Après le succès de SANCTUAIRE, Dario Argento propose le sujet d'un nouveau film à Michele Soavi. D'abord partis sur une adaptation moderne du Golem, ils se dirigent finalement vers le projet de LA SETTA (LA SECTE), produit par Dario Argento pour le compte de Mario & Vittorio Cecchi Gori et de Silvio Berlusconi Communications - et réalisé par Michele Soavi. La sortie du film en 1991 fut partiellement ratée, et le film ne bénéficia que d'une sortie en VHS en France. Après plusieurs Blu ray sortis ces dernières années, dont l'édition Koch Media en Allemagne, Shameless au Royaume Uni et Scorpion aux USA (et en attendant celle sortie par Cecchi Gori en Italie), le film arrive en France par le biais du Chat Qui Fume, dans un combo Blu Ray et DVD.
Une jeune professeure des écoles nommée Miriam (Kelly Curtis) renverse par accident un vieillard (Herbert Lom). Elle décide de l'héberger chez lui, mais celui-ci meurt dans d'étranges conditions, ayant découvert un puits au sous-sol de sa maison. Des événements étranges vont alors se déclencher, la rendant cible d'une secte satanique.
Les éléments stylistiques découverts dans BLOODY BIRD, renforcés dans SANCTUAIRE se trouvent décuplés ici dans LA SECTE. Même si l'on sent l'influence évidente de Dario Argento, Michele Soavi admet avoir bénéficié d'une certaine liberté sur le tournage. Ce qui lui permet d'expérimenter au maximum sa capacité de création, tout comme les évolutions techniques (comme l'Innovision, entre autres). La garantie d'une salve de plans tarabiscotés, l'utilisation de steadycam fluide à foison (déjà bien présente dans SANCTUAIRE) et d'adopter des points de vue radicaux. Là se trouve la grande force du film, son indéniable étrangeté visuelle. Une vision endoscopique de l'horreur.
Soavi transforme ses élans fantasmagoriques en bouillonnement cauchemardesque pour son héroïne, une Kelly Curtis (soeur de Jamie Lee) qui se prête de bonne grâce au jeu. Et à tous les assauts que lui fait subir le réalisateur. D'un simple pont de vue technique, il s'agit d'une grande réussite. Tant au niveau de la photographie orchestrée par Raffaele Mertes (qui enchaîna par ailleurs sur TRAUMA de Dario Argento), des sources de lumières ingénieusement diffuses. Les choix d'influences de légendes celtes impriment un ailleurs rarement vu, sauf peut être aux références païennes de THE WICKER MAN. Dont les influences se font d'ailleurs sentir ici. De rêveries nimbées en présence permanente de l'élément aquatique comme berceau primal? il existe une véritable logique créative insufflé à LA SECTE, avec des transgressions curieuses. Et à l'instar de SANCTUAIRE, un nouvel acte sexuel contre-nature, cette fois-ci entre une femme et un marabout. Jamais Argento et/ou Soavi n'avaient été aussi loin dans le bizarre et l'anxiogène.
Malheureusement, ce vent de liberté fait partir le film dans tous les sens. Ce qui le lance dans les tréfonds d'une incohérence et d'une longueur qui parachèvent un manque de focalisation du récit. En écoutant leurs auteurs, les volontés et influences tombent sous le sens. A la vision du film, c'est beaucoup moins évident. Alors que le cadre semble vouloir s'échapper de certains stéréotypes, l'écriture tombe dans un travers d'iconographie et de thématiques obscures. Qu'il s'agisse de la scène d'ouverture avec son simili-Charles Manson et (évidemment) des bikers satanistes, qui finiront en cuir (et petite touche homosexuelle au passage pour être complet). A plus d'un égard, Soavi annonce presque LE MAITRE DES ILLUSIONS de Clive Barker, tant l'imagerie et les thèmes se rejoignent.
D'un autre côté, c'est comme si Argento avait voulu refaire SUSPIRIA et laissé la bride à Soavi pour en faire son bébé ésotérique et en mode satanique full force. En pleins fondements eschatologiques, on retrouve des traces de l'oeuvre de 1976. Hormis la base de sorcellerie, s'y adjoignent la scène des vers dans le lit, ou le visage de Frank (Michel Adatte) qui s'écrase contre la vitre en pleine nuit devant le visage terrifié de Miriam - qui renvoie à celle identique du début de SUSPIRIA. Soavi admet des relents de ROSEMARY'S BABY- on y trouve plus que cela, à savoir un quasi décalque. On y trouve aussi du recyclage d'INFERNO, via l'éclipse solaire et la naissance du mal, son ouverture vers l'eau en sous-sol, etc.
Ce catalogue référentiel se mélange de scènes malheureusement bien superflues, comme celle du métro (coucou DEMONS) ou même le prologue, dans une moindre mesure. Ce qui devrait accompagner l'étrangeté de l'entreprise, le tire vers le ridicule. Le lapin magique, ça va bien deux minutes. Le coup de la télécommande avec Soavi qui apparait en magicien? on comprend l'allégorie de la proie lapin/Curtis mais rien ne justifie d'en faire une fixation. La pauvre Mariangela Giordano ne réussit pas à rendre effrayante l'attaque du linceul - bien au contraire, c'est un peu le rire qui gagne. La symbolique lourde prend parfois le pas sur le simple clin d'oeil (le Manson de service s'appelle Damon et cite «Sympathy for the devil»). Les hippies sont tous blonds et innocents, comme par hasard, vs les attaquants de noir vêtus? Et la séquence de l'arrachage du visage hélas tombe à plat, faute de crédibilité des effets spéciaux.
De cette écriture bordélique s'accompagne un sacré problème de rythme pour tenir presque deux heures. A tel point que de partir quelques minutes de la vision du film ne dessert en rien la compréhension de l'ensemble, trop décousu. Il s'agit d'un tel casino filmique foutraque - défiant toute logique. Et pour couronner le tout, une repoussante partition musicale électro-zigouigoui de Pino Donaggio, appuyant le côté extrêmement daté de son travail.
Mais indéniablement, Soavi forgeait son style - sous l'oeil concupiscent de son producteur. Et de ce presqu'ultime soupir celluloïdal horrifique transalpin nait une oeuvre viscéralement originale. Ne serait-ce que par tenter de digresser de la formule des récits horrifiques sataniques - son atmosphère cauchemardesque rarement vue. Comme un genre à bout de souffle, recherchant la renaissance dans les excès.
1991 marquait la fin de la grande époque du cinéma de genre à l'italienne. Lucio Fulci, Sergio Martino et Lamberto Bava étaient passés à la télévision avec plus ou moins de succès. Argento, seul contre-exemple de longévité cinématographique, entama progressivement sa phase descendante auprès du public. Les films de genre n'étaient plus de ce monde. LA SECTE scella quelque part le destin, via un échec public et critique. Dommage.
Grâce aux efforts du Chat Qui Fume, le film est désormais disponible en digipack qui s'ouvre en trois volets, une marque de fabrique de l'éditeur français. Couverture luxueuse, qui tranche habilement avec les visuels connus du film. LA SECTE se trouve sur un Blu Ray 50GB (et un DVD-9 pour le film, puis un second pour les bonus), 1080p, au format respecté 1.85:1 et d'une durée complète de 116mn44 (116mn36 pour le DVD). Codé région B, et zone 2 pour le DVD, l'ensemble est tiré à 1 500 exemplaires.
Un menu animé propose la sélection au film, les versions, les suppléments, mais sans accès chapitré. A noter lia présence de 2 DVD: le premier contenant le film et les 3 pistes audio, ainsi que 2 suppléments (le réalisateur puis l'historien Fabrizio Spurio), le second avec le reste des bonus. On notera une navigation facilitée dans les sous-menus, offrant une expérience interactive intéressante.
Ceux qui gardent en mémoire les années VHS, voire le pénible DVD italien peuvent se rassurer: le passage à la HD est une réussite. Le Blu Ray au débit régulier offre des détails clairs sur les gros plans des visages (voire ceux de la victime au visage arraché, entre autres), une robustesse des couleurs et stabilité de l'image. Mais une gestion des zones ombrées aléatoire en fonction des plans. Les choix d'éclairages et de photographie transparaissent superbement à l'écran - qu'il s'agisse de la scène du prologue entre Damon et le petit enfant en extérieurs, perclus de lumière ou celles, finales, dans le puits. Pas de traces de poussières ou griffures, et le grain reste palpable malgré tout. Plutôt précis dans son ensemble, un bel effort qui apparait largement supérieur aux éditions anglaise ou allemande.
Pour les audiophiles, 3 pistes sonores. Toutes non compressées DTS HD MA 2.0 (et Dolby Digital 2.0 pour les DVD). On mettra de côté de suite la piste française, la moins qualitative de toutes. Pas mal de souffle, un rendu brut manquant de précision, sans mentionner un doublage assez épouvantable. Dès les premières images, certains bruitages sont absents (comme le clapotis de l'eau), ce qui se confirme par la suite. Les allergiques aux sous-titres et langues étrangères pourront éventuellement s'y rabattre, mais la meilleure expérience pour les oreilles se trouve en compagnie des deux autres options. On préférera le mixage italien, avec une meilleure clarté audio des éléments de bruitages, musique et dialogues. La piste anglaise possède des dialogues bien plus en retrait des effets sonores et de la musique, s'agissant de l'inverse pour la piste italienne. Mais tout reste affaire de sensibilité. Les sous-titres français optionnels font le reste. A noter que le choix de les actionner ou pas s'effectuera depuis votre télécommande, le menu des disques n'offre pas cette possibilité.
Concernant les suppléments, pour qui s'étant porté déjà acquéreur de SANCTUAIRE chez le même éditeur, verra une reprise de quelques éléments - tout comme la continuité du contenu de certains intervenants. La complétude des artistes interviewés forcent le respect car couvre quasiment tous les aspects techniques, de jeu et/ou narratifs du film.
Michele Soavi navigue « De l'alchimie à l'ésotérisme » pour replacer LA SECTE dans son contexte historique. Ses influences, sa manière de travailler, son souhait de s'approprier la caméra (au grand dam du caméraman!). Une très belle vision d'artiste accompli, arrivé à maturité. (version italienne avec stf)
La série d'entretiens se poursuit via « La Lumière au fond du puits », avec le directeur de la photographie Raffaele Mertes. Là aussi, un segment captivant en compagnie d'un artiste qui détaille avec précision les enjeux techniques et ses trouvailles afin de pouvoir faciliter le travail du metteur en scène. Ses explications apparaissent d'autant plus remarquables qu'elles montrent à quel point le spectateur peut se trouver à des années lumières de ce que la mise sur pellicule d'un simple plan peut représenter comme somme collective de travail. Superbe interview, essentielle à la compréhension technique du film. (version italienne avec stf)
Le chef décorateur Massimo Antonello Geleng nous plonge «Dans le Puits». Incroyable de constater à quel point FRAYEURS de Lucio Fulci fut un point de départ pour beaucoup des intervenants de ces suppléments. Geleng n'échappe pas à la règle! Là aussi, des souvenirs précieux du travail réalisé: utilisation des studios De Paolis pour la reconstitution du puits et des éléments aquatiques inhérents au film, complexité des décors, difficultés rencontrées? bonne idée de préciser le monologue de Geleng avec les images du film pour le rendu de son travail. Il intervient également sur ses interactions avec les acteurs, le producteur, Sergio Stivaletti? mais pas toujours en rapport avec son métier propre. (version italienne avec sous-titres français)
Giovanni Lombardo Radice, toujours aussi exubérant et précis dans ses souvenirs, complète les éléments déjà avancés dans son intervention présente dans SANCTUAIRE. Son amitié avec le réalisateur mais surtout, le travail effectué sur son court rôle. Anecdotes, manière d'appréhender le rôle, Radice reste définitivement un très bon client pour la caméra. A noter les toujours très bonnes idées du réalisateur du bonus, Federico Caddeo, d'effectuer du split screen pour mettre en valeur les éléments avancés par l'acteur, et le résultat à l'écran. (version italienne avec sous-titres français).
Ensuite, embarquement sonore pour une « Dario Argento Experience » avec le maestro Pino Donaggio. Qui retrace sa collaboration avec Dario Argento depuis DEUX YEUX MALEFIQUES et que, visiblement, tout passait par lui. Y compris sur LA SECTE, le compositeur ne se souvenant pas s'il a un jour rencontré Soavi! En complément de ses inspirations, il parle clairement d'expérimentations électroniques avec les synthétiseurs pour le film, qu'il n'a plus jamais fait par la suite (heureusement car il s'agit clairement d'une de ses pires partitions!). En italien avec sous-titres français.
Avec « Requiem pour un genre », le co-scénariste Gianni Romoli revient de manière extensive sur la genèse et le processus d'écriture. Passionnant, surtout pour un auteur qui s'est ensuite, comme Soavi, éloigné du cinéma de genre. Il est en effet aujourd'hui le collaborateur attitré de Ferzan Ozpetek, l'un des cinéastes les plus en vogue du cinéma italien de ces dernières années, plutôt en registre comédie dramatiques et drames. Il déconstruit avec intelligence les éléments de narration, personnages, thèmes - et ses apports quant au produit fini. Précisant le travail effectué par Argento (l'écriture du prologue et le contrôle sur le film) ainsi que sa collaboration avec Soavi. (version italienne avec stf)
Pour terminer, un entretien avec Fabrizio Spurio, historien de cinéma, qui tente d'apporter une perspective nouvelle de lecture. Intéressant mais faisant quelque peu redite par rapport aux composantes indiquées par les différents intervenants précédents. (version italienne avec stf)
Cette édition complète se termine avec une série de films annonces des titres disponibles chez l'éditeur. Un tel panorama fait de ce digipack 3 disques une édition très recommandée!