Header Critique : MOMIE, LA (THE MUMMY)

Critique du film
LA MOMIE 1932

THE MUMMY 

En 1921, des égyptologues découvrent une étrange momie. Elle disparaît mystérieusement... Dix ans plus tard, un homme étrange appelé Ardeth Bey signale à des archéologues la sépulture cachée d'une princesse ensevelie 1600 ans avant notre ère...

LA MOMIE s'inscrit dans la lignée des grands films de monstres produits pendant l'âge d'or du cinéma fantastique hollywoodien. Après les succès phénoménaux de ses DRACULA et FRANKENSTEIN, Universal remet vite le couvert de l'horreur avec, entre autres, cette nouvelle œuvre. Ce studio s'empresse d'autant plus que la concurrence fait rage : la Paramount propose DOCTEUR JEKYLL ET MISTER HYDE et L'ILE DU DOCTEUR MOREAU ; la MGM emploie le terrible professeur Fu Manchu avec LE MASQUE D'OR ou met en boîte le controversé LA MONSTRUEUSE PARADE ; la RKO produit LES CHASSES DU COMTE ZAROFF...

LA MOMIE est la première œuvre réalisée par Karl Freund (appelé à tourner plus tard LES MAINS D'ORLAC avec Peter Lorre). D'origine austro-hongroise, il est célèbre en Allemagne en tant que chef-opérateur de films ambitieux et innovants comme LE GOLEM, LE DERNIER DES HOMMES de Murnau, BERLIN : SYMPHONIE D'UNE GRANDE VILLE de Walter Ruttman et surtout METROPOLIS. Mais, à la fin des années 20, la situation économique et politique de l'Allemagne dégénère et Freund part travailler à Hollywood : directeur de la photographie sur DRACULA et DOUBLE ASSASSINAT DANS LA RUE MORGUE, il apporte les acquis du cinéma fantastique allemand en matière d'ambiance fantastique.

Le rôle de la momie est tenu par Boris Karloff, devenu en une année une énorme vedette du cinéma d'épouvante grâce à FRANKENSTEIN. Il est accompagné par David Manners, jeune premier hollywoodien des années 30 (vu dans DRACULA et LE CHAT NOIR) et Zita Johann,comédienne qui ne connaîtra qu'une courte carrière.

Au cours du XIXème siècle, le développement de l'archéologie et des grands musées occidentaux attire l'attention du public sur les mystères de l'antiquité. Les momies et monuments égyptiens deviennent sujets d'engouement avec par exemple «Le roman de la momie» de Théophile Gautier ou les photographies réalisées par Ducamp le long du Nil. En 1922, la découverte de la tombe de Toutankhamon par Randolph Carter fait sensation. Cinq mois plus tard, le décès pour cause de maladie de Lord Carnavon, mécène de l'expédition, lance la rumeur d'une malédiction s'abattant sur les profanateurs de sépultures royales. La légende de la malédiction de Toutankhamon est née !

LA MOMIE exploite astucieusement cette fascination pour la religion, les rites funéraires et la magie de l'Égypte antique, ainsi que l'engouement pour l'archéologie qui l'accompagne. Le prologue (situé en 1921, clin d'œil à la découverte du tombeau de Toutankhamon) nous présente des archéologues sur un chantier de fouilles. Ils viennent de découvrir la momie d'un personnage enterré vivant avec le papyrus de Toth, lequel est censé contenir la formule magique employée par la déesse Isis pour faire renaître Osiris. Imprudent, un jeune archéologue lit ce sort à haute voix devant la momie, la ramenant ainsi à la vie.

Nous retrouvons ce goût pour l'exotisme oriental et l'antiquité au sein d'un véritable petit film dans le film : lorsque Imhotep raconte son histoire, il l'illustre par des images se matérialisant dans un bassin fumant (E.P. Jacobs s'en rappellera pour sa BD «Le mystère de la grande pyramide»). Nous assistons alors à un génial petit péplum, narré en voix off par la voix caverneuse de Boris Karloff, plein de pharaons, de statues animées, de papyrus maudits et de funérailles grandioses en pleine Vallée des Rois. Nous assistons au terrible embaumement d'Imhotep, puni pour avoir défié les dieux. Encore une fois, l'atmosphère inimitable des films Universal et le savoir-faire des décorateurs hollywoodiens font merveille.

LA MOMIE est aussi fidèle à l'aspect pathétique des films de monstres de la Universal tels LE FANTOME DE L'OPERA ou FRANKENSTEIN. Imhotep est un être tragique : la jeune princesse dont il est intensément épris est emportée dans le royaume des morts par la maladie. Refusant d'accepter la volonté des dieux, l'amoureux contrit subtilise le papyrus sacré de Toth afin de ramener la jeune fille d'entre les morts. Il est pris en flagrant délit et condamné à l'enterrement vif. Lorsqu'il revient à la vie en 1921, il met tout en œuvre pour retrouver la momie de la princesse et la ressusciter. Imhotep est expert dans le domaine des maléfices antiques. Il les met en œuvre afin de réaliser ses plans. Son regard est porteur d'un implacable pouvoir hypnotique qui, comme dans DRACULA, rappelle les malfaisants hypnotiseurs du cinéma allemand, croisés dans LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI ou MABUSE LE JOUEUR.

Imhotep est donc un personnage double : il est à la fois un amoureux touchant et une créature malfaisante. Il retrouve l'âme de sa maîtresse antique réincarnée dans le corps de Helen, la fille métisse d'un diplomate anglais. Elle aussi se caractérise par la dualité de son personnage : en elle cohabitent la femme occidentale, rationaliste et moderne d'une part, et d'autre part l'aristocrate de l'Égypte antique, impatiente de rejoindre son amant momifié dans une passion immortelle. C'est la confrontation de ces personnages complexes qui apporte à LA MOMIE sa profondeur dramatique et humaine.

Imhotep, cet homme passionné, porteur d'un amour plusieurs fois millénaire, ce mortel qui refuse de se plier aux lois des dieux, est formidablement interprété par Boris Karloff qui, dans un registre opposé au monstre frustre de FRANKENSTEIN, donne une silhouette aristocratique et voûtée, une voix d'outre-tombe, une diction traînante et un visage inerte inoubliable à ce monstre voué à devenir une légende du grand écran. Il est assisté par le génial maquilleur Jack Pierce, visionnaire qui impose LE look de la momie égyptienne au cinéma. Encore une fois, le talent des costumiers, décorateurs et autres techniciens de la Universal permet de créer une ambiance fantastique et exotique très hollywoodienne et réussie. On apprécie encore la réalisation rigoureuse, la photographie raffinée et l'interprétation homogène et talentueuse. On regrette seulement que l'histoire se traîne un peu en milieu de film.

Avec LA MOMIE, Karl Freund et son équipe parviennent encore à lancer une mythologie fantastique vouée à une grande longévité et à une enviable popularité. La Universal lui donne quelques suites à partir de LA MAIN DE LA MOMIE, et les anglais de la Hammer exploiteront aussi ce personnage (avec, entre autres, LA MALEDICTION DES PHARAONS de Terence Fisher). A la fin des années 90, avec le film d'aventures LA MOMIE de Stephen Sommers, Imhotep s'offre une nouvelle ballade au sommet du box-office mondial, pour le plus grand plaisir des amateurs de cinéma fantastique...

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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