Header Critique : LE SIXIEME SENS (MANHUNTER)

Critique du film
LE SIXIÈME SENS 1986

MANHUNTER 

Avec LA FORTERESSE NOIRE en 1983, Michael Mann donne une vision stylisée et ambitieuse du mythe de Dracula. Mais le tournage est perturbé par le décès de Wally Veevers, responsable des effets visuels. À sa sortie, le film n'est pas un succès. Mann rebondit en collaborant à l'élaboration de «DEUX FLICS À MIAMI», une des séries télévisées les plus populaires des années quatre-vingts.

Nous le retrouvons ensuite à la réalisation du long métrage LE SIXIÈME SENS qui sort en 1986. Il s'agit de l'adaptation du roman «Dragon rouge», premier livre de la tétralogie rédigée par Thomas Harris dédiée aux serial killers : les suivants seront «Le silence des agneaux» (adapté au cinéma avec un énorme succès en 1989 par Jonathan Demme), «Hannibal» (porté à l'écran par Ridley Scott en 2001) et «Hannibal Lecter : les origines du mal» (transposé en 2007 par Peter Webber). Ces trois romans mettent en scène le tueur cannibale Hannibal Lecter, appelé à devenir une figure mythique du cinéma d'épouvante suite au triomphe du film LE SILENCE DES AGNEAUX.

Mann a lui-même l'idée, dès 1983, d'adapter «Dragon rouge». Il obtient le soutien de Dino De Laurentiis. Ce producteur italien majeur s'est installé au début des années soixante-dix aux USA. Au cours de la décennie suivante, il construit ses propres locaux de tournage et devient son propre distributeur aux USA, créant ainsi un studio indépendant autonome.

Le rôle de l'enquêteur Will Graham est tenu par William L. Petersen. Apparu initialement au cinéma dans LE SOLITAIRE (premier film pour le grand écran de Michael Mann), nous le retrouvons en tête de distribution de POLICE FÉDÉRALE LOS ANGELES en 1985, polar violent de William Friedkin. Mais ce film et LE SIXIÈME SENS seront des échecs commerciaux et cet acteur se retrouvera relégué ensuite aux seconds rôles ou à la télévision.

Son épouse est interprétée par Kim Greist qu'on vient de découvrir dans BRAZIL de Terry Gilliam. Hannibal "Lecktor", comme il est appelé dans ce film, est incarné par le comédien anglais Brian Cox, alors essentiellement connu comme comédien de théâtre.

Will Graham, ancien agent du FBI, s'est retiré après l'éprouvante traque qu'il a menée pour capturer le tueur Hannibal Lecktor. Mais une nouvelle affaire de serial killer répand la terreur aux États-unis. Deux familles ont été massacrées par un dangereux psychopathe. Le FBI fait appel à son ancien limier. Will, malgré les réticences de son entourage, accepte l'affaire.

Sa façon de faire est particulière. Plutôt que de privilégier le recoupement d'indices matériels, il favorise l'étude minutieuse de l'esprit du  tueur afin d'anticiper ses réactions. Ce procédé est efficace, mais il s'avère dangereux pour la santé mentale du policier qui arpente ainsi les méandres de cerveaux malades.

Le personnage d'Hannibal, rendu si populaire par LE SILENCE DES AGNEAUX, ne tient ici qu'un rôle secondaire. Prétextant une recherche d'informations, Will rend visite à son ennemi juré, captif dans un établissement de très haute sécurité. Cela afin de reprendre contact avec l'univers dément des serial killers. Mais Hannibal comprend la manœuvre et profite de l'opportunité pour tenter de se venger de Will.

LE SIXIÈME SENS se partage en deux parties distinctes. La première heure présente une enquête policière. La personnalité du tueur est révélée par touches, en fonction des informations et déductions laborieuses du FBI. Ce maniaque, le "Dragon Rouge" comme il se baptise lui-même en référence à une toile symboliste de William Blake, nous apparaît un personnage abstrait et inquiétant.

La méthode de Will Graham est décrite avec minutie. Le procédé de ce policier consiste en l'analyse du fonctionnement mental du tueur dément. Forcé de s'impliquer complètement dans ce processus empathique risqué (qui l'a déjà mené à un séjour en clinique psychiatrique après la traque d'Hannibal), il se détache de ses proches.

Will ne se lance pas par perversité ou goût du macabre dans ce voyage au bout des ténèbres. Il veut protéger des familles de la folie meurtrière du Dragon Rouge. William L. Petersen interprète de façon époustouflante ce policier touchant et fragile, écrasé par la terrible responsabilité lui incombant.

La seconde partie du métrage renverse la perspective. Nous ne suivons plus le point de vue de l'agent du FBI, mais celui de Dragon Rouge, Francis Dollarhyde de son vrai nom. La césure n'a rien d'arbitraire. Si nous passons du policier au tueur, c'est en partie parce que Graham commence à appréhender avec précision l'esprit de Dollarhyde.

La folie de ce serial killer trouve ses origines dans les comportements sociaux violents auxquels il a été exposé dans son enfance. Battu par des membres de sa famille, son attitude trahit une soif de reconnaissance et d'attention. Le masque théâtral et grandiloquent du "Dragon Rouge" cache un homme blessé, infantile, hanté par l'image d'un bonheur familial qui lui a été refusé.

LE SIXIÈME SENS lui offre même une chance de rédemption, au cours de la belle rencontre avec l'aveugle qui sait, un temps, dompter le Dragon Rouge. Pourtant, la suite des événements laisse entendre que lorsqu'un homme est démoli, détruit, au point de devenir un dangereux psychopathe, il n'est plus récupérable.

LE SIXIÈME SENS porte sur le thème du serial killer, un regard humain, sensible, d'une subtilité qui nous entraîne bien loin de l'approche plus grossière et manichéenne que nous trouverons, quelques années plus tard, dans SEVEN ou même LE SILENCE DES AGNEAUX.

LE SIXIÈME SENS est aussi une mise en images somptueuse et d'une grande richesse. Contrairement au parti-pris réaliste de Jonathan Demme pour LE SILENCE DES AGNEAUX, Mann opte pour une stylisation qui a parfois été jugée outrancière, notamment par la critique de l'époque. Ainsi, comme Fritz Lang ou Dario Argento, Mann noue dans son travail des liens étroits entre architecture et cinéma.

Dans le sens de cette stylisation, il est peu vraisemblable que l'asile où est enfermé un criminel comme Hannibal soit un aussi superbe bâtiment que celui que nous voyons dans LE SIXIÈME SENS. De même, la villa du "Dragon Rouge" est une belle demeure d'architecte... ce qui n'est pas très logique non plus.

Le tout est encore mis en valeur par la belle photographie de l'italien Dante Spinotti : depuis, il a notamment travaillé sur tous les films réalisés par Michael Mann jusqu'à RÉVÉLATIONS.

La mise en scène du SIXIÈME SENS se construit autour d'un univers purement visuel. Ce qui se justifie, étant donné que le "Dragon Rouge" est obsédé par les images, notamment par les films présentant des familles unies, heureuses et épanouies. Le regard est un enjeu fondamental. Nous devinons Dollarhyde traumatisé par le regard porté sur lui par les autres ainsi que par le regard qu'il se porte sur lui-même. Le grain de sable qui grippe cette machine à tuer est une femme aveugle. Dans les rapports qu'il entretient avec elle, le regard et l'image sociale ne sont plus des obstacles.

Toujours dans ce jeu sur le regard et l'image, Mann décrit avec minutie, lors de l'analyse par le FBI du message envoyé par "Dragon Rouge" à Lecktor, la recherche scientifique d'un indice. Celle-ci consiste à révéler les éléments cachés derrière la surface apparente des choses à l'aide de moyens technologiques tels que les rayons infra-rouges.

Certes, LE SIXIÈME SENS souffre de légers moments de statisme et de petites longueurs. De même, certains éléments du commentaire musicale sont médiocres et déplacées (notamment les chansons, qui affaiblissent parfois les passages qu'elles illustrent).

Il n'en reste pas moins que LE SIXIÈME SENS est un thriller de grande classe. Nous apprécions particulièrement la subtilité et l'humanité avec laquelle il approche le thème des serial killers, traité souvent avec plus de balourdise.

LE SIXIÈME SENS connaît à sa sortie un échec commercial, le second à la suite pour Michael Mann après LA FORTERESSE NOIRE. Mann se consacre alors essentiellement à la télévision jusqu'au début des années quatre-vingt-dix, où il fait son grand retour avec une adaptation du DERNIER DES MOHICANS, suivie des thrillers HEAT et RÉVÉLATIONS qui lui valent enfin une grande estime critique et publique.

Suite aux succès du SILENCE DES AGNEAUX et HANNIBAL, Brett Ratner réalise une nouvelle adaptation du même roman, «Dragon Rouge», avec DRAGON ROUGE en 2002, dans lequel Hannibal Lecter est interprété cette fois par Anthony Hopkins.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
50 ans
1 news
667 critiques Film & Vidéo
1 critiques Livres
RECHERCHE
Mon compte
Se connecter

S'inscrire

Notes des lecteurs
Votez pour ce film
Vous n'êtes pas connecté !
8,27
15 votes
Ma note : -
Autres critiques