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Critique du film
PHASE IV 1974

 

Saul Bass est une figure connue du cinéma américain de son temps, au rôle hors-norme. Il est surtout célèbre comme concepteur de fameuses affiches (AUTOPSIE D'UN MEURTRE, SHINING) et de non moins fameux génériques (LA MORT AUX TROUSSES d'Alfred Hitchcock, SPARTACUS de Stanley Kubrick, CASINO de Martin Scorsese). Il participe aussi très activement à l'élaboration de séquences aussi célèbres que la bataille finale de SPARTACUS, les courses en split-screen du GRAND PRIX de John Frankenheimer et même le mythique meurtre sous la douche de PSYCHOSE !

Pendant les années soixante, il tourne pour son compte des courts-métrages remarqués (dont WHY MAN CREATES de 1968 qui gagne l'Oscar de sa catégorie). Il réalise son propre long-métrage avec le film de science-fiction PHASE IV. Cette œuvre mettant en scène de vrais fourmis, il s'adjoint les services du chef-opérateur Ken Middleham, lequel s'est distingué par son travail macrophotographique sur le documentaire DES INSECTES ET DES HOMMES de 1971. Middleham travaillera ensuite sur un autre film fantastique grouillant de bestioles : LES INSECTES DE FEU de Jeannot Szwarc.

PHASE IV met en vedette l'acteur britannique Nigel Davenport (LE VOYEUR, L'ÎLE DU DOCTEUR MOREAU de Don Taylor), Michael Murphy (COUNTDOWN, SHOCKER de Wes Craven) et Lynne Frederick (LE CIRQUE DES VAMPIRES, SCHIZO).

Suite à un phénomène astronomique, une colonie de fourmis du désert change de comportement. Elles deviennent de plus en plus agressives et de mieux en mieux organisées, s'en prenant aux constructions des humains. Les habitants de la région prennent alors la fuite. Deux chercheurs mènent l'enquête, puis s'installent dans un laboratoire clos et isolé d'où ils étudient la fourmilière. Ils découvrent que ces insectes sont doués d'une grande intelligence. Une guerre entre les deux entomologistes et les fourmis commence...

PHASE IV met en scène un affrontement entre l'homme et une espèce animale. Le tout prend la forme d'une fable écologique, invitant à réfléchir sur les rapports arrogants que les humains, convaincus de leur "supériorité", entretiennent avec les autres espèces vivantes. La situation s'inverse et la distribution des rôles cobaye/scientifique se brouille.

PHASE IV est donc une œuvre d'anticipation pessimiste et adulte, comme on en trouve beaucoup au début des années soixante-dix suite aux succès des ambitieux LA PLANÈTE DES SINGES et 2001, L'ODYSSÉE DE L'ESPACE. Citons à titre d'exemple SILENT RUNNING, SOLEIL VERT ou ROLLERBALL.

PHASE IV se veut d'une austérité documentaire. Refusant le folklore du genre (robots, effets spéciaux ostentatoires), il affiche un caractère réaliste et rigoureux. Il s'ouvre sur la lecture de notes scientifiques présentant la situation des chercheurs. La réalisation est sévère, en harmonie avec le regard des deux entomologistes.

Ils travaillent dans un laboratoire crédible, qui ne sacrifie jamais à des détails pseudo-futuristes ou décoratifs. Nous sommes loin de l'univers Space Opera de BARBARELLA ou de LA GUERRE DES ÉTOILES. Le réalisme se retrouve dans le refus de tout trucage. Les insectes mis en scène sont de véritables fourmis, filmées à l'aide de techniques issues du documentaire scientifique.

Nous assistons alors à de spectaculaires séquences telles que : les fourmis combattent leurs prédateurs naturels ; les fourmis rapportent un morceau de produit insecticide à leur fourmilière afin que la reine conçoive des rejetons immunisés contre lui ; une fourmi dévore un câble électrique... Les insectes restent à une taille normale et ne deviennent pas géantes (contrairement au classique DES MONSTRES ATTAQUENT LA VILLE). Elles n'en sont pas moins inquiétantes et redoutables, bien au contraire.

Saul Bass vient de l'univers du graphisme et le style de PHASE IV bénéficie d'une originalité plastique à la fois moderne et puissante. Il puise dans un répertoire de formes géométriques très épurées. Le cercle tient un rôle déterminant dans la mise en scène : les planètes dans l'espace au cours du prologue ; le cercle de céréales dévoré par les fourmis dans le champ ; le laboratoire a la forme d'une demi-sphère ; la course du soleil dans le ciel revient souvent.

Si toutes ses surfaces géométriques évoquent le travail des peintres abstraits du début du vingtième siècle (Mondrian, Malevitch), elles sont aussi en harmonie avec le propos du film. Il n'est pas anormal qu'un monde colonisé par les fourmis soit présenté à l'aide d'un système de formes géométriques et fonctionnelles, en parfaite adéquation avec l'intelligence hyper-rationnelle de ces insectes.

Dans le même sens, les humains et les fourmis communiquent en se transmettant des schémas géométriques. En effet, les mathématiques sont universelles chez toutes les espèces intelligentes. Autre élément moderne et original qui participe au ton singulier de PHASE IV, l'excellente musique que Brian Gascoigne compose, essentiellement pour les séquences au sein de la fourmilière, créant une atmosphère étrange et inhumaine appropriée.

Cette approche moderne de la science-fiction s'inscrit dans la descendance de 2001, L'ODYSSÉE DE L'ESPACE, que ce soit dans le choix d'un réalisme dépouillé, dans le goût pour l'expérimentation technique ou dans l'influence des avant-gardes artistiques du XXème siècle. Les fourmilières s'élevant telles des tours dans le désert rappellent immanquablement le monolithe du classique de Kubrick.

Bass se complaît aussi dans une métaphysique énigmatique. Ainsi, il est difficile de savoir ce qui provoque l'évolution de fourmis vers une forme de vie intelligente. Le film reste flou à ce sujet et certains spectateurs y ont vu une intervention extra-terrestre. De même, la fin laisse songeur. Un nouveau lien entre les hommes et les fourmis s'est créé, une nouvelle aube se lève sur Terre, après laquelle plus rien ne sera comme avant. Les hommes vont-ils alors vivre en harmonie avec les fourmis ? L'humanité va-t-elle accéder à une nouvelle phase d'évolution ? Ou bien les humains vont-ils devenir esclaves des fourmis, voire être exterminés pour laisser la place à une nouvelle espèce dominante ? Bass ne répond pas vraiment à ces questions.

Malgré toutes ses ambitions louables, PHASE IV en fait beaucoup dans l'austérité. Après un début qui éveille la curiosité, le rythme du récit manque de densité. Le spectacle de Michael Murphy tournant les boutons d'instruments de mesure lasse parfois. Le manque de progression des événements engendre un film lent, inégal et froid, par lequel il peut être difficile de se sentir concerné.

PHASE IV est indéniablement un film de science-fiction très ambitieux, intéressant et sérieux. Il n'en reste pas moins un peu ennuyeux et lent par moment. Et sa manière de cultiver l'énigme peut laisser dubitatif. Ce sera le seul long-métrage que réalisera Saul Bass, bien qu'il continue à tourner des courts et moyens-métrages, dont QUEST en 1983, co-réalisé avec son épouse Elaine Bass d'après un texte de Ray Bradbury.

PHASE IV annonce toute une vague de films d'inspiration écologique mettant en scène de sanglants affrontements entre les humains et la nature : LES DENTS DE LA MER en 1975 de Steven Spielberg, L'INCROYABLE ALLIGATOR, MORSURES et ses chauves-souris... Les insectes tiendront une bonne place dans ce genre : LES INSECTES DE FEU qui met en scène des cafards doués de pouvoirs surnaturels, L'EMPIRE DES FOURMIS GÉANTES, QUAND LES ABEILLES ATTAQUERONT...

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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