Header Critique : LES GRIFFES DE LA NUIT (A NIGHTMARE ON ELM STREET)

Critique du film
LES GRIFFES DE LA NUIT 1984

A NIGHTMARE ON ELM STREET 

Dans une banlieue américaine, quatre adolescents font des cauchemars où apparaît le même personnage menaçant : un homme au visage brûlé, portant un gant à quatre lames. Un des adolescents est assassiné...

Wes Craven se fait remarquer dans le domaine du film d'horreur indépendant au cours des années soixante-dix, avec les succès influents de LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE et de LA COLLINE A DES YEUX. Sa carrière se complique ensuite, oscillant entre des téléfilms passables (L'ÉTÉ DE LA PEUR et INVITATION POUR L'ENFER) et des films peu réussis comme LA FERME DE LA TERREUR ou LA COLLINE A DES YEUX 2. Seul émerge le sympathique LA CRÉATURE DU MARAIS de 1982, transposition des aventures du personnage DC Comics interprétée par Adrienne Barbeau et Louis Jourdan.

Craven convainc ensuite Robert Shaye de produire avec sa compagnie New Line le script des GRIFFES DE LA NUIT. Il s'agit d'un scénario inspiré à Craven par son intérêt pour les cauchemars. A un moment de sa vie, il les relatait par écrit à son réveil et il déclarera que son inspiration pour ses films fantastiques lui vient de ses propres rêves.

Le budget des GRIFFES DE LA NUIT est modeste pour un film à effets spéciaux (1,8 millions de dollars) et son tournage est rapide. Si bien que Craven fait appel à son ami Sean S. Cunningham (producteur de LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE et réalisateur de VENDREDI 13) pour tourner une des scènes oniriques avec une seconde équipe.

Au casting, nous reconnaissons quelques habitués des petites productions horrifiques : John Saxon (LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP de Mario Bava, TÉNÈBRES de Dario Argento) et, dans le rôle de Freddy, Robert Englund (LE CROCODILE DE LA MORT de Tobe Hooper, la série TV «V»).

Le rôle principal est tenu par Heather Langenkamp, qui n'a auparavant tourné que pour la télévision et dans deux films récents de Francis Ford Coppola : OUTSIDERS et RUSTY JAMES. A ses côtés débute Johnny Depp (EDWARD AUX MAINS D'ARGENT, LES PIRATES DES CARAÏBES : LA MALÉDICTION DU BLACK PEARL), lequel a jusqu'alors seulement fait de la télévision. Il ne devient véritablement connu qu'à partir de la série TV «21 JUMP STREET» en 1987.

Suite aux succès de LA NUIT DES MASQUES de John Carpenter et de VENDREDI 13, le début des années quatre-vingts voit déferler des slashers en provenance d'Amérique du Nord, destinés à un public adolescent. Invariablement, un tueur masqué massacre à l'arme blanche des jeunes gens. Citons à titre d'exemple LE BAL DE L'HORREUR de Paul Lynch, CARNAGE de Tony Maylam, MEURTRES À LA SAINT-VALENTIN de George Mihalka, DÉMENT de Jack Sholder déjà produit par New Line...

Certains de ces films ont un succès suffisant pour donner lieu à des suites comme HALLOWEEN II de Rick Rosenthal ou VENDREDI 13 : CHAPITRE FINAL, quatrième du nom. Les tueurs des séries de cinéma les plus célèbres deviennent des icônes de la culture populaire, comme Michael Myers de LA NUIT DES MASQUES ou Jason Voorhes de VENDREDI 13.

Pourtant, au milieu des années quatre-vingts, le slasher s'essouffle déjà, seuls les VENDREDI 13 continuent à connaître un succès constant, inversement proportionnel à leurs qualités cinématographiques.

Avec LES GRIFFES DE LA NUIT, Wes Craven propose un scénario comparable à ceux des slashers traditionnels. Un tueur sadique harcèle des jeunes gens habitant dans une banlieue américaine aisée, style de décor dans lequel s'inscrivent déjà des œuvres comme LA NUIT DES MASQUES ou le film de maison hantée POLTERGEIST de Tobe Hooper.

Craven apporte au sous-genre du slasher, à priori ingrat et mécanique, un total renouvellement. En effet, son tueur Freddy Krueger n'intervient pas dans la réalité, mais dans les rêves. Il agresse ses victimes dans leurs cauchemars, pendant leur sommeil. Cela permet à Wes Craven toutes les audaces en matière de mise en scène onirique et fantastique. Les séquences de meurtres donnent lieu à des trouvailles surréalistes, baignées par une inquiétante atmosphère expressionniste, soulignant la vulnérabilité des victimes, perdues dans leurs mondes mentaux.

Ces scènes sont impressionnantes et remarquablement réalisées, à la fois poétiques et cruelles, illustrées par des trucages devenus célèbres. Tina est entraînée au plafond de sa chambre et déchiquetée par un Freddy invisible aux yeux de son petit ami éveillé. Nancy se noie dans une baignoire sans fond, ou tente de grimper un escalier dont les marches sont des sables mouvants. Glen est avalé par son lit et recraché sous la forme d'un ahurissant torrent de sang.

LES GRIFFES DE LA NUIT n'est pas qu'une succession de meurtres spectaculaires. Il est construit solidement, articulant de manière rigoureuse les rapports entre l'univers des rêves et la réalité. Nancy comprend que si Freddy peut tuer les dormeurs dans leur sommeil, il peut aussi être ramené dans le monde réel par un rêveur rusé qui serait réveillé au bon moment. Les connexions entre les rêves et la réalité sont régies par des règles strictes, donnant lieu à une narration riche et originale.

A travers le personnage de Freddy, Craven illustre l'inconscient souterrain et caché d'un quartier apparemment tranquille. Comme Michael Myers dans LA NUIT DES MASQUES, ses crimes sont l'écho d'une tragédie qui a ensanglanté la ville des années auparavant. Une tragédie que les adultes ont pris soin d'escamoter aux yeux de leurs enfants...

Freddy Krueger, un sadique tueur d'enfants, a été arrêté puis relâché par la police suite à un vice de procédure. Les parents du quartier l'ont lynché et jeté vif dans une chaudière. Les adolescents ignorent ce drame, mais ils connaissent quand même la sinistre comptine de Freddy, sous la forme de laquelle a survécu le souvenir de cet assassin.

A travers la citation du «Hamlet» de Shakespeare pendant un cours de philosophie (on pourrait dire : "Il y a quelque chose de pourri à Elm Street..."), Craven invite les spectateurs et ses héros à fouiller les zones sombres de leurs passés et de leurs consciences afin d'affronter les monstres qui les hantent et, en fin de compte, de les vaincre.

C'est ce qu'a l'intention de faire Nancy, personnage central du film, richement développé par le récit et bien interprété par Heather Langenkamp. Les adultes, névrosés, manipulateurs ou alcooliques, préfèrent garder enterrés leurs secrets et refusent de regarder leur passé en face. Il ne veulent pas faire confiance à leurs enfants ou écouter attentivement ce qu'ils ont à dire. Les interventions des parents cherchant à surprotéger leurs enfants sont ici catastrophiques et facilitent la tâche macabre de Freddy.

Freddy appartient à la catégorie de ces sadiques dont la cruauté hante la filmographie de Craven. Il prolonge les pervers déjà croisés dans LA DERNIÈRE MAISON SUR LA GAUCHE (dont le chef des violeurs s'appelait déjà Krug !) et LA COLLINE A DES YEUX. Et il annonce le bourreau glaçant de L'EMPRISE DES TÉNÈBRES, le Serial Killer de SHOCKER ou les adolescents psychopathes de SCREAM.

Freddy se régale, sans aucune préoccupation morale, de la souffrance des autres. Sa saleté et sa laideur contrastent avec l'univers quotidien et aseptisé dans lequel vivent les personnages des GRIFFES DE LA NUIT.

Craven ne cache pas la perversité sexuelle du personnage. Les blagues qu'il lance à ses victimes ne sont pas des traits d'esprit, mais des injures grivoises. Ses mimiques obscènes et ses interventions érotiques (sa main qui surgit dans la baignoire entre les jambes de Nancy, l'apparition de sa langue sortant du téléphone) soulignent que la violence de Freddy est à la fois physique, mentale et sexuelle. Ce qui est une nouveauté par rapport aux habituels tueurs monolithiques et souvent dénués de motivations réelles qu'on croise alors dans la majorité des slashers américains.

Pourtant, LES GRIFFES DE LA NUIT souffre de défauts. Si Nancy et ses parents sont des personnages bien développés, ses amis souffrent d'une caractérisation psychologique légère, proche des adolescents sans épaisseur qui tombent sous les coups de machette de Jason. Le film, après un démarrage sur les chapeaux de roue, souffre d'une seconde partie parfois lente et bavarde.

La fin, idiote et illogique, a été imposée par la New Line à Wes Craven. En principe, LES GRIFFES DE LA NUIT devait se conclure par la sortie de Nancy devant sa maison, en plein milieu d'une journée ensoleillée. Mais le producteur a insisté pour que le film se termine sur un épilogue horrifique et "inattendu", annonçant que la mal n'a pas été vaincu et que Freddy peut revenir dans une suite. Cette conclusion crée une rupture avec la narration solide et originale que Wes Craven a habilement employée et elle évoque un de ces épilogues gratuits qui concluent les VENDREDI 13.

LES GRIFFES DE LA NUIT reste pourtant une belle réussite, une relecture ambitieuse, pertinente et imaginative d'un genre a priori limité et ayant trop vite atteint ses limites. Le film connaît un excellent accueil critique et public à travers le monde. Il recueille un prix au Festival du Film Fantastique d'Avoriaz et rapporte 25 millions de dollars à ses producteurs.

Grâce à lui, la mode des slashers repart. Surtout, New Line met aussitôt en route une suite avec LA REVANCHE DE FREDDY de Jack Sholder, que Craven refuse de réaliser, jugeant le scénario trop faible. La série se prolonge jusqu'à FREDDY SORT DE LA NUIT en 1994, septième épisode et second Freddy réalisé par Wes Craven.

Avec LES GRIFFES DE LA NUIT, Craven devient un grand nom du cinéma d'épouvante, tandis que Robert Englund va être, avec Jeffrey Combs (RE-ANIMATOR), une des rares vedettes de l'horreur à émerger en ces temps de tueurs masqués et anonymes.

Après LES GRIFFES DE LA NUIT, Craven se consacre à TERREUR FROIDE, un téléfilm de science-fiction horrifique. Puis le succès des GRIFFES DE LA NUIT lui ouvre les portes des Majors, lui donnant l'occasion de travailler pour Warner (avec le médiocre L'AMIE MORTELLE) puis surtout pour Universal pour L'EMPRISE DES TÉNÈBRES, son film le plus original et le plus réussi.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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