Le père Loomis (Donald
Pleasance) découvre enfermé dans la crypte d'une vieille
église ce qui semble être le fils du Mal absolu, Satan,
représenté par un liquide verdâtre emprisonné
dans un cylindre hermétique. Suite à la mort du prêtre,
dernier gardien de cette crypte maudite, c'est au père Loomis
de veiller sur le container. Il convoque alors dans l'église
un ami physicien, le professeur Birack (Victor
Wong) qui, aidé par une poignée d'étudiants
et de professeurs, va tenter de percer les mystères du liquide
satanique. Alors que chacun se met au travail, des vagabonds encerclent
le lieu saint, puis les insectes grouillent aux fenêtres. Le Mal
est en train de se réveiller.
Nous sommes en 1987. John Carpenter, notre bien aimé desperado du fantastique, peine à sortir de l'échec commercial des AVENTURES DE JACK BURTON. Gros budget pour l'époque, le film a essuyé un revers critique et public sévère (et injuste) fermant d'un coup les nombreuses portes hollywoodiennes que STARMAN venait tout juste de lui ouvrir. Carpenter est donc contraint de revenir aux petits budgets afin de se refaire une santé artistique et de montrer à nouveau patte blanche aux producteurs en leur prouvant qu'il est encore capable de récolter un peu d'argent. Il signe alors avec Alive Films un contrat pour trois films, le très faible budget alloué (trois millions de dollars par titre) étant compensé par une totale liberté artistique. PRINCE OF DARKNESS est donc le premier film né de cette alliance, suivi par THEY LIVE en 1988. Le contrat sera rompu la même année, et le troisième film pour Alive ne verra donc pas le jour.
PRINCE OF DARKNESS n'est pourtant pas le petit titre ramasse miettes que ses origines voudraient bien faire de lui. Ce n'est pas parce qu'il doit faire marche arrière en terme d'infrastructure de production que Carpenter régresse en terme de cinéaste. Bien au contraire, c'est lorsqu'il a tout à prouver qu'il se montre vraiment très bon. PRINCE OF DARKNESS, tout comme THEY LIVE mais dans un autre genre, est donc l'un des pics de la filmographie de Carpenter. Une uvre épurée, adulte, brutale et sans concession, venant par là-même s'insérer entre THE THING et L'ANTRE DE LA FOLIE comme le second volet d'un formidable et désespérant triptyque sur l'Apocalypse.
PRINCE OF DARKNESS est une plongée asphyxiante dans les méandres de la terreur et de l'indicible cher à Lovecraft. Tournant le dos aux conventions des films du genre, Carpenter gomme de son film les scènes chocs (pas d'effets spéciaux superflus), les ressorts psychologiques mille fois vus (le groupe de survivants ne souffrira à aucun moment de dissensions inhérentes aux poncifs du genre), ou les personnages stéréotypés (il n'y a pas de héros dans le film). Pour la réussite de son uvre, le cinéaste va tout miser sur un seul facteur : l'ambiance. Une ambiance chaque minute plus pesante et oppressante pour le spectateur mais aussi pour les personnages qui se voient ainsi rapprocher un peu plus d'un terrible destin (excellente interprétation à ce titre du regretté Donald Pleasance qui, après HALLOWEEN et NEW YORK 1997, trouve dans ce rôle de prêtre sa dernière collaboration avec Carpenter avant sa mort en 1995).
Que tout le monde soit donc
rassuré, car même s'il met en scène des étudiants,
le film n'a bien entendu rien à voir avec un quelconque slasher.
Les héros du film sont de jeunes adultes en cours d'achèvement
de parcours scientifique ultra poussé. Cela sert avant tout à
Carpenter
à associer de manière très astucieuse les théories
de la physique quantique (où toute réalité est
subordonnée à la subjectivité de l'observateur,
pour ceux que cela interpelle) aux ressorts fantastiques et religieux
du titre afin d'en trouver une justification concrète. Fort de
ce concept et de ses passionnants aboutissements (les nombreux dialogues
entre Birack et Loomis, éternel débat entre la science
et la religion), Carpenter
nous sert une incroyable chair de poule en nous livrant un contexte
scientifique solide et inédit afin de consolider comme jamais
la "réalité" de son fantastique.
Mais si PRINCE OF DARKNESS est autant efficace qu'effrayant, c'est aussi parce que Carpenter ne laisse absolument aucun répit ni aucune chance à l'ensemble de ses personnages. Tout bon film estampillé "trouille" narre la progression d'une invasion extérieure (ex : LA NUIT DES MORTS-VIVANTS), ou bien intérieure (ex : THE THING). Pour frapper fort, PRINCE OF DARKNESS prend le pari de combiner ces deux facteurs. Aussi, l'église est lieu de siège par les lieutenants du Mal (les sans-abris menés par Alice Cooper), mais c'est également l'esprit humain qui est menacé contre les possessions démoniaques du liquide maléfique. Tout dans le film est ainsi danger : l'espace bien sûr mais aussi le temps (une séquence vidéo nous montre d'emblée l'issue de l'histoire), la conscience (le liquide investit l'esprit), le rêve (qui sert de vecteur aux messages vidéos), et enfin l'irréel (le monde obscur se cachant de l'autre côté du miroir).
Le maigre budget du film ne se fait à aucun moment ressentir, et ce grâce à une mise en scène carrée et hyper efficace (tirant ainsi partie du moindre dollar) et à l'excellente photographie de Gary B. Kibbe. Le tout est servi par une progression narrative remarquable, peut-être l'un des meilleurs travaux de Carpenter à ce titre (il est à noter que ce dernier signe le scénario sous le pseudonyme de Martin Quatermass, en référence au personnage du professeur Quatermass crée par Nigel Kneale pour les besoins d'une série télé des années 50, avant d'être adapté dans la foulée au cinéma). En calquant sa structure sur le schéma des écrits de Lovecraft, Carpenter déroule petit à petit son scénario comme une montée lente et inexorable vers un terrifiant final : l'émergence du Mal absolu, le parfait anti-Dieu, extirpant sa masse d'un miroir devant une poignée de survivants qui devront décider immédiatement de leur propre sacrifice. Sans aucun doute l'une des scènes les plus intenses de toute l'uvre de Carpenter.
L'édition américaine de PRINCE OF DARKNESS a pris l'excellente initiative d'être au format, soit en 2.35:1. Connaissant la dévotion de Carpenter au scope (adopté par tous ses films de cinéma), cela méritait d'être signalé. La copie du film est de bonne tenue, oui mais Si peu de défauts sont à signaler (quelques petites broutilles de pellicules), on peut regretter cependant l'obscurité de l'image et une trop grande profondeur dans les noirs. Particulièrement gênant l'espace de quelques plans. Qui dit Zone 1 dit forcément NTSC, donc il faudra s'attendre à des couleurs très vives, voire un peu saturées par moments. Mais pas d'inquiétude, le résultat est largement à la hauteur et reste le meilleur moyen de revoir le film. Au niveau de l'audio, une piste stéréo surround originale de bonne facture répond présente (elle a de plus le mérite de nous faire oublier le scandaleux doublage français du film). Il n'en faut pas forcément plus. Par contre, question bonus, il faudra se faire à l'idée que l'édition n'en propose absolument aucun.
Perle noire de l'un des plus grands réalisateurs du genre, voire chef-d'uvre indiscutable ou classique oppressant pour certains, PRINCE OF DARKNESS est assurément l'un des meilleurs films du cinéaste. Au plus grand mépris des modes (comme à son habitude) et avec des cacahuètes, Carpenter ressuscite un vieux concept (le Mal arrive sur terre) sublimé par un contexte scientifique passionnant et une approche de la terreur directement inspirée de Lovecraft. Pour rendre justice à ce monument, on est en droit d'exiger une édition irréprochable. Même si l'édition Zone 1 est de bonne facture, une sensation d'inachevé nous envahit cependant, la faute à une copie un peu trop enterrée et à une absence de bonus. Est-ce que l'édition française sans cesse annoncée, sans cesse repoussée, saura combler pleinement nos attentes ?