Header Critique : CHUTE DE LA MAISON USHER, LA (HOUSE OF USHER)

Critique du film
LA CHUTE DE LA MAISON USHER 1960

HOUSE OF USHER 

Parti de Boston, Philip fait un long voyage à cheval jusqu'au manoir de la famille Usher. Il compte y retrouver sa fiancée Madeline qui y vit avec son frère Roderick et un domestique. A l'arrivée de Philip, Roderick le supplie de quitter la demeure et de laisser sa sœur tranquille. Elle serait en effet victime d'un mal incurable...

LA CHUTE DE LA MAISON USHER est l'adaptation d'une des plus célèbres nouvelles du père de la littérature fantastique moderne : Edgar Allan Poe. Cet écrivain a déjà été porté à l'écran avant 1960, parfois avec un certain succès (LA CHUTE DE LA MAISON USHER du français Jean Epstein est un exemple). Mais cela n'avait pas donné lieu à un cycle d'adaptations s'inscrivant dans la durée. Or avec le succès de LA CHUTE DE LA MAISON USHER de Roger Corman, le réalisateur amorce un vrai cycle de longs-métrages dédiés à cet écrivain.

Juste avant de réaliser LA CHUTE DE LA MAISON USHER, Roger Corman vient de finir un petit film : CREATURE FROM THE HAUNTED SEA (tourné en 1960, mais sorti en 1961). Pour le rôle de Roderick Usher, Vincent Price est recruté en échange d'un confortable salaire. Il a déjà été la vedette de films fantastiques importants comme L'HOMME AU MASQUE DE CIRE ou LA MOUCHE NOIRE.

A ses côtés, dans le rôle de Philip, nous trouvons Mark Damon, jeune acteur alors peu connu qui apparaîtra ensuite dans des films italiens (comme LES TROIS VISAGES DE LA PEUR de Mario BavaLE FILS DU CID de Vittorio Cottafavi ou RINGO AU PISTOLET D'OR de Sergio Corbucci) avant de se détourner de l'art dramatique pour travailler dans la production.

Myrna Fahey, alors inconnue, incarne Madeline Usher : elle ne fera presque rien d'autre pour le cinéma, mais travaillera pour des séries télévisées d'alors comme ZORRO ou BATMAN. Corman réunit une équipe d'habiles techniciens qu'il emploiera plusieurs fois au cours de son cycle Edgar Poe : le compositeur Les Baxter, le chef-opérateur Floyd Crosby, le décorateur Daniel Haller (ce dernier deviendra plus tard réalisateur de films tels que THE DUNWICH HORROR d'après Lovecraft ou BUCK ROGERS AU XXVÈME SIÈCLE). Surtout, Corman s'adjoint les services de l'écrivain Richard Matheson (qui a déjà travaillé au cinéma pour le scénario de L'HOMME QUI RÉTRÉCIT peu avant) afin d'élaborer des scripts de longs-métrages à partir des courtes nouvelles de Poe.

Le cinéma fantastique hollywoodien des années 1950 a été dominé par l'irruption de la science-fiction. Des classiques du genre se sont succédés, avec LA GUERRE DES MONDES, PLANÈTE INTERDITEL'INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES... Des petites firmes américaines exploitent alors le filon en produisant à moindre coût des œuvres peuplées d'extraterrestres ou mutants aux apparences pittoresques.

La firme American International Pictures, fondée par Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson en 1955, vivote alors tranquillement en proposant des double-programmes abordant des genres à la mode (surf, aventures préhistoriques, gangster...). Évidemment, nous y rencontrons de la science-fiction et du fantastique, avec des œuvres telles que LE FANTASTIQUE HOMME-COLOSSE de Bert I. GordonI WAS A TEENAGE WEREWOLF de Gene Fowler Jr. Parmi leurs réalisateurs, le jeune et très travailleur Roger Corman aborde un peu tous les domaines du cinéma populaire. Il a à son compteur quelques invasions extraterrestres : IT CONQUERED THE WORLDNOT OF THIS EARTH... En 1960, l'AIP lui propose de tourner deux longs-métrages d'horreur en noir et blanc pour un budget de 100.000 dollars chacun. Mais Corman a une autre idée.

A la fin des années 1950, la petite firme anglaise Hammer décroche des succès insolents en redonnant vie au répertoire des monstres classiques Hollywoodiens, peu ou prou abandonnés aux USA depuis le milieu des années 1940. Ainsi, leur FRANKENSTEIN S'EST ÉCHAPPÉ ! et LE CAUCHEMAR DE DRACULA, tous deux filmés en couleurs par Terence Fisher, sont des triomphes internationaux. Corman comprend que ce nouveau filon de l'horreur gothique est porteur. Il demande à l'AIP de se montrer ambitieuse et de lui confier 200.000 dollars pour un seul film, tourné en couleurs et en cinémascope, dans des conditions plus "normales" que ses séries B habituelles.

Si la Hammer puise dans les livres des îles britanniques («Dracula» de Bram Stoker, «Frankenstein» de Mary Shelley, «Le chien des Baskerville» de Conan Doyle), Roger Corman s'oriente vers une littérature fantastique purement américaine. Amateur de Poe depuis le lycée, le choix de transposer LA CHUTE DE LA MAISON USHER à la sauce gothique lui semble une excellente idée. Les producteurs lui font confiance et accèdent à sa requête. Il sacrifie une bonne part du budget pour se payer Vincent Price, encore auréolé de l'énorme succès de L'HOMME AU MASQUE DE CIRE.

C'est le début d'une série de huit films inspirés de Poe et réalisés par Corman, série qui se termine en 1964. Mettant presque tous en vedette Vincent Price (à l'exception de L'ENTERRÉ VIVANT), ils en feront une star de l'horreur, au même rang qu'un Boris Karloff ou un Christopher Lee. Avec ce cycle Poe, Corman s'affirme comme le maître de l'épouvante gothique aux USA, au même titre que Fisher en Grande-Bretagne ou Mario Bava en Italie.

Penchons-nous plus précisément sur LA CHUTE DE LA MAISON USHER. La nouvelle de Poe ne faisant que quelques pages, des aménagements s'imposent. Le plus frappant d'entre eux est l'introduction d'un rapport amoureux entre le narrateur et Madeline Usher. Chez Poe, le voyageur rend visite à son ami Roderick. Dans ce film, Philip va à la maison Usher pour retrouver sa fiancée Madeline. Le lien entre le narrateur et Roderick Usher n'est plus fondé sur l'amitié, mais sur une rivalité. Roderick refuse que sa sœur quitte la maison et Philip cherche à comprendre par lui-même ce qui se trame dans l'inquiétante bâtisse.

Ce conflit et cette enquête rythment le récit jusqu'à un final fidèle à Poe : la maison s'effondre dans un spectaculaire incendie, avec un plan d'affaissement de charpente que Corman réutilisera dans d'autres films comme L'EMPIRE DE LA TERREUR ou LE CORBEAU. Quelques petites pertes de rythme ou une sensation de remplissage peuvent se faire sentir. Néanmoins, Matheson construit un récit maîtrisé, répartissant les révélations de façon suffisamment équilibrée. Le spectateur ne s'ennuie jamais.

Un grand apport de cette version de LA CHUTE DE LA MAISON USHER consiste à doter le demeure d'une volonté propre, à la rendre capable d'agir par elle-même. Tout du moins, c'est ce que pensent ses habitants chaque fois qu'un élément de la maison se brise accidentellement, risquant d'entraîner la mort de l'intrus Philip (une rampe d'escalier cède, un lustre se décroche du plafond).

Corman a maintes fois déclaré avoir effectué cet ajout pour obliger ses producteurs sceptiques, lesquels craignaient que LA CHUTE DE LA MAISON USHER soit un film d'horreur « sans monstre ». La maison aurait alors été changée en « monstre », douée d'une personnalité autonome.

La demeure se distingue aussi par sa beauté saisissante. L'extérieur est rendu d'une part par de belles matte-paintings et d'autre part par des décors de jardins sinistres dont les arbres noirs et décharnés baignent dans une brume épaisse. L'intérieur est orné d'un mobilier raffiné et surchargé, de style rococo, en harmonie avec la personnalité précieuse et instable du propriétaire des lieux.

Les couleurs se parent de teintes légèrement sursaturées, irréelles, nous faisant partager l'hypersensibilité de Roderick. Floyd Crosby propose ainsi une palette acidulée, pop, pré-psychédélique, qui va devenir typique de la plupart des œuvres de ce cycle Poe-Corman.

Nous trouvons aussi une sinistre crypte gothique pleine de cercueils poussiéreux, de chaînes, de grilles rouillées et de toiles d'araignée. Le décorateur Daniel Haller a meublé la maison Usher en achetant pour quelques centaines de dollars des accessoires mis au rebut par les puissants studios Universal ! Ces décors ont resservi, réarrangés, dans toute la série des Poe-Corman (à l'exception des deux derniers : LE MASQUE DE LA MORT ROUGE et LA TOMBE DE LIGEIA, réalisés en Grande-Bretagne) : cela permet de faire de saines économies tout en donnant une unité plastique à la série.

Le plus innovant dans ce métrage reste Roderick Usher. Cet être hypersensible (les sons et lumières lui arrivent sur-amplifiés, il ne supporte pas d'être touché) vit seul avec sa sœur et un domestique dans son sinistre palais. D'un caractère fataliste et morbide, il est aussi délicat, ces manières sont raffinées, il est porté sur la pratique des beaux-arts (dessin et musique). Son tempérament est si macabre que ses œuvres reflètent des émotions sinistres, inquiétantes, malsaines. Ses tableaux se complaisent dans un expressionnisme agressif. Vincent Price signe ici une de ses compositions les plus réussies. Il interprète un Roderick Usher aux traits fins et à la pâleur excessive. C'est l'acteur lui-même qui choisit de se teindre ici les cheveux en blanc : il fait ainsi penser à un albinos, ce qui accentue sa fragilité.

A la fois bourreau de sa sœur et victime de sa propre sensibilité exacerbée, cruel et vulnérable en même temps, ce personnage très fidèle aux écrits de Poe est sans doute la plus grande réussite de LA CHUTE DE LA MAISON USHER.

Corman a souvent déclaré avoir voulu approcher Poe sous l'angle de la psychanalyse. Le personnage de Roderick semble lié par un trouble lien incestueux à sa sœur, et il considère Philip comme son rival. Il tente de transcender son amour impossible dans la pratique de l'art.

Corman a parfois dit avoir tourné toutes ses adaptations de Poe essentiellement en studio (à l'exception de LA TOMBE DE LIGEIA) pour une raison artistique. Les œuvres de l'écrivain américain relevant pour lui de l'inconscient, il faut que les métrages se déroulent dans une ambiance recomposée et coupée de la réalité des décors réels extérieurs.

Est-ce sincère, ou bien s'agit-il de la justification roublarde de tournages à l'économie ? Ou encore faut-il y voir une façon d'attirer les snobs vers le cinéma fantastique ? Ainsi, certaines déclarations de Corman sont tellement grossières qu'elles prêtent à sourire : "(...) la maison peut être vue comme le corps d'une femme avec ses ouvertures (fenêtres, portes, arches). Le couloir devient le vagin d'une femme (...)", ... Tout cela paraît d'autant plus plaqué que contrairement aux films de vampires de la Hammer, les films Poe-Corman ne sont jamais sensuels, et pas du tout érotiques. Corman, peut-être en poursuivant sa démarche freudienne, nous inflige ici une séquence onirique grotesque, point le plus faible du film.

Heureusement, LA CHUTE DE LA MAISON USHER peut très bien s'apprécier sans prendre en compte ces considérations, c'est-à-dire comme une très bonne transcription d'Edgar Poe. Son succès commercial est tel que l'AIP demande à Corman de tourner une nouvelle adaptation des écrits de cet écrivain. Le réalisateur envisage de tourner LE MASQUE DE LA MORT ROUGE à ce moment, mais il a aussi en projet un péplum à réaliser en Grèce (ATLAS en 1960) ainsi que l'idée d'un film sur le racisme, THE INTRUDER, à développer. Finalement, le second film de son cycle Poe sera une transposition du «Puits et le Pendule», sortie en France sous le titre LA CHAMBRE DES TORTURES.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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