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Critique du film
MISERY 1990

 

Le succès littéraire de de Stephen King commence dès ses premiers romans. Et les premiers métrages qui les adaptent connaissent aussi une grande renommée auprès d'un large public, dès la fin des années soixante-dix et le début des années quatre-vingts. Avec des titres comme CARRIE de Brian De Palma, SHINING de Stanley Kubrick, CHRISTINE de John Carpenter ou DEAD ZONE de David Cronenberg.

Par la suite, l'écrivain reste très populaire, mais les adaptations de ses livres marquent le pas. Dino De Laurentiis, producteur de DEAD ZONE, récidive avec CHARLIE en 1984 qui est un échec public et critique cinglant. A court de romans de Stephen King à adapter, De Laurentiis se rabat sur ses nouvelles pour les étirer en longs-métrages (PEUR BLEUE, MAXIMUM OVERDRIVE) ou les compiler en anthologies (CAT'S EYE). Ces films mineurs rencontrent un écho moindre.

Un an avant MISERY, le réussi SIMETIERRE renverse quand même la vapeur, réconciliant le public des cinémas américains avec Stephen King. Néanmoins, à la même époque, l'adaptation d'un roman majeur comme ÇA ne trouve pas sa place sur le grand écran et est produite pour le petit.

Entre-temps, une adaptation de Stephen King sort en 1986 : STAND BY ME de Rob Reiner, chronique d'une journée passée entre jeunes adolescents dans l'Amérique des années cinquante. Adaptation de la nouvelle «Le corps», ce film s'éloigne nettement du cinéma d'horreur.

Stephen King et les créateurs de STAND BY ME se sont mis d'accord pour que le nom de l'écrivain ne soit pas mis en avant dans la promotion du film. Ils craignent que le public pense avoir affaire à un film d'horreur quelconque et s'en détourne. La tactique s'avère payante, STAND BY ME rencontre un beau succès, ce qui conforte Stephen King dans l'idée qu'il peut être apprécié au cinéma dans des styles autres que l'épouvante classique.

En 1987, il publie «Misery», ouvrage montrant un auteur à succès séquestré et persécuté par une de ses fans. Écrivain le plus lu au monde, Stephen King y exorcise les affres d'une célébrité planétaire et le rapport difficile à un lectorat aux demandes artistiquement limitantes. «Misery» est un nouveau succès de librairie et attire l'attention du monde du cinéma.

Mais Stephen King n'accepte d'en céder les droits d'adaptation que si Rob Reiner produit ou réalise le film. Le réalisateur de STAND BY ME accepte alors de le produire dans le cadre de sa compagnie indépendante Castle Rock, puis en fin de compte, le met en scène.

Pour signer la transposition, il recrute un scénariste et écrivain renommé : William Goldman. Auteur d'ouvrages comme «Marathon Man» ou «The Princess Bride», il est aussi scénariste de succès du Nouvel Hollywood comme BUTCH CASSIDY ET LE KID ou LES HOMMES DU PRESIDENT (films qui lui valent ses deux Oscar). Il a aussi œuvré sur des films plus spécifiquement fantastiques comme les angoissants LES FEMMES DE STEPFORD d'après Ira Levin, ou MAGIC de Richard Attenborough.

Entre STAND BY ME et MISERY, le réalisateur Rob Reiner connaît deux succès critiques et publics avec PRINCESS BRIDE (adapté de son propre roman par William Goldman), mémorable conte de fée ironique, et QUAND HARRY RENCONTRE SALLY, comédie romantique aux forts échos de Woody Allen. Rob Reiner n'a donc pas la filmographie classique d'un metteur en scène de films d'horreur.

Pour MISERY, ce pedigree lui permet d'attirer dans ses rets des acteurs prestigieux comme James Caan (LE PARRAIN, ROLLERBALL) pour le rôle de l'écrivain Paul Sheldon, ou Lauren Bacall, Star incontestable de l'âge d'or du Film Noir (LE PORT DE L'ANGOISSE, LE GRAND SOMMEIL). Pour jouer Annie Wilkes, la fan dérangée de Paul Sheldon, Reiner choisit Kathy Bates, actrice de théâtre renommée, mais qui n'a pas encore percé au cinéma.

Paul Sheldon, écrivain célèbre, a un accident de voiture en pleine campagne. Il est recueilli par une de ses admiratrices qui lui propose de le soigner en attendant les secours. Elle l'encourage à écrire. Paul se rend vite compte que son admiratrice compte le séquestrer...

MISERY est donc l'adaptation d'un roman de Stephen King sur les fans psychopathes. Sujet déjà traité dans le TÉNÈBRES de Dario Argento par exemple, dans lequel un écrivain américain en visite à Rome voit les meurtres de son thriller inspirer ceux d'un vrai tueur en série.

MISERY fonctionne sur le principe d'un huis-clos, montrant deux personnages, une proie et une victime, enfermés dans un espace clos pour un long moment de menace et de danger. Ce style a déjà donné des classiques dans les décennies précédentes, avec en particulier QU'EST-IL ARRIVÉ À BABY JANE ? De Robert Aldrich : Bette Davis y incarne Baby Jane, une ex actrice-enfant décatie, qui persécute sa sœur paraplégique dans leur villa hollywoodienne. Traitant de thèmes comme la jalousie et la célébrité, il s'agit d'une influence évidente de MISERY.

Paul Sheldon, les deux jambes brisées, est séquestré dans le maison de "sa plus grande admiratrice". Mais l'histoire est surtout pour King l'occasion de peindre un portrait méchant et amer des fans : Annie est bigote, inculte, dénuée d'esprit critique, maniaque. Elle tire le talent de l'écrivain vers le bas en l'empêchant d'évoluer et en refusant la nouveauté. MISERY est donc tout le contraire d'une lettre d'amour de Stephen King à ses fans !

Le rôle de cette folle est remarquablement interprété par Kathy Bates. James Caan dans celui de Sheldon est aussi très bon. Ils forment un duo qui fonctionne très bien. La réalisation de Rob Reiner est la plupart du temps subtile. Certains moments sont vraiment très forts (les tentatives d'évasion de Sheldon, le supplice du sabot).

Mais le personnage d'Annie est tout de même caricatural. Si le portrait ridicule et pathétique de la fan est bien rendu, son côté folle et "Serial Killer" est moins convaincant. Nous regrettons une réalisation trop sage. Les scènes de suspense, si elles sont parfois réussies, manquent de folie et d'originalité. Certains rebondissements sont tirés par les cheveux (Annie qui renverse son verre drogué par exemple) et le final déçoit.

Pourtant, MISERY se suit agréablement grâce aux deux excellents acteurs et à une bonne histoire. Bien que son huis-clos ne soit pas innovant, le personnage d'Annie est original, et ses manies de fan sont rendues avec intelligence.

MISERY rencontre à sa sortie un beau succès commercial et critique. Son accueil dépasse les limites des seuls amateurs de films d'horreur. MISERY vaut même un Oscar de la meilleure actrice à Kathy Bates, révélée par ce métrage.

Il faut dire que MISERY s'éloigne de l'horreur fantastique américaine des années soixante-dix et quatre-vingts, laquelle est alors à l'agonie, coincée entre une censure inflexible et un manque d'inspiration trahi par la multiplication de suites médiocres.

MISERY se place plutôt dans le genre des tueurs maniaques réalistes et des thrillers, dans la descendance de métrages comme QU'EST-IL ARRIVÉ À BABY JANE ? où le grotesque et le monstrueux plongent leurs racines dans l'humain plutôt que dans le surnaturel. Prolongeant une tendance déjà amorcée par des titres comme HITCHER ou CALME BLANC, MISERY annonce l'explosion des films de Serial Killer qui émerge l'année suivante avec LE SILENCE DES AGNEAUX de Jonathan Demme.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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