La jeune Mariale' devient la témoin malheureuse du double meurtre de sa mère et de son amant par son père, et de son suicide. Adulte (Ida Galli), et mariée à Paolo (Luigi Pistilli), elle vit recluse dans un château. A la colère de Paolo, elle envoie un télégramme à une bande d'amis qui débarquent malgré tout au château. Elle y organise une fête costumée qui va virer à l'orgie… mais révéler les bizarres personnalités de chacun.
Etrange carrière que celle de Romano Scavolini. Docker, cinéaste radical et expérimental des années 60, producteur ruiné à la suite du film de son frère Sauro, il fit ce UN BIANCO VESTITO PER MARIALE' ou en VF EXORCISME TRAGIQUE (quel titre idiot!) afin de se dépêtrer de ses dettes. Il reste d'ailleurs essentiellement connu pour ce film et un autre plus extrême, à savoir le très glauque CAUCHEMARS A DAYTONA BEACH. Qui contient par ailleurs lui aussi le thème du trauma enfantin. Trajectoire contrariée ou libre, allez savoir, puisqu'il tourne en ce moment nombre de documentaires pour la RAI! Arrivé sur un tournage imminent où tout était déjà en place, il tenta de réécrire un scénario qu'il considéra mal en point. En place pour le rôle-titre (et un autre), la superbe Evelyn Stewart - pseudo international d'Ida Galli. Visage fin, regard perdu, présence quasi fantômatique, elle habite à la perfection l'ambiguïté virginale de Mariale' et présente la tristesse enroulée autour du cou comme personne. En face, Luigi Pistilli : un acteur solide, habitué de rôles borderline, tourmenté dans le très Kubrickien IL TUO VIZIO E UNA STANZA CHIUSA E IO NE HO LA CHIAVE (qui lui aussi possède la même typologie de thèmes orgiaques et obsessionnels assemblés ici!), manipulateur dans LA BAIE SANGLANTE… professionnel, il exprime lui aussi une délicieuse ambivalence. Pour compléter ce duo aux confins de la folie, le ténébreux Ivan Rassimov, ici teint en blond, s'évadant de ses interprétations menaçantes. Entre beau gosse seul élément à peu près sain et drame humain, il brille, indubitablement. Sans équivoque les trois rôles les mieux écrits. Après, la ribambelle de seconds rôles aux traits grossiers s'organise autour d'acteurs de seconds plans allant du mari de la productrice (Edilio Kim) et son frère (Gengher Gatti) dans le rôle assez inutile du majordome. On y trouve également une figure récurrente du bis italien, Gianni Dei (l'amant de la mère de Mariale') qui traversa allègrement le cinéma italien via le trashoïde GIALLO A VENEZIA, l'également déviant (et mauvais) PATRICK VIVE ANCORA dans le rôle-titre, ou encore le rare DIABOLICAMENTE…LETIZIA.
Ce Vêtement Blanc pour Mariale' s'ouvre de manière majestueuse, quasiment sans dialogue, sans musique, mettant en place la blessure originelle - moteur de l'histoire. Une cassure de la pureté en pleine nature violée, dont la fameuse robe virginale, maculée de sang, va intervenir de manière décisive. D'où la naïveté confondante du titre français, bien évidemment choisi à propos pour marcher sur les braises du Diable alors en pleine mode au moment de sa sortie tardive sur notre territoire, le 10 avril 1975.
Scavolini enchaîne sur une scène dérangeante avec des animaux vivants en cage : un singe maltraitant et dévorant un oiseau. Impensable aujourd'hui mais typique des années 70, à mi-chemin entre l'exploitation, le film d'art, un détournement carnavalesque d'une comedia dell'arte qui tournerait mal et la symbolique lourdingue. Un peu comme un film de Zeffirelli sous champi et croisé d'influences de Mario Bava, quoi.
EXORCISME TRAGIQUE fait surtout office de film bicéphale tendance schizophrène. Tiraillé entre une écriture médiocrissime et une enveloppe charnelle au soin extrême. Une sophistication des décors, des costumes, en plein délire pop post-Antonioni de BLOW UP et de tentative de faire exploser les genres. Scavolini possède un sens du détail qui fait honneur, aux couleurs flamboyantes, une ambiance gothique-fantastique aux éclairages spectaculaires et à une composition très sûre (voire maniaque) des plans. Même si le format Techniscope fut choisi de manière purement économique pour gagner sur le montant de pellicule à utiliser. A 11mn37, par exemple, avec le plan de Luigi Pistilli armé du fusil et Ida Galli sur la droite de l'écran le regardant. Tout est calculé au millimètre près, comme la majeure partie du long métrage. Scavolini sait ce qu'il fait : image y comprise puisqu'il fut directeur photo et opérateur en même temps que la réalisation, à la manière d'un Peter Hyams.
Un récit somme toute assez moral/moralisateur, puisque l'ensemble des personnages vont voir leurs sexualités & diverses prédations exacerbées punies. Par la mort, la plus terrible qui soit : un leitmotiv dans le Giallo. En fait, le film se repose uniquement sur le formel. D'un point de vue scénaristique, on fait face à une belle catastrophe. Comme Mario di Nardo avait pondu le récit de L'ILE DE L'EPOUVANTE, directement inspiré des "Dix petits nègres" d'Agatha Christie, Mario Bava détourna et adapta via une certaine ironie un scénario pauvrissime. Romano Scavolini effectue quasiment le même traitement ici : une beauté opératique qui prend le pari de faire oublier l'indigence de l'histoire via une dégénérescence bourgeoise, de scènes obscènes barbouillées de nourriture, de stupre, de luxure et de règles bafouées. A bien y regarder, quelques similitudes avec LE VENIN DE LA PEUR apparaissent ça et là. Comme nombre de Gialli de cette époque, teintés d'hypocrisie catholique, d'observation de la dégradation de la bourgeoisie/aristocratie italienne… avec passages obligés dans des fêtes/orgies trash (LE VENIN DE LA PEUR, tiens, ou encore LE TUEUR A l'ORCHIDEE), d'homosexualité féminine, de tueur mystérieux aux motifs capillotractés,
Un mélange de genres, qui tente de digérer les principales arcanes du cinéma populaire italien de genre de la décennie passée. A savoir le récit gothique, les fantômes, le Giallo et l'érotisme. Via le thriller, enfiler des oripeaux de genres tombés alors en quasi désuétude. Une sorte de chainon manquant avec les influences qui menèrent le cinéma populaire italien à transgresser encore plus les règles de l'exploitation - jusqu'à épuisement. Ce que firent Riccardo Freda avec LIZ ET HELEN ou encore Antonio Margheriti avec LES DIABLESSES, compensant un fond passablement ridicule avec une forme radicale. Ce néo-gothique des années 70 repense les fondements, ajoutant une touche d'onirisme aux confins du réel, ce qu'on peut retrouver dans NUDA PER SATANA, ou encore L'APPEL DE LA CHAIR - deux films appartenant à des genres connexes mais aux velleités divergentes.
L'élégante et intrigante musique de Fiorenzo Carpi s'articule autour d'un très beau thème (celui de Mariale', générique de début) à deux rythmiques. Pour le reste, on navigue en eaux typiquement 1970-1974 sur la composition de l'orchestre, des thèmes pop (l'orgie et la danse de Semy). Le fait qu'il ait préparé les orchestres de Morricone doit quelque part à la tonalité. Mais il s'agit surtout de la direction de l'orchestre, effectuée par Bruno Nicolaï (autre collaborateur régulier de Morricone) qui interpelle. En effet, certains morceaux font diablement penser à d'autres compositions antérieures de Nicolai, dont le thème d'amour de LA QUEUE DU SCORPION, par exemple, avec… Ida Galli et son amant, au début du film, juste avant l'explosion de l'avion.
Tout se précipite cependant dans le dernier tiers. Le récit n'a plus rien à raconter après le festival habituel du film d'exploitation italien : nudité, violence animale, gouzi-gouzis lesbiens vaporeux, quota d'actrice « exotique » (ici la chanteuse Shawn Robinson, qui vocalisait chez Piero Piccioni), triolisme, voyeurisme…. une belle collection de ruptures morales dans la grande tradition italienne catholique qui montre tout pour mieux dénoncer. Et il va falloir passer à l'équarrissage du casting, puisqu'il reste 30 minutes. Nous voici donc partis pour des meurtres au couteau, au rasoir qui taillade le visage, à un homme dévoré par des chiens (bon, le mannequin se voit un peu trop, quand même…). Et le film rejoint la catégorie des thrillers « ah, c'est toi? » que prononce la victime au meurtrier hors champ, avant de se faire assassiner. EXORCISME TRAGIQUE se construit graduellement comme un miroir, avec un début-choc excessivement davidhamiltonien dans son approche - on notera une nudité masculine très inhabituelle!- et une fin hélas passablement ridicule, amenée de manière assez superficielle. On comprend ce que Scavolini veut évoquer et signifier avec son discours de décadence et ses excès visuels magnifiquement cadrés. Mais la manière dont tout cela reste agencé demeure médiocre.
EXORCISME TRAGIQUE laisse une impression mitigée. Comme si le réalisateur était passé à côté d'un grand film. Un visuel léché couplé à une redistribution des règles du thriller d'épouvante, un croisement des genres via un grotesque exacerbé. Malheureusement au service d'un scénario fourre-tout mal écrit, faisant trainer en longueur des scènes d'exposition quelque peu inutiles, et précipitant le final, entre autres. Un film d'horreur anti-bourgeois imparfait, mal branlé mais indéniablement autre et à part dans cette décennie 70's transalpine incroyablement riche en expériences cinématographiques.
Déjà sorti en Europe mais inédit sur nos terres, EXORCISME TRAGIQUE arrive pour la première fois en France dans un luxueux coffret-triptyque en combo Blu Ray/2 DVD sans codage régional chez Le Chat qui Fume. Durée totale de 88mn19 sur un BD 50, avec la présentation du film en format original 2.35:1, dans un nouveau transfert HD de toute beauté! Jamais le film ne s'offrit aux yeux des spectateurs de manière aussi resplendissante. On retrouve intacts les rouges vifs habituels du thriller italien tendance horrifique, le sang, les tentures, les vêtements de la fête costumée… . A noter dans la séquence pré-générique la poussière rouge de sang qui s'échappe des blessures de la mère de Mariale' un fois celle-ci atteinte et s'écroulant au ralenti : un détail saisissant! Les scènes des mannequins dans la pièce en semi-ombre recèle de splendides contrastes, donnant dans des bleus nuit gothiques qui éclatent à l'écran. Très belle définition des visages, quasi perfection des détails… on sent un intime travail de la couleur et de la forme sur le négatif original qui transparait admirablement avec cette copie. On ne remarque aucune aspérité ou de quelconque poussière, retrouvant également un grain salutaire (le plan du cadavre du père de Mariale', entre autres), ne trahissant ainsi pas d'utilisation trop grossière de réduction de bruit. Le seul tout petit reproche serait des teintes parfois trop orangées des visages pour être naturelles.
Astucieux menu animé, avec l'option pop up permettant de naviguer agréablement d'un bonus à un autre. Très classe. Un bémol cependant, impossible de changer la langue du film pendant sa vision. Il est obligatoire de repasser par la fonction du menu langues afin de pouvoir effectuer une modification.
Concernant justement les langues, nous avons droit au doublage italien d'origine et son versant français, tous deux en DTS HD MA 2.0 stereo sur deux canaux (donc non compressé). Le tout avec des sous-titres français amovibles sur la piste transalpine. Celle-ci s'avère la plus dynamique, moins étouffée, laissant plus libre d'expression la composition musicale. Aucun parasite sonore à noter. Des dialogues facilement audibles et une assez belle finesse du rendu sonore. La piste française n'est pas exempte d'un certain souffle, avec ses dialogues plus proéminents. La musique est également plus compacte à l'oreille, moins douce que l'autre. Ce qui laisse une impression de saturation des enceintes par moments (à 38mn29, lorsque Mariale' découvre le tableau de sa mère), alors que la même séquence avec la piste italienne donne dans la douceur audiophile.
En dehors de cette excellente mise en bouche audio et vidéo, la section bonus dépasse les éventuelles attentes de chacun avec une orgie (encore une!) d'interviews, dont certaines réalisées spécifiquement pour cette édition. Le morceau de choix : une Invitation au voyage à travers le cinéma italien par Ida Galli/Evelyn Stewart. Des essais avec Fellini pour LA DOLCE VITA au tournage d'EXORCISME TRAGIQUE, aux dangereuses virées en Vespa avec Ivan Rassimov… un très joli documentaire, avec effets de split screen bienvenus (sur SETTE NOTE IN NERO)… des temps glorieux des années 60 jusqu'aux années de crise des 80, Ida Galli égrène son histoire, ses souvenirs, ses points de vue. Et toujours, toujours, un énorme respect pour le monde du cinéma, de Visconti à Fulci et de ses petites mains. Une évocation respectueuse, avec une diction irréprochable - on sent la très grande professionnelle, d'une carrière riche… et trop tôt terminée.
L'entretien avec Romano Scavolini, déjà présent sur l'édition de Camera Obscura (comme les scènes coupées et les films annonce), explore de manière passionnante les origines du cinéaste, ses influences, son regard précis sur la technique utilisée. Peu avare en commentaires et en anecdotes, lil se révèle particulièrement prolixe sur la photographie et le moyen utilisé pour enrichir la texture visuelle de son film, la partition de Carpi…
Petit décryptage du film par le toujours agile et alerte Jean-François Rauger, avec une grosse digression sur le « génie du cinéma populaire italien ». Analyse très pertinente, aux mots parfaitement choisis pour exprimer influences diffuses et multiples pour aboutir à un produit tel qu'EXORCISME TRAGIQUE.
4e intervention, qui apparait cette fois de manière audio, via un texte lu par Olivier Rossignot, confrère de Culturopoing.com. Des éléments thématiques très justes, malheureusement parfois en état de redite par rapport à l'intervention du réalisateur qui aborde des sujets similaires sur la génèse du film et certains points stylistiques.
En continuant le chemin des suppléments, un petite virage en arrière vers les années 80, avec une film en « mode VHS ». A l'instar du coffret du VENIN DE LA PEUR, il est possible de revivre cette « merveilleuse » expérience de la copie VHS, générique TeleMondial inclus, de la version française sortie en 1975. Cut, et d'une durée complète de 81mn31, mais émouvante pour celles et ceux qui auront connu cette époque révolue (ou presque). A noter que le film présente un format recadré à un ratio d'environ 1.85:1, pas du tout le format Techniscope d'origine! Des scènes coupées, avec le son absent, mais entrecoupées des scènes dialoguées dont les plans ont été excisés (et avec sous-titres français amovibles). Pas d'un intérêt capital, mais qui prolongent parfois judicieusement certaines idées présentes. Enfin, cette galette se termine avec pas moins de 6 films annonce de l'éditeur. Deux pour EXORCISME TRAGIQUE (celui italien et un autre français), LA NUIT DES DIABLES en italien, et les 3 titres à venir chez Le Chat Qui Fume : l'excellent AU TROPIQUE DU CANCER (film annonce allemand avec son titre local INFERNO UNTER HEISSER SONNE), TERREUR SUR LA LAGUNE et l'exécrablement trash LA SORELLA DI URSULA, un Giallo très bas de gamme de 1978 qui sortira pour la première fois en France. Hasard ou pas, le monteur d'EXORCISME TRAGIQUE et de LA SORELLA DI URSULA est le même Francesco Bertuccioli. Ces trois derniers films annonce sont sans sous-titres.
Le combo contient également une édition DVD du film, au format 2.35:1, 16/9e d'une durée de 84mn, avec deux pistes audio italienne et française en Dolby Digital 2.0 avec sous-titres français optionnels. Les bonus identiques au blu ray se trouvent sur un second DVD présent dans le digipack. Et le tout a été livré, pour celles et ceux ayant comme moi acheté le film en pré-commande, avec un livret en couleurs reprenant diverses affiches, photos d'exploitation européennes.
Clairement, cette édition française d'EXORCISME TRAGIQUE s'avère au-dessus du lot. Très qualitative, elle devrait ravir tout amateur de cinéma de genre qui se respecte. Très recommandé!