Dans les croyances cinéphiles populaires, on admet qu'il existe 3 VISAGES DE LA PEUR. En fait, pas que. Si Mario Bava s'est permis d'utiliser ce nom pour son chef d'oeuvre de l'épouvante gothique, certains petits malins publicitaires italiens suivirent le train de l'opportunisme. Nous avons donc en 1972, en pleine vague du Giallo, ce I DUE VOLTI DELLA PAURA, connu donc sous le titre… LES 2 VISAGES DE LA PEUR. Ce qui relève du tour de passe passe, puisque cette co-production entre l'Italie et l'Espagne possède un autre titre espagnol : COARTADA EN DISCO ROJO («Alibi à la lumière rouge») Qui, à la vue du film, semble correspondre beaucoup plus à la réalité!
Le séduisant Docteur Carli (George Hilton), marié à Elena (Luciana Paluzzi), travaille dans une riche clinique romaine, dont le père d'Elena était propriétaire. L'associé de Carli, Dr Azzini (Luis Davilà), pense accepter un autre poste à Milan, en partant avec sa fiancée, la jolie Doctoresse Paola Lombardi (Anita Strindberg). Qui a eu une affaire avec le Dr Carli quelques années auparavant… Malgré une importante offre effectuée par Elena, le Dr Azzini refuse de rester… et se retrouve assassiné.
Flairant les bons coups, pas mal de co-productions, ici via la B.R.C romaine, virent le jour non seulement sous le soleil des Westerns Spaghettis/paella. Mais également sous celui des thrillers tendance Giallo ou de sexy-Giallo à la Lenzi, tendance PARANOIA. Ce qui donna généralement des oeuvres plutôt sages, tendance LA VOLPE DALLA CODA DI VELLUTO qui vient d'ailleurs de faire son apparition en HD courant 2017. Ces 2 VISAGES DE LA PEUR creusent le même sillon. A savoir de suivre une intrigue excessivement sage, très balisée et même curieusement dévolue de tout ce qui fait (faisait?) le charme du Giallo. En fait, le film reste surtout plus un suspense qu'un véritable Giallo. Pas de tueur à main gantée de cuir noir, pas de meurtres violents, pas d'érotisme… très prudent, tout cela.
Le prolifique réalisateur argentin Tulio Demicheli, auteur d'un inénarrable DRACULA CONTRE FRANKENSTEIN, a su pourtant s'entourer de références solides en ce début des 70's. Le très charismatique George Hilton, au sommet de sa gloire western et Giallo. La très sensuelle Anita Strindberg : son regard expressif, son indéniable présence et sa silhouette sublime ont embrasé tant de TROPIQUE DU CANCER et autres VENIN DE LA PEUR… jusqu'à la Bondienne Luciana Paluzzi, déjà au coeur d'une MORTE NON HA SESSO. Complété par un Fernando Rey en Inspecteur de police toute en nuance humoristique, clairement le personnage le plus travaillé ici. Manque de chance, il se retrouve avec le scénariste Mario Di Nardo, médiocre auteur dont le seul titre potable surnageant dans sa filmo serait d'avoir participé à l'écriture JOURNEE NOIR POUR UN BELIER., une production BRC par ailleurs… A noter d'ailleurs (hasard ou coïncidence?) que la fuite de Luciana Paluzzi dans le métro de Rome vient à montrer deux affiches de ce film qui venait de sortir au moment du tournage. Ce qui permet de dater le tournage en septembre 1971. Et que ne serait ce long métrage sans la musique réussie de Franco Micalizzi, délaissant westerns et polizeschi pour une partition à suspense dotée d'un thème principal des plus doux et énigmatiques. Toujours aux consonances rock, guitare électrique inquiétante, batterie et les immanquables vocalises féminines lointaines. Un très bon point.
En fait, il semble surtout que l'équipe du film a vu et apprécié LA QUEUE DU SCORPION sorti l'année précédente. Déjà en repiquant le couple vedette Hilton/Strindberg. Puis en reprenant la dynamique scénaristique de l'inspecteur et de son acolyte à dominante d'humour à froid. On croit revoir ainsi le duo formé par Alberto de Mendoza et son subalterne dans le film de Sergio Martino. Jusqu'à des scènes absurdes pour tenter de faire parler le perroquet témoin de la scène du meurtre! Tout ceci se prolonge jusque vers la fin du film où la résolution transpire également beaucoup l'influence scorpionnée… curieux. Les scénaristes ajoutent également une petite maladie cardiaque pour Luciana Paluzzi (merci LES DIABOLIQUES) et une ambiance de clinique rappelant quelque peu LE CHAT A NEUF QUEUES, tout comme l'utilisation «argentesque» de la musique pop/rock au moment des meurtres. Demicheli impulse un visuel Scope plutôt réussi dans la composition des plans, avec une dynamique de profondeur de champ pour certaines scènes d'intérieur - notamment l'attente du meurtre du médecin. Il parsème ses plans de… fleurs en premier plan de manière régulière! (12mn40, 45mn57, 47mn07…) Beaucoup de rouge chatoyant mis en avant pour ce faire, afin de créer un point d'attachement visuel inattendu. La photographie très pro de Manuel Rojas (LA CLOCHE DE L'ENFER et une autre co-production de la BRC, à savoir FOLIE MEURTRIERE) sait magnifier ces instants. A l'instar de Sergio Martino, la caméra en vient à prendre des angles de prise de vues parfois tarabiscotés… mais générant des plans indéniablement originaux. Tout ceci pour peut-être combler un scénario manquant terriblement d'originalité. Amateurs de Gialli, vous n'y trouverez que deux meurtres. pas d'arme blanche à signaler et des mises en scènes très pudiques. Même si la première mort filmée au ralenti en contre-plongée à travers une table en verre et au ralenti singularise la scène. Nous restons loin des mouvements opératiques qui firent les belles heures du thriller transalpin… Anita et Luciana assurent le charme féminin, bizarrement sans aucune référence de nudité - alors que celle-ci battait son plein à l'époque. Clairement, un suspense plus « familial » conduit le souhait de la production. Demicheli ne prend guère de risque, assurant un service minimum, hésitant presque à emprunter un langage érotique et de violence.
Ceci posé, ce qui fait la grosse (et unique) originalité du film reste son opération à coeur ouvert. Donc âmes sensibles aux documentaires chirurgicaux en gros plan, soyez prévenus. Amateurs de curiosités tendance Mondo, relevez la tête. Une véritable opération filmée en gros plan (La petite histoire veut qu'il s'agit en fait de l'opération de la femme de Tulio Demicheli qui a eu lieu à Madrid) - et ça dure! près de 4 Minutes. Augmentant ainsi la notion de suspense sur la patiente visiblement entrain d'être perdue. Ce qui tranche (ahah) avec l'aspect éminemment chaste de ces 2 VISAGES DE LA PEUR. Pourquoi deux, d'ailleurs? Mystère : aucune explication ne sera apportée de ce côté là. Le final qu'on voit venir d'assez loin, se conclut néanmoins de manière habile avec l'inévitable poursuite en voiture : haletante, nerveuse et qui maintient un semblant de suspense.
Au final, LES 2 VISAGES DE LA PEUR demeure un thriller de facture médiocre, n'apportant rien au genre. Mais qui fonctionne honnêtement, sans pour autant embarrasser la mémoire du spectateur qui aura hélas tôt fait de l'oublier.
VIdeo : En provenance d'Italie, un DVD double couche, codé région 2 on retrouve le visuel habituel des menus de la collection CineKult de chez Surf Films, distribué par Cecchi Gori. Un menu fixe, agrémenté de la musique de Franco Micalizzi. Il offre un accès chapitré (17 sections), les options audio et de sous-titres, ainsi que la partie suppléments. Le film, d'une durée complète de 84 mn 25, se présente via son procédé Techniscope 2.35:1 (tirage en Technochrome) au format anamorphique respecté et 16/9e. Les plans larges apparaissent parfois flous (Luciana Paluzzi à 3mn56, p.ex) mais les gros plans dégagent une certaine précision dans les contours. Couleurs attrayantes et teintes de peau somme toute naturelles. Des poussières blanches sur les 5 premières minutes, une belle rayure rouge à la 46e minute ainsi que la fin du film révélant pas mal de griffures (dès 82mn30) et fin de bobine. Le télécinéma est somme toute médian, discret, mais largement regardable. A noter que le générique de fin est brutalement coupé. Peu de trace de compressions, des niveaux de noir agréables et des contrastes relativement bien gérés.
Audio : une seule piste de présente : en italien, en Dolby Digital 2.0 mono. Qui s'avère de de bonne qualité, claire et précise - sans souffle majeur. A noter néanmoins l'abominable doublage italien de Fernando Rey, un beau modèle de ratage. L'adjonction de sous-titres italiens optionnels pour sourds et malentendants pourront aider celles et ceux comprenant partiellement la langue de Machiavel.
Au niveau suppléments, la surprise de trouver un documentaire nommé Io Faccio Film, qui est en fait composé de rapides courts mettant en avant… les métiers du cinéma Italien. «Qui aime le cinéma ne le trahit pas». Aucun rapport avec le film présent. Comme le magazine de cinéma Nocturno est partenaire, on retrouve une publicité lycanthropique assez réussie comme second bonus. Toujours sans rapport avec le film. Par contre, Il Giallo e Il Nero s'avère une conversation avec le journaliste Claudio Bartolini, revenant agréablement sur le film et sa place dans le cycle de films thrillers italiens des années 70. Un segment passionnant, précis, à la fois sur la géographie des lieux, les implications des productions entre l'Espagne et la l'Italie… et la différence entre la version espagnole et transalpine. En italien non sous-titré.