Header Critique : LONDRES APRES MINUIT (LONDON AFTER MIDNIGHT)

Critique du film
LONDRES APRES MINUIT 1927

LONDON AFTER MIDNIGHT 

LONDRES APRES MINUIT appartient à la fameuse série de films réalisés entre 1925 et 1929 par Tod Browning et mettant en vedette Lon Chaney, acteur de génie et grand maître du maquillage. Bien que ces œuvres aient connu un énorme succès, rapportant énormément d'argent à la jeune firme MGM, il n'est pas toujours aisé de les visionner de nos jours. Ainsi, LONDRES APRES MINUIT sorti en 1927 fût le plus gros succès commercial de la fructueuse collaboration entre Chaney et Browning : pourtant, aucune copie connue n'en subsiste ! La dernière répertoriée a en effet brûlé dans un incendie au cours des années 1960.

Mais, alors que les premières Histoires du cinéma fantastique sont publiées à travers le monde (comme «An illustrated history of horror movies» de Carlos Clarens en 1967 ou «Le cinéma fantastique de René Prédal» en 1970), ce film invisible devient mythique. En effet, des photographies de plateau montrent Chaney grimé en vampire dans un film du réalisateur du mythique DRACULA ! L'idée de ne jamais voir ce maillon manquant entre NOSFERATU LE VAMPIRE et les films de vampires américains parlants des années 1930 avait de quoi attrister les amateurs de films d'épouvante.

Toutefois, en 2002, la chaîne américaine câblée Turner Classic Movie, dédiée au cinéma hollywoodien classique, propose une "reconstruction" de cette œuvre perdue. Il ne s'agit bien sûr pas du métrage lui-même mais d'une tentative de le restituer à l'aide d'éléments conservés, comme son scénario et de nombreuses photographies. Bien, sûr, les photographies sont fixes et pour animer un peu tout cela, elles sont filmées en utilisant des mouvements panoramiques ou des zooms. Le film étant à l'origine muet, le tout est illustré par une nouvelle musique composée par Robert Israel, auteur de plusieurs partitions pour des versions restaurées de classiques de cette période. C'est bien sûr cette seule reconstruction de LONDRES APRES MINUIT qu'il nous a été donnée de consulter.

En 1927, Lon Chaney est une des plus grandes stars du cinéma américain. Après des débuts laborieux, il accède au vedettariat grâce à sa composition d'escroc se faisant passer pour un infirme dans LE MIRACLE de George Lone Tuner, acclamé par la presse et le public. Sa réputation ne fait que croître, et on le rencontre dans des œuvres importantes comme L'ÎLE AU TRESOR filmé à Hollywood par le français Maurice Tourneur, RIVAL DES DIEUX de Wallace Worsley (un drame d'épouvante évoquant «L'île du docteur Moreau» de H.G. Wells)... Surtout, il incarne le monstrueux Quasimodo dans NOTRE-DAME DE PARIS, onéreuse fresque produite pour Universal par Irving Thalberg : c'est un triomphe et Chaney devient un des acteurs les plus importants du cinéma américain de l'époque.

En 1924, Louis Mayer s'associe à Metro-Goldwyn pour fonder une nouvelle compagnie de cinéma, appelée à devenir la prestigieuse Metro-Goldwyn-Mayer. Il recrute Thalberg et celui-ci leur propose de tourner un film mettant en vedette Lon Chaney : ce sera le mélodrame LARMES DE CLOWN, réalisé par le suédois Victor Sjöström. Les succès de Chaney vont devenir la colonne vertébrale financière des débuts de la MGM. Il tourne ensuite pour eux LE MONSTRE, parodie de film d'épouvante où il tourne en dérision ses rôles habituels.

Puis vient LE CLUB DES TROIS, premier film réalisé par Tod Browning dont Chaney tient le rôle principal. Il y incarne Echo, un ventriloque qui aidé d'un nain et d'un géant, organise des cambriolages invraisemblables : c'est le début d'une collaboration qui se poursuivra jusqu'en 1929, soit peu avant la mort de Chaney, en 1930. Universal fait aussi appel à ce comédien pour un nouveau film, tout aussi démesuré que NOTRE-DAME DE PARIS : la littérature française est encore à l'honneur puisqu'il s'agit de LE FANTOME DE L'OPERA d'après le roman de Gaston Leroux. Le tournage est chaotique : Chaney ne s'entend pas avec le réalisateur Rupert Julian, qui est renvoyé avant la fin des prises de vue et remplacé par Edward Sedgwick. Mais c'est encore un triomphe public, tout à fait mérité au vu du superbe résultat.

Dès lors, l'essentiel de la carrière de Lon Chaney sera composé par les films réalisés par Tod Browning et produits par la MGM. Dans cette série se succèdent L'OISEAU NOIR (Chaney incarne à la fois un gangster et son frère, un brave religieux paralytique), LA ROUTE DE MANDALAY (un brigand difforme a honte de révéler à sa fille qu'il est son père) et bien sûr le mythique L'INCONNU, véritable emblème de la cinéphilie Surréaliste. Les membres de ce mouvement y ont vu l'exaltation de cet amour fou qu leur tenait à cœur. Le récit de L'INCONNU leur donne raison : un criminel, qui se fait passer pour un manchot au sein d'un cirque, se laisse amputer des deux bras pour pouvoir se marier avec une belle jeune femme (Joan Crawford) qui ne supporte pas de sentir des mains d'homme se poser sur elle !

En décembre 1927 sort LONDRES APRES MINUIT dont voici l'argument. L'inspecteur Burke de Scotland Yard enquête sur le suicide suspect de Roger Balfour. Dans la demeure du défunt, on trouve : Butler le domestique ; Sir James Hamlin, voisin, héritier et ami du mort ; Arthur Hibbs, le neveu de Hamlin ; et enfin Lucille, fille de Balfour. Burke ne trouve pas d'indice probant et se résout à considérer cette mort comme un suicide.

Cinq ans plus tard... La demeure Balfour est désormais abandonnée et laissée en ruines. Hamlin vit dans sa propriété, à quelques pas de cette maison, avec son neveu et Lucille qu'il a adoptée. Pourtant, dans la décrépie demeure Balfour, des lumières mystérieuses apparaissent. Un personnage étrange vient de s'y installer. Il s'agit d'un homme aux cheveux hirsutes, coiffé d'un grotesque chapeau haut-de forme, vêtu d'une grande cape noire et arborant un sourire inquiétant. Il est accompagné d'une pâle jeune femme aux airs perdus et à la mine fantomatique. Peu de temps après, un criminologue s'installe chez Hamlin pour enquêter à nouveau sur le suicide de Balfour. Rapidement, tous les habitants de la demeure semblent convaincus que les occupants de la maison abandonnée sont des vampires, des monstres buveurs de sang...

LONDRES APRES MINUIT propose avant tout une intrigue policière dont certaines séquences ont pour cadre le climat angoissant de la maison Balfour, réputée hantée. En effet, il sera révélé que les événements fantastiques n'étaient qu'une supercherie mise en place pour pousser le vrai coupable du meurtre de Balfour à se dénoncer. Le chef des vampires est en fait l'inspecteur Burke, lourdement grimé, et ses compagnons sont des acteurs.

LONDRES APRES MINUIT se situe ainsi dans le courant d'œuvres telles que LA VOLONTE DE MORT de Paul Leni ou UNE SOIREE ETRANGE, films hollywoodiens de la même période dans lesquels des événements a priori non fantastiques se déroulent sur fond de climat gothique angoissant. Cette manière de flirter avec le fantastique, notamment par un travail sur l'atmosphère et l'accumulation de rebondissements abracadabrants, mais sans jamais vraiment tomber dans le surnaturel le plus pur, est typique des collaborations entre Browning et Chaney. Cet acteur, habitué aux rôles multiples (dans RIVAL DES DIEUX, par exemple, il incarne à la fois un savant fou et de sa créature monstrueuse...), tient ici trois rôles : Burke, le vieux criminologue et le vampire. Il crée un maquillage très élaboré et douloureux pour ce faux monstre, un système lui maintenant les yeux écarquillés en permanence.

Si le récit est policier, l'ambiance lorgne souvent vers l'horreur. Les vampires habitent dans une vaste demeure poussiéreuse, pleine de motifs gothiques et de toiles d'araignées. Le chef de ces monstres erre dans les couloirs de la maison Hamlin et terrorise la domesticité. Il est tentant de comparer la représentation du vampire dans ce film avec celle de DRACULA (dans lequel, cette fois, le vampire en est bien un !). Le monstre de Chaney est un personnage bossu, repoussant, au sourire figé et hideux rempli par deux rangées de terrifiantes dents pointues. On est loin de l'aristocrate élégant et fascinant composé par Lugosi dans l'œuvre de 1931. Par contre, la jeune fille vampire, avec sa grande robe blanche et ses airs éthérés, évoque à bien des égards les fiancées de Dracula que Renfield rencontre dans la cave du château de Transylvanie.

LONDRES APRES MINUIT est encore un excellent succès pour l'équipe Browning-Chaney-MGM. En 1928, Chaney est élu comme l'acteur le plus rentable d'Hollywood ! Chaney et Browning continue donc à travailler ensemble pour LE LOUP DE SOIE NOIRE, A L'OUEST DE ZANZIBAR et LOIN VERS L'EST. Toutefois arrive 1930, et Chaney n'a toujours pas tourné dans un film parlant, alors que le procédé est au point depuis LE CHANTEUR DE JAZZ, production de 1927. En fait, l'acteur hésite à se lancer dans le cinéma parlant. Qui plus est, certains considèrent que cette technique sera sans lendemain. A la même époque, Charles Chaplin lui-même se montre très réticent : LES LUMIERES DE LA VILLE de 1931 est encore muet, tandis que LES TEMPS MODERNES de 1936 est sonorisé mais comprend très peu de dialogues. Le premier vrai film parlant de Chaplin est en fait LE DICTATEUR en 1940 !

Chaney passe au parlant avec LE CLUB DES TROIS de Jack Conway, remake du film réalisé par Browning en 1925 : l'acteur aux mille visages y a cette fois cinq voix et parvient à prouver que ses talents géniaux pour le déguisement et l'imitation sont encore viables dans le cadre du cinéma sonore. Il meurt hélas rapidement, emporté par un impitoyable cancer du larynx en août 1930. Le prochain film de Browning, DRACULA se fera sans lui, bien qu'il ait un temps été envisagé qu'il tienne le rôle-titre. Ce sera évidemment Lugosi qui hérite de ce personnage dont il donnera une interprétation qui marquera durablement l'imaginaire des cinéphiles.

DRACULA sera le début de l'âge d'or hollywoodien du cinéma fantastique parlant (avec FRANKENSTEIN, L'HOMME INVISIBLE et LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN de James Whale, LA MOMIE de Karl Freund, KING KONG de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack....). Browning réalise à cette période LA MARQUE DU VAMPIRE de 1935, avec Lionel Barrymore et Bela Lugosi, qui est en fait un remake parlant de LONDRES APRES MINUIT !

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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