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Critique du film
LAST NIGHT IN SOHO 2020

 

Avec LE DERNIER PUB AVANT LA FIN DU MONDE en 2013, Edgar Wright signe une comédie de science-fiction réussie, à la sauce bien British, dans la continuité assumée de ses SHAUN OF THE DEAD et HOT FUZZ. Il persévère dans le fantastique en travaillant sur le projet de Marvel ANT-MAN qu'il doit réaliser. Mais il le laisse tomber lorsque le studio veut lui imposer un scénario en remplacement du sien. Il rebondit avec BABY DRIVER en 2017, mélange de thriller et de comédie musicale qui rencontre un joli succès. La musique reste au centre de ses préoccupations avec THE SPARKS BROTHERS en 2021, documentaire dédié au duo Pop américain des Sparks.

Enfin arrive en 2021 son vrai retour au fantastique avec LAST NIGHT IN SOHO, tourné à Londres avant le Covid 19. Il met en scène un tandem de jeunes actrices en vogue, avec la néo-zélandaise Thomasin McKenzie, notamment vue dans JOJO RABBIT et OLD, et Anya Taylor-Joy dont la beauté inhabituelle est relevée dans THE WITCH, puis dans SPLIT de M. Night Shyamalan, avant qu'elle réapparaisse en super-héroïne Marvel dans LES NOUVEAUX MUTANTS. LAST NIGHT IN SOHO cultive la nostalgie de l'Angleterre des années soixante, nous y trouvons donc des vedettes emblématiques de l'époque. À commencer par Diana Rigg en logeuse de Ellie, et Terence Stamp en intrigant vieillard arpentant les pubs du centre de Londres.

Jeune provinciale élevée par sa grand-mère, Ellie vit dans la nostalgie des Swinging Sixties, de sa culture pop colorée et des vêtements de Carnaby Street, rue située dans le quartier festif de Soho. Son rêve se réalise lorsqu'elle décroche une place dans une école de mode londonienne. Peu portée sur la vie étudiante excessive des autres élèves, elle s'installe dans une chambre louée par une vieille dame du quartier. Ellie, qui se sait douée du pouvoir de percevoir des fantômes, y voit alors défiler les souvenirs d'une ancienne occupante, Sandie, apprenti-chanteuse dont les espoirs ont mal tourné il y a cinquante ans de cela...

Ellie, l'héroïne du métrage, est une ingénue du plus classique tonneau, qu'Edgar Wright met en parallèle avec Audrey Hepburn dès le générique. Cette jeune idéaliste est aussi réservée et douée d'une réelle sensibilité, sensibilité découlant de son intuition aiguisée. Mais cette intuition se dédouble d'une perception des présences du passé, des spectres. Elle perçoit ainsi sa mère défunte dans les miroirs de sa demeure familiale.

A travers les rêves et les miroirs du quartier de Soho, elle revit le parcours tumultueux de Sandie, jeune danseuse qui, dans les années soixante à Londres, rêve de devenir vedette de music-hall. Avant de déchanter et de se trouver entraînée dans une déchéance à la sanglante conclusion. Avec ses pouvoirs extrasensoriels, Ellie  tente de lui rendre justice et de trouver son tueur, plus de cinquante ans après les faits.

L'utilisation de pouvoirs paranormaux pour résoudre une énigme policière n'est pas nouvelle, le thriller LES YEUX DE LAURA MARS l'a déjà fameusement illustrée. Nous l'avons aussi rencontrée au temps du Giallo, à travers le personnage de la médium dans LES FRISSONS DE L'ANGOISSE ou encore dans L'EMMURÉE VIVANTE. L'idée d'un personnage doué de pouvoirs spirites et errant dans une ville lui étant étrangère se retrouve aussi dans NE VOUS RETOURNEZ PAS, grand classique du fantastique anglais revendiqué ici comme une influence par Edgar Wright.

L'enquête criminelle de LAST NIGHT IN SOHO a en effet pour cadre une ville exotique, bien qu'enchanteresse, aux yeux d'Ellie : Londres, et en particulier son cœur le plus vivant, le quartier de Soho, au nord de Piccadilly Circus, accueillant le Chinatown local ainsi que de nombreux clubs et salles de spectacle. Un visage grisant et gai de la City, mais qui a sa face ténébreuse. Dans les années soixante, il n'était pas que le quartier des chemises à jabots et des mini-jupes. Il accueillait aussi de la prostitution, des hôtels de passe. L'animation de ses clubs et de ses pubs entretenait une porosité malsaine avec le crime et le proxénétisme. En cela, LAST NIGHT IN SOHO se rattache à des classiques dépeignant une vie nocturne de Londres haute en couleurs, comme le Film Noir de Jules Dassin LES FORBANS DE LA NUIT ou LE VOYEUR de Michael Powell.

Edgar Wright livre une vision double de Londres, avec un visage d'aujourd'hui et un visage d'hier. Il met en valeur le charme et la singularité de la ville à travers le temps sans être dupe de sa face la plus menaçante, décrite aussi bien par la trajectoire de Sandie que par le drame vécu par la mère d'Ellie. En cela, LAST NIGHT IN SOHO rappelle la comédie musicale ABSOLUTE BEGINNERS de 1986 avec David Bowie, qui redonnait aussi vie au Londres nocturne et coloré de l'époque, sans occulter des aspects moins reluisants de la société anglaise d'alors comme le racisme.

LAST NIGHT IN SOHO adopte la forme d'une enquête criminelle très stylisée, Edgar Wright la plaçant notamment sous le signe fort de la comédie musicale. Rythmé par une sélection de chansons d'époque, avec notamment des titres Rock des Kinks ou des Who (pas forcément leurs titres les plus connus), il déploie des séquences musicales virtuoses et entraînantes, adressant d'ailleurs un clin d’œil à Bob Fosse, maître du genre, avec l'affiche de son SWEET CHARITY exposée elle aussi dans le générique. Une fois passé son ouverture déjà étonnante, numéro dansé cantonné dans une petite chambre d'adolescente, LAST NIGHT IN SOHO propose d'autres séquences musicales marquantes, en particulier le passage dans le Café de Paris, première exploration émerveillée de la réalité de Sandie par la rêveuse Ellie.

Mais LAST NIGHT IN SOHO est aussi un film policier doublé d'un film d'horreur, proposant des séquences horrifiques parfois sanglantes, placées sous le signe tranchant et référentiel du Giallo. Outre un clin d’œil transparent à INFERNO lors d'une fête d'Halloween toute en bleu et rouge, un incendie renvoie nettement au dénouement du même métrage.

LAST NIGHT IN SOHO réussit moins son coup quand il joue avec les silhouettes plus classiques de fantômes aux visages flous qui hantent Ellie. Le procédé se fait répétitif et moins efficace que voulu. Comme en atteste une poursuite lassante dans une bibliothèque universitaire au cours de laquelle la jeune fille est traquée par de telles silhouettes anonymes. De même, en terme de récit policier, Edgar Wright s'égare parfois, entre faux coupable trop évident et divers clichés.

Malgré ses quelques faiblesses, LAST NIGHT IN SOHO reste une belle réussite, en particulier une réussite formelle évidente, toujours riche en inventions et en idées de cinéma, servie par une direction artistique et une photographie très abouties. Les mésaventures de Sandie dans un monde faussement léger et vraiment prédateur sont le cœur du film, à la fois nostalgique d'un âge d'or de la fête et de la liberté, et lucide face à une période loin d'être rose pour tout le monde.

Avec cet ode au Londres d'hier et d'aujourd'hui, Edgar Wright nous offre encore un bon film, riche en beaux moments de cinéma et porté par une énergie communicative. Il sort quelques mois après MALIGNANT de James Wan qui lui aussi brasse souvenirs du Giallo et pouvoirs paranormaux, sur un ton pourtant très différent. Les deux réalisateurs partagent néanmoins le mérite de ne pas suivre les modes et de creuser chacun à leur manière leur sillon de grands noms du cinéma fantastique.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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