A Londres, Ivan Igor, brillant sculpteur de figures de cire, est gravement brûlé aux mains dans l'incendie de sa galerie. Toute ses œuvres y sont détruites par les flammes... Des années plus tard, en 1933, nous retrouvons l'artiste la veille de l'inauguration de son nouveau musée à New York. Au même moment, une journaliste enquête sur un décès suspect, ainsi que sur des vols de cadavres...
Au début des années 1930, les succès des premiers films fantastiques parlants d'Universal (DRACULA et FRANKENSTEIN) donnent des idées à ses concurrentes. Ainsi, MGM (avec LA MONSTRUEUSE PARADE ou LA MARQUE DU VAMPIRE) et Paramount (avec DOCTEUR JEKYLL & MR HYDE ou L'ILE DU DOCTEUR MOREAU) se ruent sur le filon. Warner Bros, de son côté, confie à Michael Curtiz des projets fantastiques, avec LE GENIE FOU, DOCTEUR X et MASQUES DE CIRE.
Michael Curtiz est un réalisateur d'origine hongroise, ayant travaillé en Europe sur plus d'une cinquantaine de film depuis 1912, et arrivé aux USA en 1926. Sa familiarité avec le cinéma autrichien et allemand des années 1920 en font un bon choix pour la réalisation de films d'épouvante hollywoodiens, encore influencés par le cinéma germanique d'alors.
MASQUES DE CIRE s'inspire d'une pièce de Charles Belden, par ailleurs scénariste de cinéma. Le casting réunit, comme DOCTEUR X, Lionel Atwill (acteur venant du théâtre et apparaissant souvent dans le cinéma fantastique) et Fay Wray (indissociable de ses rôles dans les productions RKO que sont LA CHASSE DU COMTE ZAROFF et KING KONG).
MASQUES DE CIRE a pour particularité d'être un des tous derniers films tournés en Technicolor bichrome. Cette technique a été employée au cours des années 20, par exemple pour la magnifique séquence du bal masqué dans LE FANTOME DE L'OPERA. Nous nous souvenons aussi qu'en 1926, LE PIRATE NOIR avec Douglas Fairbanks a été le premier long métrage intégralement tourné en Technicolor bichrome. En 1932, DOCTEUR X utilise encore ce procédé. Pourtant, cette technique propose un rendu limité des couleurs, avec des dominantes pourpres, brunes et roses. L'arrivée du Technicolor trichrome dans BECKY SHARP de 1935 permet, enfin, de composer une image aux teintes réalistes à partir des trois teintes rouge, bleue et verte. Le Technicolor bichrome est instantanément abandonné par le fameux laboratoire, bien que d'autres procédés bichromes survivront jusqu'aux années 1950.
Les musées de figures de cire, tels le Musée Grévin à Paris ou celui de Madame Tussaud à Londres, proposent aux visiteurs de contempler des scènes historiques fameuses, reconstituées à l'aide de mannequins. Le travail du sculpteur est d'autant mieux apprécié que les figures ressemblent à leur modèle et donnent bien qu'immobiles, l'impression d'une vie latente. Le sculpteur de cire fait office d'illusionniste, de magicien, cherchant à tromper les sens des spectateurs. Par conséquent, son travail est proche du cinéma, qui consiste à projeter avec une machine, sur un écran blanc, l'illusion de la vie, ainsi que des reconstitutions de scènes fictives ou historiques.
Il y a aussi, chez les figures de cire, quelque chose qui inquiète, et ce d'autant plus que les modèles paraissent réels et vivants. Il y a cette impression que, quand nous leur tournons le dos, les personnages de cire se mettent à bouger, à vivre et à comploter en secret. Et si nous nous retournons vers eux tout à coup, pour surprendre leur manège, ils ont aussitôt fait de reprendre leurs pauses faussement impassibles et leurs visages figés.
Le musée de cire est donc un endroit qui fait peur, et nous ne nous étonnons pas que les scènes macabres et les personnages cruels, saisis dans leurs besognes repoussantes, y connaissent de beaux succès : Jack l'éventreur, ou Charlotte Cordais poignardant Marat... Et n'oublions pas de parler de semblables "institutions", comme le London Dungeon, spécialisées dans les seules représentations de faits divers sanglants et de terribles instruments de torture... en fonctionnement ! Il n'est pas surprenant, dès lors, que le cinéma fantastique exploite de tels lieux, dès les grandes années du cinéma expressionniste allemand, avec LE CABINET DES FIGURES DE CIRE de Paul Leni. Nous y croisons les sanguinaires Ivan le terrible, Harun Al Raschid et Jack l'éventreur, rendus à la vie par l'imagination d'un jeune écrivain à la tête trop pleine d'histoires !
Dans MASQUES DE CIRE, le sculpteur Ivan Igor travaille dans un musée de figures de cire. Virtuose admiré, ses deux précieuses mains sont hélas brûlées au cours d'un effroyable incendie criminel qui détruit toute son œuvre. Des années plus tard, en 1933 pour être plus précis, il ouvre une nouvelle galerie à New York. Certes, l'homme est diminué, ne se déplace qu'en chaise roulante et n'a plus l'usage de ses mains. Mais, son obstination créatrice est la plus forte, et il met au point une technique lui permettant de créer des mannequins d'un très grand réalisme. Pendant ce temps, des morts suspectes ont lieu, tandis qu'un horrible personnage défiguré vole des cadavres à la morgue de la ville...
Par bien des aspects, MASQUES DE CIRE rappelle LE FANTOME DE L'OPERA : tueur défiguré drapé dans un manteau noir informe et coiffé d'un sombre chapeau à larges bords, ténébreuse histoire de vengeance, personnage masqué, démiurge fou voué à des ambitions sublimes... Et nous notons même de fréquente références à la culture française : Ivan Igor vient de Paris, s'exprime avec un fort accent français, et se spécialise dans la représentation de personnages de l'histoire de France, comme Voltaire, Jeanne d'Arc, Napoléon ou Marie-Antoinette. Tout cela nous rappelle qu'Eric était bien le fantôme de l'opéra... de Paris.
Toutefois, passé un premier quart d'heure admirable par son atmosphère fantastique et l'interprétation pénétrante de Lionel Atwill, le récit s'éloigne de l'épouvante et sombre dans un bavard méli-mélo de comédie, de films de gangster et d'enquête policière.
La journaliste Florence Dempsey, interprétée par une Glenda Farell bouillonnante d'énergie et de saine vulgarité, mène l'enquête et trouve moyen de rencontrer, comme par hasard, un jeune play-boy millionnaire qui s'éprend d'elle. Florence et sa room mate Charlotte (Fay Wray), censées être désargentées, se partagent une pauvre mansarde (à vue de nez, tout de même un bon 100 mètres carrés !) dans laquelle elle discute de leur avenir et de l'homme idéal, habillées d'élégants pyjamas de soie. Nous nageons donc en pleine comédie sentimentale, encore un brin polissonne, le code de censure, dit "Code Hays" n'étant pas encore appliqué avec rigueur à Hollywood. Nous remarquons même - déjà ! - des gags parodiques, lorsque Florence s'écrit, en parlant du tueur : "Il est si laid qu'il ferait passer Frankenstein pour une petite fleur !".
L'enquête elle-même se déroule dans les milieux louches et urbains des trafiquants d'alcool et des drogués. Elle évoque avant tout les films de gangsters, à la manière de LE PETIT CESAR de Mervyn LeRoy ou de SCARFACE de Howard Hawks. L'ensemble est interprété avec vigueur et la réalisation de Curtiz est parfaite de fluidité et de nervosité. Mais l'amateur de cinéma d'épouvante se sent floué : après un prologue saisissant, il lui faut subir une bonne heure de bavardage, certes sympathique, mais hors sujet. Heureusement, nous nous consolons avec un final époustouflant, mélangeant horreur, laboratoire de savant fou, trucages hallucinants et décors somptueux, dans une séquence d'action prodigieuse, bénéficiant de ce style hyper-vigoureux dont seul Michael Curtiz semble avoir eu le secret.
Toutefois, MASQUES DE CIRE tend trop à éviter son sujet fantastique et à se perdre dans un mélange trop hétéroclite pour être convaincant. C'est un peu dommage. Il reste tout de même quelques séquences géniales, qui valent, à elles seules, le coup d'œil
MASQUES DE CIRE ne rencontre pas un succès commercial et la Warner se montrera, au cours des années 1930-1940, timide en matière de productions fantastiques, contrairement à des firmes comme Paramount et surtout Universal.
Michael Curtiz, de son côté, rencontre peu de temps après l'acteur Errol Flynn, et ils tourneront ensemble une prodigieuse série de chefs-d'œuvre du cinéma d'aventures, avec CAPITAINE BLOOD (1935), LES AVENTURES DE ROBIN DES BOIS (1937), L'AIGLE DES MERS (1940)... Curtiz filmera encore un film d'horreur : LE MORT QUI MARCHE, une histoire mêlant zombies et gangsters, interprétée par Boris Karloff en personne.
Nous retrouverons le cadre du musée de cire dans d'autres films angoissants, tel CHARLIE CHAN AT THE WAX MUSEUEM, NIGHTMARES IN WAX ou WAX WORK. MASQUES DE CIRE donnera lieu à deux remake, plus réussis que l'original, avec L'HOMME AU MASQUE DE CIRE tourné en relief et interprété par Vincent Price ; et LE MASQUE DE CIRE de Sergio Stivaletti, sur un script des réalisateurs Dario Argento et Lucio Fulci.