Au milieu des années 1960, la Hammer connaît une période difficile, ses films intéressant moins les distributeurs américains. Elle se recentre donc sur les films d'horreur ayant fait sa réputation. Dans ce cadre, elle bénéficie d'un nouveau partenariat avec les grandes compagnies américaines 20th Century Fox (distributeur américain) et Warner (distributeur Grande-Bretagne).
Cette collaboration assure le grand retour de Christopher Lee dans le rôle de Dracula : c'est DRACULA, PRINCE DES TÉNÈBRES de Terence Fisher, tourné en cinémascope dans de nouveaux décors. Toujours dans le cadre de ce partenariat, deux films plus modestes sont tournés l'un à la suite de l'autre, avec peu de moyens et une équipe commune : L'INVASION DES MORTS-VIVANTS et LA FEMME REPTILE.
Pour ces deux titres, nous trouvons au générique le réalisateur John Gilling, l'actrice Jacqueline Pearce et les habituels techniciens de la Hammer : le compositeur James Bernard, le chef-opérateur Arthur Grant, le décorateur Bernard Robinson, le maquilleur Ron Ashton...
Le rôle Principal, celui du professeur Forbes, est tenu par André Morell (Watson dans LE CHIEN DES BASKERVILLE de Terence Fisher). John Carson incarne son adversaire Hamilton, rôle qui semble taillé sur mesure pour... Christopher Lee !
Le respectable professeur Forbes, médecin et enseignant, reçoit une lettre d'un de ses anciens élèves, le docteur Thompson. Ce dernier travaille dans un village isolé où sévit une étrange épidémie mortelle. Forbes se rend sur place avec sa fille Sylvia. Ils découvrent que le bourg est régi par Hamilton, un noble raffiné et arrogant, dans la demeure duquel loge une bande de jeunes gens brutaux. Forbes comprend qu'Alice, la femme du docteur Thompson, est victime de l'étrange maladie sévissant dans la région. Un matin, elle est retrouvée morte dans les bois. Forbes soupçonne une affaire de magie noire...
En effet, cette intrigue repose sur une machination surnaturelle. Des personnes pratiquent la magie vaudou et créent des zombies. De récents défunts sont aperçus errant dans la forêt alors qu'ils viennent d'être mis en terre ! Comme dans LA MALÉDICTION DES PHARAONS (une affaire de momie) ou LA FEMME REPTILE (histoire de vengeance indienne), la Hammer importe des éléments fantastiques exotiques dans le cadre typiquement gothique de la campagne anglaise.
Ici, un personnage ramène de Haïti des formules permettant de créer des zombies. Le point le plus faible de L'INVASION DES MORTS-VIVANTS reste son récit lent et manquant de suspense. L'identité du malfaiteur est claire dès sa première apparition et la nature de ses manœuvres impies se décrypte vite.
Il y a de nombreux points communs entre LA FEMME REPTILE et L'INVASION DES MORTS-VIVANTS, tournés par la même équipe comme nous l'avons vu. Nous retrouvons le même décor (le château de DRACULA, PRINCE DES TÉNÈBRES transformé en village, avec un cimetière à la place du lac gelé). Dans les deux cas, nous nous rendons dans un bourg isolé pour enquêter sur une épidémie. Le cimetière lugubre accueille des séquences horrifiques spectaculaires. Les troubles sont les conséquences d'une malédiction exotique. Le dénouement se règle dans une caverne souterraine tandis que le grand manoir de la région disparaît dans un vaste incendie final ! Tout cela est archi-classique pour un film Hammer.
Des insinuations quant à l'homosexualité de certains personnages se trouvent aussi bien dans LA FEMME REPTILE (le comportement du personnage interprété par Jacqueline Pearce laisse paraître une touche saphique) que dans L'INVASION DES MORTS-VIVANTS (Hamilton vit seul dans sa vaste demeure avec cinq costauds gaillards).
Nous retrouvons certains traits typiques des grands classiques de la Hammer. Ainsi, le comportement cruel des hommes de main au service de Hamilton évoque une longue tradition d'aristocrates tyranniques, terrorisant les humbles habitants de petits villages dans les films de Terence Fisher comme LE CAUCHEMAR DE DRACULA ou LA NUIT DU LOUP-GAROU. Dans L'INVASION DES MORTS-VIVANTS, les brutes au service de Hamilton sèment le désordre au cours d'un enterrement modeste. Ou bien ils jouent aux cartes le « privilège » de violenter en premier une jeune fille enlevée en pleine forêt. Face à ces manières abjectes, le prêtre de la région prêche la résignation : "Nous expions nos pêchés !" donne-t-il comme explication à un jeune homme révolté.
Le docteur Forbes s'inscrit quant à lui dans la tradition du Van Helsing campé par Peter Cushing dans LE CAUCHEMAR DE DRACULA : intelligent, vif, cultivé, sa qualité la plus utile sera sa capacité à croire au surnaturel alors que les autres enquêteurs refusent une explication magique aux sinistres événements.
Tout cela est fort bien raconté par la réalisation compétente et solide de John Gilling. Certes, le budget est réduit et le décor de la mine semble étroit. Mais grâce à un véritable sens du macabre et à la présence de puissantes scènes horrifiques, Gilling remplit fort honorablement son contrat. Les scènes avec les zombies sont toutes réussies. Nous pensons à la vision démente du zombie ricanant lançant le cadavre d'une jeune femme ; aux hordes de zombies errants dans le cimetière (qui annoncent avec deux ans d'avance LA NUIT DES MORTS-VIVANTS de George Romero) ; à la destruction de la mine (les zombies prenant feu dans le sous-terrain devancent le final infernal du FRAYEURS de Lucio Fulci).
La mise en scène de Gilling s'avère d'une grande clarté, mais cela n'empêche en rien la sophistication. Signalons ainsi les enchaînements saisissants entre un masque africain et le visage d'une jeune fille défunte ; ou entre le corps d'une femme gisant morte dans la forêt et une table sur laquelle repose les outils de son autopsie. Le montage parallèle entre l'enterrement chrétien d'Alice (filmé en plans larges et calmes) et une sinistre cérémonie vaudou (saisie en gros plans avec un vacarme de tam-tam) constitue un moment très puissant, pratiquement blasphématoire.
L'INVASION DES MORTS-VIVANTS est une bonne réussite de plus à mettre au crédit de la Hammer, bien qu'il souffre de certaines lenteurs. Grand précurseur du film de zombies, il reste la seule œuvre centrée sur ce thème produite par cette compagnie (bien que d'autres de ses films montrent des zombies, comme LES SEPT VAMPIRES D'OR de Roy Ward Baker). Les œuvres mettant en scène de tels morts-vivants restent rares dans l'Angleterre des années 1960. Il faut attendre le triomphe mondial du film américain LA NUIT DES MORTS-VIVANTS pour voir le genre s'abattre sur les écrans du monde entier, notamment en Espagne avec LA RÉVOLTE DES MORTS-VIVANTS de l'espagnol Amando de Ossorio, ou avec LE COMMANDO DES MORTS-VIVANTS de Ken Wiederhorn aux USA.