CALME BLANC est l'adaptation d'un roman de Charles Williams qu'Orson Welles avait déjà tenté de porter à l'écran à la fin des années soixante. Mais le tournage s'était interrompu faute d'argent et Welles avait définitivement abandonné le projet suite à la mort d'un des acteurs au début des années soixante-dix.
Dans les années quatre-vingts, le réalisateur australien Phillip Noyce et ses producteurs convainquent la veuve d'Orson Welles, qui détient les droits cinématographiques du livre, de les laisser tourner CALME BLANC.
Phillip Noyce n'est alors plus un débutant. Il a déjà fait plusieurs films en Australie, dont NEWSFRONT de 1978 qui lui a valu un prix du meilleur réalisateur décerné par l'Australian Film Institute.
CALME BLANC est notamment produit par George Miller, réalisateur australien lui aussi, devenu internationalement célèbre grâce à la trilogie MAD MAX, MAD MAX 2 et MAD MAX AU-DELÀ DU DÔME DU TONNERRE. L'adaptation du roman de Charles Williams est signée par le scénariste Terry Hayes (MAD MAX 2, FROM HELL). La photographie est assurée par le chef-opérateur Dean Semler (oscarisé un an après CALME BLANC pour DANSE AVEC LES LOUPS de Kevin Costner).
C'est aussi une des premières compositions pour le cinéma de Graeme Revell (THE CROW, PITCH BLACK), connu auparavant pour avoir appartenu au groupe de musique industrielle SPK.
Parmi les acteurs principaux, Sam Neill (LA MALÉDICTION FINALE, POSSESSION) est déjà un comédien de réputation internationale. Par contre, Nicole Kidman est alors peu connue hors d'Australie. Elle est repérée par Phillip Noyce dans VIETNAM, une mini-série TV produite par George Miller. De même, Billy Zane («TWIN PEAKS», TITANIC) est alors cantonné aux seconds rôles et aux productions télévisées.
CALME BLANC s'ouvre sur un prologue en forme de flash-back d'une grande intensité. Il présente sans détour la tragédie familiale vécue par Rae et John Ingram. Leur jeune fils est mort dans un terrible accident de voiture, alors que sa mère était au volant.
L'événement nous est montré avec une crudité spectaculaire, d'autant plus pénible que le spectateur est prévenu qu'il va avoir lieu. En effet, les séquences du flash-back sont montées à rebours, et nous voyons John apprendre que sa famille a eu un accident avant de voir l'accident lui-même.
En quelques minutes, nous sommes familiarisés avec le drame profond vécu par les personnages et ressentons de la sympathie pour eux. John et Rae tentent de se reconstruire en partant pour une longue croisière en voilier, seuls en mer.
Leur moment de solitude est brisé par l'arrivée d'un étrange naufragé : Hugie Warriner. Il dit avoir fui en barque un yacht en perdition (l'Orpheus) à bord duquel les autres passagers ont péri d'une intoxication alimentaire foudroyante. John est sceptique. Il enferme Hughie dans une cabine et part explorer le yacht à la dérive. En fait, Hughie est un dangereux psychopathe. Il s'échappe de la cabine et, après avoir assommé Rae, il fuit avec le voilier des Ingram, laissant John seul à bord de l'Orpheus, lequel est en train de couler...
Dès lors, le récit se déploie en deux suspenses simultanés. D'une part, John se retrouve à bord du yacht en perdition, dont le moteur est noyé et dont la coque prend l'eau. Marin aguerri, il relance les fonctions principales du navire et découvre que les passagers de l'Orpheus ont été massacrés suite à de violentes mésententes. Il comprend que Hughie est dangereux. A l'aide d'une radio fonctionnant tant bien que mal, il communique durant de courts moments avec Rae, restée à bord du voilier avec le psychopathe.
L'autre partie du suspense confronte la fragile Rae et le déséquilibré Hughie. Nous retrouvons la situation classique du huis-clos dans lequel des victimes impuissantes, qui pourraient être vous ou moi, sont harcelées et persécutées par un imprévisible sadique. Elles participent à un éprouvant jeu du chat et de la souris pour rester en vie le plus longtemps possible.
Tout cela rappelle de nombreux autres Films Noirs et thrillers. Dès les années quarante, le chef-d’œuvre KEY LARGO de John Huston montre Humphrey Bogart et Lauren Bacall malmenés par une bande de gangsters commandée par Edward G. Robinson. Toujours avec Bogart, nous avons ensuite LA MAISON DES OTAGES de William Wyler : des évadés font irruption dans une maison et prennent en otage la famille qui y vit. Plus tard, dans QU'EST-IL ARRIVÉ À BABY JANE ?, une vieille fille aigrie persécute sa sœur paralysée. SEULE DANS LA NUIT de Terence Young montre une aveugle harcelée par un gangster sadique.
Peu avant CALME BLANC, HITCHER de Robert Harmon met en scène un jeune homme chargé de convoyer une voiture à travers les USA : il est attaqué par un auto-stoppeur dément et très persévérant. Plus tard, dans MISERY de Rob Reiner, un écrivain sera séquestré et martyrisé par une de ses fans. Tandis que FUNNY GAMES de Michael Haneke verra deux jeunes maniaques s'introduire dans la maison d'une famille bourgeoise à laquelle ils vont faire vivre un enfer.
Il s'agit donc d'une situation classique que Noyce transcende par sa réalisation, en jouant sur le contraste entre les espaces infinis de l'océan et les cabines et coursives confinées des bateaux, génératrices d'une angoisse claustrophobe. CALME BLANC fonctionne aussi grâce à un script efficace, intense dans sa cruauté, qui ne laisse que peu de répit au spectateur.
Les interprètes sont remarquables. Sam Neill et Nicole Kidman sont excellents et forment, malgré leur différence d'âge, un couple crédible. Billy Zane évoque un Marlon Brando juvénile pris d'intermittentes crises de cabotinage. Nous lui pardonnons néanmoins. Son personnage n'est-il pas censé être fou ?
La dernière demi-heure est d'une très grande puissance et jongle entre plusieurs suspenses parallèles (l'évasion de Hughie ; Rae à la recherche de John ; John luttant pour survivre sur l'Orpheus). Elle est soutenue par l'envoûtante musique de Graeme Revell (dans cette partie du métrage, il s'agit de longues variations d'un morceau de l'album de SPK «Zamia Lehmanni» sorti peu avant).
CALME BLANC est donc un très bon thriller. Fonctionnant sur un schéma classique, il se distingue par une interprétation de haut niveau et une excellente exploitation de son singulier contexte maritime. CALME BLANC fait une carrière modeste en France, mais il est très remarqué dans le monde, notamment aux USA où il lance les carrières hollywoodiennes du compositeur Graeme Revell, ainsi que des acteurs Nicole Kidman et Billy Zane. Il permet à Phillip Noyce de devenir un réalisateur de thrillers à Hollywood (avec JEUX DE GUERRE et DANGER IMMÉDIAT interprétés par Harrison Ford ou SLIVER avec Sharon Stone).