, de la présence animale de Raquel Welsh, qui est aussitôt propulsée icône sexy du cinéma. Peu de temps après la Hammer fait réaliser par Val Guest QUAND LES DINOSAURES DOMINAIENT LE MONDE, un remake de UN MILLION D'ANNEES AVANT JESUS CHRIST, lui-même, rappelons-le, remake de TUMAK, FILS DE LA JUNGLE !
La parodie pointe à nouveau le bout de son nez avec L'HOMME DES CAVERNES de Carl Gottlieb, sorti en 1981, dans lequel Ringo Starr et Dennis Quaid sont des hommes préhistoriques pour rire. Le succès international du film de Jean-Jacques Annaud LAGUERRE DU FEU, sorti la même année, donne des idées aux concurrents : l'italien Umberto Lenzi signe IRONMASTER, LA GUERRE DU FER, dans lequel la maîtrise du métal remplace celle du feu. En 1986, l'américain Michael Chapman réalise LE CLAN DE LA CAVERNE DES OURS, où Darryl Hannah incarne une superbe femme préhistorique : l'affiche française signée par Druillet, comme pour LA GUERRE DU FEU, est très semblable à celle du film de Jean-Jacques Annaud, et propose même une accroche fort explicite : "50 000 ans après la guerre du feu" !
On ne rencontre pas seulement des hommes préhistoriques dans des aventures situées en pleine aube de l'humanité. Ainsi, on les croise au détour de quelques productions de science-fiction. Dans LE MONSTRE DES ABÎMES réalisé par Jack Arnold en 1958, un savant étudiant un monstre préhistorique régresse à l'état d'homme de Neanderthal. Juste après UN MILLION D'ANNEES AVANT JESUS CHRIST, la Hammer reste sur le créneau et fait tourner par Michael Carreras un fauché LES FEMMES PRÉHISTORIQUES avec les accessoires et décors du film de Chaffey : un aventurier se retrouve propulsé dans un passé préhistorique où s'affrontent des clans de femmes des cavernes. Dans ICEMAN, de Fred Schepisi, des explorateurs découvrent un homme des cavernes conservé dans la glace et encore vivant ; il va devoir affronter la dure réalité contemporaine de notre époque (enfin, de 1984). Il en va de même avec CALIFORNIA MAN, sorte de remake plus rock'n'roll et pour ados avec Brendan Fraser... On croise aussi des hommes préhistoriques dans des péplums, avec MACISTE CONTRE LES MONSTRES, signé en 1962 par Guido Malatesta, dans lequel le fameux héros romain, peu à cheval sur la chronologie historique, vient en aide à une tribu d'hommes préhistoriques ! Dans LE TREIZIÈME GUERRIER de John McTiernan, aux alentours de l'an 1000, un guerrier arabe et douze vikings combattent les cruels survivants d'une tribu préhistorique. Mais la plus célèbre représentation de l'homme des cavernes, c'est certainement celle qu'on trouve dans le superbe prologue de 2001, L'ODYSSEE DE L'ESPACE, au cours duquel des humains primitifs entrent en contact avec un mystérieux monolithe extra-terrestre... Si, après LA GUERRE DU FEU et ses suiveurs, les hommes des cavernes se sont fait rares, signalons néanmoins qu'on a annoncé comme un des possibles futurs projets du français Christophe Gans la transposition cinématographique des aventures préhistoriques de "RAHAN", alias "le fils des âges farouches", héros de bande-dessinée apparu initialement dans les pages de "Pif Gadget". Vous avez peut-être remarqué que les (nombreux) films animés mettant en scène des hommes préhistoriques n'ont pas été abordés ici : ils seront en fait présentés prochainement dans la critique de L'AGE DES GLACES !
Revenons donc à LA GUERRE DU FEU. Jean-Jacques Annaud commence d'abord sa carrière comme réalisateur de publicités, puis passe à la réalisation de longs métrages avec la fable anti-colonialiste LA VICTOIRE EN CHANTANT : c'est un échec commercial en France. Pourtant, il reçoit l'Oscar du meilleur film étranger ! On tenta alors une ressortie du film en France sous le titre NOIRS ET BLANCS EN COULEURS, mais toujours sans succès. Puis, Annaud tourne une comédie amère sur le monde du Football professionnel et les médias avec COUP DE TÊTE, interprété par Patrick Dewaere. Plus tôt Annaud a rencontré le scénariste Gérard Brach (complice de Polanski de 1964 à LUNES DE FIEL, en 1992), qui lui propose de tenter d'adapter le roman d'aventures préhistorique "LA GUERRE DU FEU", écrit par Joseph-Henri Rosny Aîné et publié en 1911. Brach et Annaud sont enthousiastes, mais leur projet ne trouve guère preneur en France, et c'est finalement aux USA qu'ils obtiendront, non sans mal, le soutien nécessaire pour monter ce projet très ambitieux.
LA GUERRE DU FEU innovait alors par ses parti-pris très affirmés. D'abord, afin d'assurer une impression d'authenticité sauvage, Annaud refuse tout tournage en studio : le film sera réalisé entièrement en décors naturels au Canada, au Zaïre et en Écosse. Ensuite, Brach et Annaud ont l'idée de créer un langage préhistorique entièrement fictif, qu'élabore Anthony Burgess (linguiste et écrivain : on, lui doit notamment le roman "ORANGE MÉCANIQUE" pour lequel il a inventé l'argot futuriste qu'y parlent Alex et ses "drougs"). Les dialogues ne sont pourtant pas sous-titrés, et restent donc mystérieux pour le spectateur, qui se retrouve dans la situation extrêmement dépaysante du voyageur propulsé dans un pays étranger dont il ne comprend pas la langue. Toujours dans le souci de donner une impression d'authenticité plus grande, on fait réaliser pour la tribu Ulam des maquillages néanderthaliens saisissants de vérité, qui valent à leur créateur Christopher Tucker un Oscar bien mérité. Annaud choisit ses acteurs parmi des comédiens de théâtre travaillant à New York, en recherchant notamment des traits physiques particuliers et de bonnes aptitudes athlétiques.
Naoh est interprété par Everett
McGill (qu'on retrouvera dans le rôle du brave Ed Hurley de la série
TV "TWIN
PEAKS" ou en maniaque dans LE
SOUS-SOL DE LA PEUR de Wes
Craven). Le plus connu des acteurs de ce casting est en tout cas
Ron Perlman, dont
le physique marqué était idéal pour jouer ce rôle : sa "gueule"
fameuse deviendra une des plus marquante du cinéma des années 1980-90,
et on le retrouvera dans de très nombreux films : LE NOM DE LA ROSE
d'Annaud,
bien sûr, mais aussi LA
CITE DES ENFANTS PERDUS et ALIEN
: RÉSURRECTION de Jeunet,
CRONOS
et BLADE
II de Guillermo
Del Toro...
On est donc frappé par l'impression d'authenticité qui se dégage du métrage. Pourtant, à bien y regarder, de nombreux détails clochent. Une des anomalies les plus "grosses" reste la découverte par Naoh, dans une cabane abandonnée, d'un pot en terre cuite, alors que les plus anciennes traces de céramique connue de l'histoire de l'humanité datent d'environ 8000 avant Jésus Christ, soit 72 000 ans après la date à laquelle est supposée se dérouler cette aventure. En fait, bien des éléments qu'on trouve chez la tribu Ivaka sont considérés comme très postérieurs à la période proposée : parures, os taillé en harpon, propulseurs... Il faut toutefois admettre qu'en termes d'archéologie préhistorique, les éléments disponibles sont si rares pour une période temporelle si vaste qu'on a affaire en fait à une science terriblement fragile, où les connaissances sont fort parcellaires, et susceptibles d'être bouleversées du jour au lendemain.
Plus qu'un document scientifique, Annaud signe avant tout un film d'aventures. Peu importe dès lors la précision de la reconstitution : il cherche avant tout à nous emmener dans un "ailleurs" hautement dépaysant, nous faisant ressentir avant tout la précarité de l'existence humaine au sein d'un environnement superbe et démesuré, mais aussi terriblement hostile (froid, marécages, fauves, tribus adverses...). Cette nature dangereuse va être la source de multiples aventures périlleuses que vont traverser les hommes des âges farouches. Toutefois, l'aventure, ce n'est pas seulement surmonter des obstacles, c'est aussi conquérir, à travers des rencontres positives. C'est alors qu'intervient l'élément le plus important de LA GUERRE DU FEU : la découverte. Pour Naoh, ce voyage initiatique vers le feu sera le temps des "premières fois" : découverte du rire, découverte du chagrin d'amour, découverte des gestes de tendresse, découverte du secret du feu... Ce sont là les moment-clés du film, les passages les plus touchants et les plus forts, portés par l'interprétation saisissante d'Everett McGill. Plus que la justesse de la reconstitution historique, c'est cette odyssée humaine qui intéresse le plus Jean-Jacques Annaud. Dès lors, le stade anormalement avancé de la tribu Ivaka est justifié, dramatiquement en tout cas, puisqu'elle nous permet d'assister au spectacle émouvant de l'évolution (dans tous les sens du terme !) de Naoh.
Pour cette belle édition en DVD, on a le droit à un master absolument superbe. La copie est d'une propreté irréprochable. La définition est d'un piqué saisissant, tandis que la gestion de la lumière, des contrastes et des couleurs est d'une subtilité époustouflante. Par exemple, les nombreux plans embrumés passent de façon assez stupéfiante. Néanmoins, le DVD ne triche pas non plus, et quelques-unes des scènes les plus sombres laissent paraître une assez importante granulation, ce qui donne un peu de fil à retordre la compression ainsi qu'une légère dominante verdâtre sur certains plans. Ne boudons pas notre plaisir: c'est tout de même superbe surtout pour un film qui a plus de vingt ans d'âge au compteur !
Pour le son, c'est aussi un lifting de grand luxe qui nous est proposé avec la bande-son, originellement mixée en dolby stereo, disponible ici en DTS ou en Dolby Digital 5.1. Rappelons que pour ce film, les problèmes de VO-VF et de sous-titrages ne se posent guère. Saluons au passage l'intelligente initiative qui consiste à proposer ce DVD avec une option Audiovision, destinée à permettre aux malvoyants et aux aveugles de suivre le film. Des menus "Audiovision" sont donc disponibles, qui indiquent, à l'aide d'une voix enregistrée, les options accessibles à partir de la télécommande. La vision du film en mode audiovision permet de le suivre avec une voix audio décrivant l'action se déroulant à l'écran. Cette option est hélas fort rare en DVD et on ne peut que saluer comme il se doit sa présence. Pour information voici les autres titres disponibles avec ce procédé en France : LA VIE EST UN LONG FLEUVE TRANQUILLE, TATIE DANIELLE et TANGUY de Chatiliez, LA VIE EST BELLE de Begnini et LE FABULEUX DESTIN D'AMELIE POULAIN de Jeunet. C'est peu !
En bonus, le DVD contenant le film permet de le regarder avec le story-board incrusté en bas de l'image, ce qui rend possible une comparaison instantanée entre ce découpage préparatoire et le résultat final. Ce story-board ne concerne ici que quelques scènes, et non l'intégralité du film. On peut aussi avoir accès à un commentaire audio de Jean-Jacques Annaud. Celui-ci est une grande réussite : intarissable, le réalisateur nous abreuve de détails pratiques et techniques sur l'élaboration du projet, ses collaborateurs, le tournage... C'est à peine si on trouve quelques dizaines de secondes de blanc dans ce long discours passionné, qui ne tombe pas une seule fois dans le travers de la paraphrase du film. Apparemment, Annaud a bien préparé son commentaire avant de l'enregistrer et le résultat s'en ressent positivement.
Le second DVD est consacré aux bonus. On y trouve d'abord des galeries très fournies, nous montrant, outre le matériel promo du film (les belles affiches de Druillet, photos d'exploitation américaines...), de très nombreuses photographies de tournage, de préparation des maquillages, de tests de la gestuelle, des costumes, de repérage (notamment pour des décors naturels en Islande qui n'ont finalement pas pu être utilisés)... On trouve ensuite une interview de plus de 30 minutes de Jean-Jacques Annaud : on entend guère l'interviewer, le moindre sujet abordé ayant le don de lancer le réalisateur dans de longs développements ou dans une longue série d'anecdotes. Une chose est sûre, on a affaire à un passionné ! On regrettera juste une toute petite redondance avec le commentaire audio (l'anecdote de la charge des mammouths), mais c'est bien tout. On a encore accès à quelques filmographies sélectives des principaux acteurs, de Jean-Jacques Annaud et du compositeur Philippe Sarde (ainsi qu'à quelques citations de ce dernier au sujet de LA GUERRE DU FEU sous forme d'un texte défilant). On peut consulter une bande-annonce en format scope (assez fatiguée, hélas), ainsi que le story-board intégral de la rencontre avec les deux fauves. Enfin, on trouve un documentaire d'époque de presque 30 minutes, réalisé pour Antenne 2, contenant de nombreuses images de tournage, de la préparation du film, ainsi que des interviews d'Annaud, Burgess...
LA GUERRE DU FEU,
grâce à ses parti-pris (choix des décors naturels, acteurs peu connus,
crudité de la violence et de la représentation de la sexualité, recherche
de l'authenticité et du dépaysement...) supporte très bien le poids
des ans. Certes, tous les passages ne sont pas égaux, mais cette oeuvre
reste, à mon sens, la référence en matière de film d'aventures préhistoriques.
Cette édition est en tout cas assez irréprochable, notamment grâce à
des qualités techniques (image notamment) difficiles à dépasser en l'état
actuel de la technologie du DVD.